Dans le monde, le nombre d’étudiants internationaux a doublé ces dix dernières années et atteint aujourd’hui les 4 millions. En 2025 il devrait avoir de nouveau doublé et 8 millions d’étudiants (dont la moitié en provenance d’Asie) quitteront alors chaque année leur pays. Les attirer, attirer les meilleurs, est peut-être l’enjeu le plus important aujourd’hui pour les grands établissements l’enseignement supérieur qui, en retour, pourront également mieux permettre à leurs propres étudiants de partir.
« Internationalization at home »
Quand on arrive à l’ESC Rennes School of Business, il est difficile de ne pas être frappé par le nombre d’étudiants (40% des effectifs) et de professeurs internationaux : plus de 80% ! Brésil, États-Unis, Inde, Allemagne… les drapeaux de leurs pays respectifs sont indiqués à côté de leurs noms devant leurs bureaux. « Notre corps professoral impacte le caractère international au-delà de la seule pratique de l’anglais [tous les cours sont en anglais en 3ème année] », explique Olivier Aptel, le directeur de l’école. « Je suis venue à Rennes parce que je souhaitais étudiant en France dans un environnement international », confie une étudiante russe quand tous les candidats – français ! – du Concours Passerelle venus passer les oraux sont unanimes : c’est le caractère international de l’ESC Rennes jusque dans ses murs – cette « Internationalization at home » – qui les attire d’abord.
« Aller à l’international c’est voir d’autres modèles et compétences. Aujourd’hui nous comptons 40 à 45% de professeurs étrangers et nous réfléchissons à nous associer avec d’autres business schools partenaires pour en recruter en commun à l’international », confie Frank Bostyn, le directeur de NEOMA Business school dont l’objectif est d’« être des experts de la dynamique internationale même si le niveau local reste également très important ». Une dynamique qui n’est pas le seul apanage des grandes écoles. « Notre avenir c’est l’international. Pour recevoir de plus en plus d’étudiants du monde entier nous multiplions les cours en anglais et les cursus à la carte », assure Jean-Paul Jourdan, président de l’Université Bordeaux Montaigne, qui se félicite que la « loi de 2013 sur l’enseignement supérieur ait très bien appréhendé l’importance de l’enseignement en anglais pour favoriser la francophonie ».
Attirer les étudiants étrangers
École d’ingénieurs la plus internationale, Télécom ParisTech compte 42% d’étudiants étrangers. « Notre école a toujours été particulièrement internationale pour accompagner le développement des télécoms français à l’international », confie Yves Poilane, directeur de Télécom ParisTech et président de la commission internationale de la Conférence des Grandes écoles. En doctorat ce sont même les deux tiers des effectifs Télécom ParisTech de qui viennent de l’étranger.
À Clermont-Ferrand, l’université Blaise-Pascal mène une politique d’internationalisation qui va jusqu’à traduire son site Internet entièrement en chinois ! « 2500 de nos 16 000 étudiants, soit 15%, sont étrangers [la moyenne nationale est de 12%] dont 1000 en masters et plus de 400 en doctorats », explique son président, Bernard Mathias. Des étudiants qui sont bien inscrits, pour la quasi-totalité, dans des formations diplômantes. « Il ne s’agit pas de gonfler artificiellement nos statistiques et délivrant des diplômes d’université ou en multipliant les summer schools », insiste le président.
De son côté, l’institut d’administration des entreprises (IAE) de Caen a ouvert l’année dernière un Graduate Diploma in Management Studies, un diplôme d’université 100% en anglais qui attire des étudiants du monde entier pour seulement 2000€ l’année. « Venus du Viêt-Nam, d’Ouganda, du Japon, etc. ils vont pouvoir irriguer nos masters 2 ensuite », confie Isabelle Grand, co-directrice de l’IAE, qui a également créé des diplômes délocalisés au Maroc et en Algérie et s’apprête à en ouvrir deux nouveaux à la rentrée à Marrakech et Casablanca.
