Avec ses 34 000 étudiants, l’Université de Nantes fait partie des plus
importantes de France. Olivier Laboux, son président depuis 2012, commente
avec nous ce qu’est le «modèle nantais» dans l’enseignement supérieur tout
en revenant sur une actualité plus large et notamment sur la loi qui va régir l’enseignement supérieur et la recherche et sera discutée à partir du 22 mai au Parlement.
Olivier Rollot : Alors qu’on ne parle que de «communautés» et de fusions,
Nantes a la chance d’avoir une université unique. Vous devez vous en féliciter chaque jour ?
Olivier Laboux : D’autant qu’il fut un temps où certains, dans les années 80,
préconisaient notre éclatement. Il est clair que la pluridisciplinarité est dans nos
gènes et que c’est aujourd’hui une chance, aussi bien sur le plan de la formation que de la recherche, d’avoir l’ensemble des champs de la connaissance représenté en
notre sein.
Cette unicité se ressent également par notre présence au sein de notre territoire.
Nantes est aujourd’hui une vraie ville universitaire, dynamique et attractive, dans laquelle un habitant sur douze étudie ou travaille à l’université. 75% de nos 70 laboratoires de recherche ont été classés aux meilleurs rangs (A et A+) par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres). Nous avons réalisé un travail immense en trois décennies que je compte poursuivre d’arrachepied.
O. R : Être une université pluridisciplinaire à une époque où on parle tant de
pluridisciplinarité doit être un gros avantage pour les développer ?
O. L : Nous sommes même au-delà. Nous devons cultiver ce temps d’avance dont
nous bénéficions avec un objectif à 10 ans très clair : être la première des universités
interdisciplinaires françaises. Pas en termes d’effectifs, mais en termes de pertinence
des parcours croisés que nous proposons à nos étudiants et en termes de qualité
des projets de recherche que nous menons.
J’ai une conviction profonde : les futures découvertes scientifiques dites de
«rupture», ne pourrons naître que d’approches croisées entre sciences « dures » et
sciences humaines et sociales. Le numérique et la question des usages en est un
excellent exemple. La technologie ne peut pas aujourd’hui se priver d’interroger la
sociologie, la sémiologie, la psychologie, etc.
O. R : Au-delà de l’université, ce sont tous les grands établissement d’enseignement supérieur de la région qui sont unis au sein d’un pôle de recherche et d’enseignement supérieur, L’Unam. Comment expliquer cette excellente collaboration entre les acteurs de l’enseignement supérieur quand, dans beaucoup d’autres régions, on semble encore se regarder en chiens de faïence?
O. L : Là aussi, nous nous inscrivons dans une histoire partagée. 80% de nos unités mixtes de recherche (UMR) sont en co-tutelle avec les organismes de recherche,
l’université et les grandes écoles. Nous avons également beaucoup de diplômes
communs. Tout est hybridé dans l’esprit de ce qu’on a pu appeler, au temps de la
splendeur du FC Nantes, le «jeu à la nantaise» fait de jeu collectif. A Nantes,
l’ensemble des acteurs joue collectif et c’est ça qui fait le modèle nantais
d’enseignement supérieur.
O. R : Comment expliquez-vous cette bonne entente?
O. L : Je crois qu’il faut y voir le poids d’une histoire, d’une ville ouverte sur le monde
où il y a toujours eu beaucoup de brassages de populations, une ville aux racines
commerciales au sein de laquelle tous les acteurs locaux ont toujours dû s’entendre
pour conquérir les marchés. Aujourd’hui on met les bouchées doubles pour montrer
que nous sommes une métropole et une région universitaire d’envergure
européenne. L’enjeu est aujourd’hui de pouvoir se projeter au niveau du Grand
Ouest, par structurations au plans des métropoles (Nantes et Rennes notamment),
des régions et des inter-régions Bretagne et Pays de la Loire. C’est ainsi que nous
pourrons exister au plan européen.
O. R : Et au niveau de la licence, comment vous positionnez-vous dans le débat actuel sur une moindre spécialisation en première année ?
O. L : La licence doit être la plus généraliste possible. Attention à une spécialisation
précoce. Une fois le bac en poche, il n’est pas simple de se projeter avec certitude
dans un cursus. Il faut conserver une capacité de réorientation.
O. R : Le problème de l’échec en licence reste important à l’université. C’est
justement une thématique sur laquelle l’Université de Nantes a beaucoup
travaillé ces dernières années.
