L’université de Franche-Comté fête cette année ses 600 ans. Pluridisciplinaire elle occupe une place centrale dans l’enseignement supérieur de sa région nous explique sa présidente, Macha Woronoff, très impliquée dans les réformes des études de santé comme de professorat.
Olivier Rollot : Comment définiriez-vous l’identité de l’université de Franche-Comté ?
Macha Woronoff : L’université de Franche-Comté est une université pluriséculaire – nous fêtons cette année les 600 ans de l’uFC et publions deux livres pour présenter son histoire – et pluridisciplinaire qui compte 27 000 étudiants et apprenants. Le centre de linguistique appliquée (CLA), notre centre de formation en français langues étrangères (FLE) est l’un des plus anciens de France.
Notre première responsabilité, c’est à la fois de proposer une insertion professionnelle de premier plan et des conditions de travail les plus confortables possibles à nos étudiants.
Notre deuxième enjeu est de réaliser une recherche d’excellence qui produit des innovations de rupture pour faciliter la vie des uns et des autres. Notre recherche est de niveau mondial, en particulier dans les sciences de l’ingénieur avec le laboratoire Femto-ST et ses sept départements en énergie, optique, mécanique…
Notre troisième mission est de développer un territoire auquel nous apportons de la richesse. 1 euro dépensé dans notre université, c’est 4 euros en retour pour notre territoire ! C’est vraiment dommage que l’on considère toujours l’université comme une dépense alors que c’est un bien commun pour la société. Nous sommes aussi des acteurs économiques !
O. R : Il est vrai qu’on met parfois en cause la moindre insertion professionnelle de vos diplômés.
M. W : Mais qui forme les médecins, les dentistes, les sage femmes, les magistrats ? C’est bien l’université ! Sans parler de tous les autres métiers auxquels nous formons sans être les seuls. C’est une grande frustration pour nous d’être dans un pays qui a du mal à voir la valeur des diplômes au-delà des classes préparatoires aux grandes écoles.
O. R : Cette moindre considération est-elle corrélée cette année avec un défaut de financement de certaines mesures prises plus largement par l’État pour ses personnels et qui ne sont pas compensées ?
M. W : Nous disons « décideurs payeurs » après deux années successives de non-compensation par l’État, dont nous sommes opérateurs, de mesures prises par ce même État. Si l’État veut que nous assurions nos missions, il faut se pencher sur la manière d’y répondre. Si on nous demande d’être dans les premières nations du monde, cela ne peut pas se faire avec des bouts de ficelle.
On nous demande de recruter tous les étudiants – ce sont les rectorats qui fixent le nombre – sans nous en donner les moyens. Nous avons par exemple multiplié par quatre le nombre d’étudiants en médecine en vingt ans mais pas par quatre le nombre de professeurs qui les forment. La société prend bien moins soin des étudiants des universités publiques qu’elle ne le fait des CPGE et des grandes écoles.
O. R : La concurrence de nouveaux acteurs privés, qui se développent notamment grâce à l’apprentissage, vous touche-t-elle ?
M. W : Nous voulons pouvoir former nos étudiants le mieux possible. C’est tout. Nous ne nous sentons pas en concurrence. Il faut que les étudiants soient guidés dans leur choix par la qualité de la formation et de son rayonnement international. Ce qui signifie également que nous devons être vigilants à ne pas laisser des établissements prendre le nom d’université sans en avoir aucun attribut. Un paradoxe qui vogue sur le manque de vigilance de l’État pour défendre le service public.
O. R : Des projets de réforme sont en cours pour des formations que vous délivrez. La formation des professeurs pourrait évoluer et les Institut nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) évoluer. Qu’en dites-vous ?
M. W : On parle effectivement déjà d’une nouvelle évolution alors que la précédente réforme n’a que quatre ans de vie. Faut-il entrer en formation pour devenir professeur dès la licence ou toujours en master comme aujourd’hui ? Peut-on recevoir des étudiants déterminés dès le bac à choisir une majeure disciplinaire éducation ?
O. R : Cela pourrait-il se faire dans l’esprit des licences accès santé (L.AS), avec une majeure généraliste et une mineure éducation ?
M. W : C’est une hypothèse à suivre.
O. R : Et justement là aussi les L.AS, ou du moins certaines d’entre elles, sont remises en cause par la Conférence des doyens de médecine. Quel regard jetez-vous sur ce dispositif qui n’a encore que trois ans et que la Cour des Comptes évalue en ce moment?
