Les présidents d’université réunis à La Sorbonne le 3 décembre
Avant l’annonce de la chute du gouvernement Barnier les universités étaient engagées dans un bras de fer inédit avec le gouvernement. Pour la première fois de leur histoire, la quasi-totalité des présidents d’université étaient en effet réunis ce 3 décembre – dont une quinzaine présents à la Sorbonne à Paris et autant à distance – pour protester contre les mesures qu’entendait leur imposer Patrick Hetzel pour construire leur budget 2025. Sans apparemment de dialogue possible après que le ministre ait estimé dans un communiqué qu’« aucune menace budgétaire globale ne pèse sur les universités ». Alors que la chute du gouvernement pourrait dissiper la crainte de nouvelles ponctions sur leur budget, la réaction quasi unanime des présidents d’université montre que le malaise est bien plus profond.
Pour la première fois de leur histoire, l’ensemble des présidents d’université était engagé ce 3 décembre dans un mouvement commun. Une étape importante pour des établissements qui rencontrent de grandes difficultés pour construire leur budget 2025 et reprochent au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), non seulement de ne pas les écouter, mais d’aggraver leurs problèmes. Sans apparemment de dialogue possible. Le 4 décembre Patrick Hetzel devait rencontrer les dirigeants de France Universités mais son communiqué arguant qu’« aucune menace budgétaire globale ne pèse sur les universités » a fait que la conférence a préféré s’abstenir. Le 5 décembre enfin vingt syndicats de l’ESR appelaient dans un communiqué à « une large mobilisation dans l’ESR, avec toute la fonction publique ».
La situation financière des universités selon le MESR. Pour l’année 2025, le budget global du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est « préservé et même en légère augmentation » selon les mots du MESR qui n’en concède pas moins que, « dans le cadre d’un effort de solidarité nationale demandé à l’ensemble des opérateurs publics dans un contexte budgétaire particulièrement tendu », un effort budgétaire de l’ordre de 350 millions d’euros a été demandé aux établissements d’enseignement supérieur. Cette somme, représentant environ 3% du budget cumulé des universités, découle principalement de mesures salariales et de la prise en charge des pensions de retraite.
Avec une trésorerie globale des universités estimée à 4,8 milliards d’euros selon l’analyse de l’exécution budgétaire 2023 de la Cour des Comptes sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » et réévaluée par les services du ministère sur la base des chiffres définitifs de 2023 à 5,7 milliards d’euros, le ministère considère que ces efforts budgétaires « peuvent être absorbés en 2025 par une majorité des établissements ». Une dizaine d’établissements pourraient, néanmoins, rencontrer des difficultés financières accrues en raison de leur vulnérabilité à des charges supplémentaires. La situation des établissements concernés par des difficultés « sera examinée de manière détaillée. Le cas échéant, des interventions financières ciblées seront effectuées en temps utile ».
- Dans un « souci de transparence et pour favoriser un dialogue objectif sur le sujet », le MESR rend publics les chiffres relatifs à la situation financière des universités à fin 2024 (retrouver ici le tableau).
Une mobilisation historique des présidents d’universités. C’est une première historique : le 3 décembre en Sorbonne étaient réunis 14 présidents d’université et autant à distance quand la plupart des autres se disaient solidaires du mouvement. « Depuis 2019 nous avons fait face avec courage et discernement à plusieurs chocs de financement. Pour le budget qui s’annonce ce sont 400 millions d’euros que nous devons mobiliser pour financer le CAS. Ce nouvel effort n’est pas supportable. Il nous force à utiliser nos fonds de roulement pour financer nos dépenses courantes. Cela revient à tourner le dos à nos capacités à nous tourner vers l’avenir » dénonce Edouard Kaminski, président de l’université Paris Cité qui « s’inscrit en faux contre le fait que les universités bénéficient d’une trésorerie libre ». Edouard Kaminski propose donc qu’on utilise plutôt 0,5% du Crédit impôt recherche. « Nous ne savons jamais comment le budget va évoluer. Nous sommes constamment soumis à de nouvelles décisions au point qu’on nous demande de ne plus travailler en mode pluriannuel », complète Romain Huret, le directeur de l’Ehess.