Définir une politique d’accueil performante
Tous ces efforts ne serviraient rien si les étudiants étrangers venus en France n’en repartaient pas satisfaits. À l’ESC Rennes chaque étudiant étranger est parrainé par un étudiant français dans le cadre de l’association Wellcome qui les accueille à leur arrivée et facilite leur intégration. Ensuite ce sera à eux de présenter leur université dans le cadre d’un « International Day ». « Les étudiants étrangers qui viennent chez nous seront ensuite des ambassadeurs de cette excellence dans leur pays », analyse Mathias Bernard. Un professeur d’université étranger qui a fait ses études à Clermont aura tendance à envoyer ses propres étudiants sur nos campus. C’est un travail de transmission à long terme qui nous permet de construire des doubles diplômes internationaux. »
Pour attirer les étudiants internationaux, son université a beaucoup travaillé sur leur accueil avec pas moins de vingt professeurs de français permanents chargés de les mettre à niveau en français à leur arrivée. « Ils obtiennent ainsi un niveau certifié en français qu’ils pourront valoriser ensuite. Même si nous délivrons beaucoup de cours en anglais, un étudiant étranger ne peut certainement pas véritablement profiter de son séjour ici s’il ne maîtrise pas suffisamment la langue française », conclut Bernard Mathias.
L’impact des doubles diplômes
Un accord c’est bien, un double diplôme c’est mieux et les étudiants ne s’y trompent pas en privilégiant les établissements qui peuvent leur promettre d’accoler le nom d’une institution étrangère à la leur au terme d’un séjour qui peut ou pas être plus long que pour obtenir un seul diplôme. L’IAE de Caen propose ainsi un master 2 franco-américain. « Nos étudiants passent d’abord un an en France puis peuvent décider d’aller suivre un MBA dans nos six universités partenaires sans que cela ne leur coûte rien de plus que les 260 euros du master alors que ces programmes coûtent normalement de 15 à 20 000$ par an », révèle Isabelle Grand.
Un vrai cadeau quand on sait que certaines écoles de management sont contraintes de facturer ces séjours aux États-Unis au prix fort faute d’accords de réciprocité. Un problème que rencontrent également les écoles d’ingénieurs. « Les États-Unis ou la Grande-Bretagne accueillent volontiers nos étudiants mais sans tarif préférentiel pour autant. Une année à Columbia coûte, par exemple, entre 40 000 et 60 000€ et, même si nous distribuons des bourses cela ne peut couvrir qu’une petite partie de ces fees ! », regrette Yves Poilane.
Devenir « locale à l’international »
Si longtemps l’enjeu essentiel pour les établissements d’enseignement supérieur qui s’implantaient à l’étranger était d’y recevoir leurs propres étudiants, ils réfléchissent de plus en plus à devenir des établissements locaux. « L’ESC Rennes s’est implantée à Rabat pour y recevoir des étudiants marocains qui veulent suivre notre programme grande école sans s’expatrier. Pas pour envoyer beaucoup d’étudiants français là-bas pour qu’ils s’y retrouvent entre eux », assure Olivier Aptel, pour lequel Rabat est un « hub vers toute l’Afrique ».
Dans le même esprit NEOMA Business School et la Nankai University ont conclu une alliance stratégique pour la création d’une « joint school » qui proposera une large offre de programmes de niveau undergraduate et graduate à 1500 étudiants recrutés à travers le continent asiatique. « Bien sûr nous aurons également des étudiants français qui viendront dans le cadre d’échanges mais il ne s’agit absolument pas de les regrouper tous ensemble sur un campus à l’étranger », confie Frank Bostyn. Une démarche proche de celle de l’Essca. « Nous allons ouvrir des programmes bachelor sur notre campus de Shangaï qui seront aussi bien destinés à des étudiants chinois qu’à des enfants de personnels expatriés », révèle Catherine Leblanc, la directrice de l’Essca, qui entend également y dispenser des programmes de formation continue. Quant à Skema elle remet un diplôme américain sur son site de Raleigh et entend bien en faire de même bientôt en Chine.
Tisser un réseau de partenaires
177 partenaires pour l’Essca, plus de 220 pour l’ESC Rennes les chiffres des accords internationaux de business schools donnent parfois le vertige. « Une équipe de douze personnes gère ses accords », explique Olivier Aptel, tout juste de retour d’Australie et de Nouvelle Zélande où il vient d’en conclure de nouveaux : « La demande de nos étudiants pour aller là-bas est forte. Nous avons pu facilement signer ces accords grâce à notre triple accréditation ». Equis + AACSB + Amba, trois accréditations que ne possèdent que 68 business schools dans le monde (dont 11 françaises), un triple sésame qui ouvre les portes des meilleures. « Nous cherchons des partenaires en privilégiant ceux qui disposent d’accréditations internationales. Mais si ce n’est pas possible, par exemple en Europe de l’Est, nous nous fondons les classements locaux », assure ainsi François Bonvalet, directeur de Toulouse Business school, une école également « triple accréditée » qui possède son propre campus à Barcelone.