O. L : Tout se joue très tôt ! Nous avons fait de l’orientation des lycéens une priorité
stratégique. Nous avons un dispositif extrêmement complet mis en place par notre
mission Université-lycée qui fait un travail remarquable. Et l’intérêt des lycéens et de
leurs parents est plus fort que jamais. Cette année, 1350 lycéens ont participé à nos
journées «Université à l’essai» et ont pu assister à des cours de L1 pendant les
vacances de février. Notre site Internet permet lui de se renseigner sur les filières et
les métiers.
Le premier contact des primo-inscrits avec l’institution est également fondamental et
nous travaillons en ce moment même à une refonte de notre dispositif d’accueil. J’ai
confié cette mission à nos représentants étudiants afin de questionner les pratiques
en la matière au sein de nos 21 composantes, d’unifier notre dispositif d’accueil et
d’être au plus près des attentes de nos étudiants.
O. R : Parmi les difficultés que rencontrent les étudiants pour s’y retrouver il y a la question du nombre trop élevé de spécialités de licence et de masters. Pensez-vous, comme la ministre de l’Enseignement supérieur, qu’il faille en réduire le nombre ?
O. L : C’est illisible, la ministre a raison et nous allons travailler pour simplifier
l’offre.Nous devons penser aux étudiants et aux lycéens. Cette situation renforce des
inégalités déjà trop fortes entre ceux qui ont la chance d’avoir un entourage «initié»,
en capacité de les aider et de les accompagner dans le décryptage d’une offre de
formation complexe, et ceux qui sont se retrouvent seuls, à 17 ou 18 ans, face à leur
choix d’orientation.
O. R : Vous êtes vous-même professeur d’odontologie (dentaire). Quel regard portez-vous sur la PACES, la première année commune aux études de santé, qui a été instaurée en 2010?
O. L : C’est une réforme qui n’a pas répondu aux attentes : le gaspillage humain
persiste et la sélection se fait par l’échec. La nouvelle loi sur l’enseignement
supérieur va nous permettre d’expérimenter d’autres pistes. Nous pourrions par
exemple, comme le préconise la Conférences des doyens de faculté de médecine,
réserver l’entrée en études de santé à un nombre restreint d’étudiants. Mais ce serait
introduire une sélection en licence. Nous pourrions également créer des licences de
santé plus larges qui ouvriraient la médecine aux meilleurs étudiants. Mais il faut en
finir avec cette année de «stérilisation mentale» qu’est cette première année au
cours de laquelle on juge tout sauf la propension des étudiants à s’occuper de
l’Autre.
O. R : On l’a évoqué, une nouvelle loi va régir bientôt l’enseignement supérieur. Quel regard jetez-vous aujourd’hui sur elle ?
O. L : Ce devrait plutôt être une loi corrective. Dans l’état actuel du texte elle semble
laisser une latitude suffisante pour que chacun trouve «chaussure à son pied» dans
son organisation. Dans la région Pays-de-la-Loire nous avons trois universités de
tailles différentes éloignées de 200 km : il faut trouver un modèle qui permette à
chacun de trouver sa place tout en apportant une vraie plus-value.
O. R : Vous n’avez pas l’impression qu’on risque de rogner une autonomie
récemment acquise ?
O. L : Je me réapproprie assez facilement cette citation qui disait que l’autonomie qui
nous a été donnée est une «laisse plus longue avec un collier plus serré». Aujourd’hui notre autonomie budgétaire est plus que relative : près de 80% de notre budget vient de l’État. L’impact des fondations sur le budget des universités n’est par ailleurs que de 1% en France.
O. R : Récemment l’OCDE a estimé que «le relèvement des droits d’inscription
est difficilement contournable si l’on souhaite améliorer la qualité du système
universitaire français». Êtes-vous d’accord ?
O. L : Pas du tout, surtout quand je vois déjà tellement d’étudiants qui rencontrent des
difficultés financières. Ce sont des choix de société, mais pour ma part mon opinion
est très claire : je suis contre le relèvement de droits d’inscription qui seraient
générateurs d’inégalités supplémentaires.
Pour autant certains étudiants pourraient rendre à la collectivité une partie de ce
qu’elle leur a donné. Je pense par exemple aux étudiants de médecine qui pourraient
accepter de travailler six mois ou un an dans les « déserts médicaux » dont la France
souffre tant aujourd’hui.