Le mouvement a démarré le 21 novembre lors d’une assemblée générale de France Universités, a conduit une délégation de présidentes et de présidents à obtenir un rendez-vous en urgence auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Patrick Hetzel. Lors de cet entretien, les présidents ont « manifesté leur colère et leur incompréhension vis-à-vis d’un projet de loi de finance 2025 toujours plus contrainte et précipitant l’ensemble des universités dans une situation extrêmement grave d’un point de vue financier » selon le communiqué de France Universités, qui insiste : « Bien que les universités aient déjà contribué aux efforts requis par la situation économique du pays en encaissant des surcoûts massifs liés à des mesures salariales et aux hausses des prix de l’énergie, le gouvernement persiste à leur imposer, sans financement, une augmentation des dépenses salariales en relevant, entres autres, leur contribution au compte d’affectation spéciale des pensions, le CAS ».
C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Alors qu’un nouveau prélèvement de 1% de leur budget, destiné à constituer un fonds de solidarité entre les établissements, semble finalement avoir été abandonné, le gouvernement a décidé de relever leur participation au Compte d’Affectation Spéciale pension (CAS). Un surcout que l’Université Grenoble Alpes estime par exemple de presque 5,5 millions d’euros pour son budget 2025. L’université de Bordeaux l’estime quant à elle à presque 5,7 millions d’euros.
Toujours pour l’université de Bordeaux, les mesures salariales décidées depuis 2022 auraient ainsi représenté une charge supplémentaire non compensée de 14,7 millions d’euros. A cette dépense supplémentaire de masse salariale se sont ajoutées les dépenses exceptionnelles de fluides sans soutien spécifique sur subvention de l’État dont le surcoût cumulé s’élèverait à 10,4 millions d’euros entre 2021 et 2024. Ces mêmes mesures salariales auraient représenté un reste à charge de 20 millions d’euros depuis 2022 pour l’Université Grenoble Alpes et Grenoble INP – UGA.
« Cette fois-ci, la marche est beaucoup trop haute pour les universités. Cette situation va significativement aggraver la situation budgétaire des établissements et va dégrader inévitablement leur fonctionnement ainsi que leur capacité d’investissement, au détriment de la bonne mise en œuvre de leurs missions de formation, de recherche et d’innovation. Certains établissements pourraient même se trouver en cessation de paiement d’ici la fin de l’année 2025 », s’indignent les présidentes et présidents des universités de Nouvelle-Aquitaine dans un communiqué.
« Utilisez votre trésorerie ! ». Face aux protestations des présidents d’université le MESR leur demande de puiser dans leur trésorerie cumulée, dont « on sait pertinemment que ce n’est pas de l’argent qui dort », stigmatise France Universités. En effet, la majeure partie de la trésorerie d’un établissement étant gagée sur des opérations ciblées et contractualisées, elle ne « peut donc être réorientée sur des dépenses courantes telles que les factures d’électricité, les salaires des personnels des universités et encore moins les pensions ». « Cet argent nous est accordé dans le cadre de projets de recherche dont nous devons ensuite justifier l’utilisation », insiste Nathalie Drach-Temam, présidente de Sorbonne Université quand Christine Neau-Leduc, présidente de l’université Panthéon-Sorbonne s’indigne : « Utiliser de la trésorerie gagée pour du fonctionnement courant c’est faire de la cavalerie ».
Même son de cloche du côté des universités de Nouvelle Aquitaine : « L’État ne peut se satisfaire de cette situation en invoquant un niveau de trésorerie important des universités. Il ferme les yeux sur le fait que cette trésorerie est déjà gagée par des projets stratégiques ou d’investissements dédiés à la rénovation du patrimoine immobilier et à l’acquisition d’équipements scientifiques ».
En l’absence de réponse concrète « devant cette nouvelle marche infranchissable de dépenses non compensées », les universités ont décidé, à l’issue de l’assemblée générale de France Universités du 26 novembre, de déclarer la journée du 3 décembre journée de mobilisation « universités en danger ». L’université de Lille a par exemple été fermée toute la journée alors qu’aucun cours n’était délivré à Reims ou Avignon.