Partenaires depuis quinze ans, Grenoble EM et l’Esca Casablanca ont voulu aller plus loin en 2010 en associant à leur réflexion d’autres établissements africains. C’est là qu’est né l’Institut euro-africain du management (Inseam) qui regroupe aussi bien l’Essec Douala (Cameroun) que l’Iscam de Magadascar ou l’Eneam au Benin. « Il y a beaucoup de points communs entre tous ces pays africains mais aussi beaucoup de différences et nous voulons les analyser pour produire des enseignements spécifiques à l’Afrique », soutient Emmanuel Kamdem, le directeur de l’Essec Douala.
Ouvrir des campus à l’étranger
La Sorbonne à Abu Dhabi, Centrale à Pékin, deux implantations emblématiques de l’enseignement supérieur français suivies de beaucoup d’autres, en particulier pour les écoles de management. « L’Essca est installée à Budapest depuis 1993 et à Shangaï depuis 2006. Pas seulement pour y envoyer nos propres étudiants mais aussi pour y recevoir les étudiants des 177 universités avec lesquelles nous sommes partenaires. Grâce à ces implantations et à ce réseau, aucun de nos étudiants n’a à payer le moindre frais supplémentaire quand il part étudiant à l’étranger », se félicite Catherine Leblanc.
Si ses implantations sont un investissement rentable pour l’Essca ce n’est pas toujours le cas. « Parce qu’elles sont professionnalisantes et tournées vers l’entreprise, nos écoles pensent le plus souvent le développement international en appui de l’internationalisation des entreprises françaises. Encore faut-il trouver le business model du développement international et je ne crois pas trop à la pérennité des financements publics français sur des projets structurants à l’international », assure Yves Poilane, qui a été très « vigilant » sur ce point au sein de ParisTech en s’implantant en Chine avec l’université Jiao Tong (dans le cadre de l’école ParisTech Shanghai Jiao-Tong) sans soutien particulier du gouvernement français. Dans le même esprit, CentraleSupélec a choisi de s’implanter en Inde avec le concours d’un partenaire industriel, Mahindra.
Mais le modèle le plus achevé en la matière reste celui d’ESCP Europe et ses campus de Madrid, Londres, Berlin, Turin, Paris et bientôt Varsovie. « Nous recevons quarante nationalités sur le campus dans le cadre de tous nos programmes. D’abord des Français puis des Allemands, des Italiens et ensuite seulement des Espagnols », confie Javier Tafur, le directeur du campus madrilène d’ESCP Europe, qui confie « À Madrid nous sommes d’abord considérés comme une business school française ou allemande mais nous n’en sommes pas moins en concurrence avec quelques-unes des meilleures business schools du monde comme l’IE ou l’Iese ». S’imposer à l’étranger face à des concurrents locaux, le vrai défi des institutions d’enseignement supérieur françaises pour les années à venir…
L’EMLYON S’INSTALLE A SHANGAI
L’EMLyon et la East China Normal University créent une nouvelle business school : Asia-Europe Business School (AEBS), qui sera implantée dès 2016 sur un nouveau campus à Shanghai. La East China Normal University compte 4 000 enseignants pour plus de 26 000 étudiants, de la licence au doctorat.
Dans un bâtiment de 5 000 m2, le campus d’AEBS sera situé dans le parc d’éducation de Minhang District, à proximité d’un parc technologique accueillant les centres de R & D de grandes firmes internationales et de sociétés chinoises. AEBS s’appuiera sur une pédagogie inspirée du Design Thinking et proposera une gamme de programmes en formation initiale : BBA (licence en quatre ans), Master in Management ainsi que des masters spécialisés dans des domaines en lien avec l’économie chinoise (finance de marché, luxe, management international ou business analytics). L’École prévoit d’accueillir 1500 étudiants à l’horizon 2020 et a, d’ores et déjà, créé un centre de recherche interdisciplinaire sur l’économie de la nouvelle Route de la Soie.