M. W : Pour moi c’est incroyablement positif qu’on ait ainsi plus d’étudiants qui trouvent une orientation après deux ans.
Nous recevons beaucoup d’étudiants « diesel » qui ont du mal à apprendre faute de méthodologie. Mais aussi de très bons étudiants qui n’ont jamais vraiment travaillé pour réussir et ont besoin de comprendre comment améliorer leur apprentissage. Qui doivent apprendre à être autonomes, à gérer leur stress. A tous ceux-là, ces deux années de L.AS donnent deux chances d’intégrer l’une des 5 filières de santé MMOPK (Maïeutique, Médecine, Odontologie, Pharmacie et Kinésithérapie). Et s’ils n’y parviennent pas, ils n’ont pas perdu deux ans car ils ont aussi acquis d’autres connaissances.
Le très gros problème c’est que la disparition du redoublement, en PASS comme en L.AS, est souvent incomprise. Mais il faut pouvoir se diriger vers des études très exigeantes pendant dix ans avec un internat de quatre ou cinq ans très éprouvant. Il faut pour cela, à nos étudiants, faire preuve d’une solidité mentale pendant très longtemps quand ils voient leurs amis quitter la vie universitaire après leur master.
O. R : La Conférence des doyens de médecine semble considérer qu’il faudrait se concentrer sur quelques L.AS « logiques » dans l’apprentissage de la médecine : biologie, chimie, physique mais pas droit ou gestion.
L. W : Je ne suis pas d’accord avec la conférence : c’est très intéressant de recevoir en médecine des étudiants qui ont acquis une compréhension du droit ou de la philosophie.
O. R : Vous parlez beaucoup de pédagogie et ce n’est pas par hasard. L’université de Franche-Comté est depuis longtemps en pointe à ce sujet.
M. W : L’université de Franche-Comté a créé un centre de télé-enseignement universitaire en 1965 et est passée depuis de l’enseignement d’une licence en histoire à 18 départements différents. Il y a vingt ans, a été créée une cellule consacrée à la pédagogie qui est devenue le Service universitaire de pédagogie pour les formations et la certification (SUP-FC). Notre Centre d’accompagnement pédagogique (CAP) dispense ses conseils en ingénierie pédagogique mais aussi des formations, des ateliers et dispose de ressources matérielles. Et cela passe par beaucoup d’innovations pédagogiques sur l’approche par problème et projet, l’approche compétences, le développement du numérique, etc.
Nous travaillons pour obtenir des financements pour notre programme « Être étudiant ça s’apprend ! » destiné aux primo-entrants. Avec la Comue UBFC nous avons déjà remporté un NCU (Nouveaux Cursus à l’Université) avec le Programme Hybride d’Aide à la Réussite des étudiants » (Phare) qui permet de développer des outils mis à la disposition des enseignants et des étudiants pour notamment se réorienter en cours de première année. Il faut aller chercher ceux qui pourraient abandonner trop vite !
Tous ces outils sont également destinés à mieux impliquer les étudiants dans leur processus d’apprentissage : comment faire pour qu’un étudiant retienne ce qu’on lui a enseigné ? Retient-on mieux avec les nouveaux outils pédagogiques ? Aujourd’hui les nouveaux maîtres de conférence apprennent à utiliser ces nouveaux outils de formation. Mais l’enjeu est maintenant de pouvoir embaucher plus d’ingénieurs pédagogiques et acquérir plus de licences de logiciels comme Médicamenter, Wooclap et Moodle bien sûr.
O. R : La réussite des étudiants en difficulté passe souvent par un enseignement de proximité. L’université est-elle implantée dans toute la région Franche-Comté au-delà de Besançon ?
M. W : A Besançon nous possédons trois grands campus : un en centre-ville, un au CHU et un à la Bouloie ; et nous sommes également implantés à Belfort, Montbéliard, Vesoul, Lons-Le-Saunier et venons d’ouvrir deux départements d’IUT à Dole où a d’ailleurs été créée l’université en 1423. Il y a parfois un environnement économique qui rend difficile pour les étudiants de venir jusqu’à Besançon ou Belfort. En ouvrant ces campus nous voulons permettre à des jeunes, qui ne pensent pas forcément avoir leur chance de réussite dans l’enseignement supérieur à l’université, d’oser penser l’université.
Dans toutes ces villes, nous délivrons des formations de bonne qualité tout en chouchoutant nos étudiants. Pour cela, nous bénéficions de nombreuses aides des collectivités locales.