Des mesures de simplification budgétaires. « Conscient des freins structurels pesant sur la capacité des présidents d’université à agir sur le plan budgétaire », le MESR a publié in extremis le 3 décembre un décret visant à introduire plus de souplesse et à simplifier la gestion financière des établissements d’enseignement supérieur. Celui-ci prévoit notamment la simplification de l’architecture budgétaire des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), la suppression de l’obligation d’autorisation préalable du recteur de région académique pour le prélèvement sur les réserves et la suppression du critère de la perte au compte de résultat sur deux comptes financiers successifs pour entrer dans un plan de retour à l’équilibre financier. Celle-ci est remplacée par une analyse de soutenabilité budgétaire qui « est satisfaite lorsque les seuils fixés par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur et du ministre chargé du budget pour la trésorerie, le fonds de roulement et les charges de personnels sont respectés ». Enfin, pour « parvenir à l’équilibre réel, le conseil d’administration peut autoriser un prélèvement sur la trésorerie et sur le fonds de roulement de l’établissement ».
Une réforme plus profonde était initialement envisagée pour 2025 alors que, selon le MESR le « modèle actuel, en place depuis de nombreuses années, n’a pas suffisamment évolué pour prendre en compte les trajectoires différentes des établissements, engendrant des disparités importantes entre établissements et ne permettant pas de répartir les ressources de manière optimale ». Pour remédier à cette situation, une « révision en profondeur du système d’allocation des moyens alloués aux universités » aurait dû être engagée dès le premier semestre 2025, avec une application prévue pour 2026.
Le problème est plus profond. « Disons-le simplement : l’État n’est plus capable de financer le service public qu’il nous demande d’assurer », dénonce Stéphane Braconnier, le président de l’université Paris 2 Panthéon-Assas. Un service public qui passe aussi par la création de sites délocalisés… très menacés dans leurs financements. « Si on ferme des sites délocalisé ce sont des étudiants qui ne feront pas d’études », s’inquiète Carine Bernault, présidente de l’université de Nantes. Quant à la question de l’augmentation des frais de scolarité pour financer les universités, il « précariserait encore plus les précaires », signifie le président de l’université de Créteil, Jean-Luc Dubois-Randé.
Le débat se place également sur la question des appels à projet et de l’ensemble des financements non pérennes. « L’État fait-il confiance à ses universités ? Nous devons répondre chaque année à un nombre de projets de plus en plus important. Si on nous faisait confiance on nous confierait des budgets sans nous évaluer toutes les deux secondes sous prétexte que nous ne serions pas performants », remarque Nathalie Drach-Temam quand Camille Gallap, président de l’université Paris-Saclay, se demande « comment pérenniser des projets sur le temps long après les financements de départ » ?
Un état d’esprit qui fragilise toute la communauté universitaire selon Edouard Kaminski : « Si on se réfère à l’histoire de l’université Paris Cité, et comment nous avons travaillé à en faire une grande université internationale, cela a demandé énormément à nos communautés. Aujourd’hui l’argent que l’on nous demande de trouver, soit 9 millions d’euros, correspond à une année de formation en santé, ce n’est pas acceptable. Derrière nous les personnels poussent très fort ; il y a un risque de rupture entre nos communautés et la puissance publique ».
Un débat qui va encore plus loin analyse Romain Huret : « Nous sommes là pour défendre la jeunesse face à des choix éminemment politiques. On parle beaucoup de défense des personnes âgées dans le débat public mais il y aussi un problème de redistribution intergénérationnelle. Qu’est-ce qu’on donne à la jeunesse française ? Sa santé mentale, sa difficulté à se projeter ce sont nos problèmes quotidiens. Déjà avec le Covid une partie de la jeunesse a déjà été sacrifiée ! »
Et maintenant ? Dans un communiqué l’université de Bordeaux signifie que si les revendications des universités n’étaient pas prises en compte, l’État prendrait la responsabilité de contraindre les universités à n’avoir d’autres choix que de :
- baisser les capacités d’accueil sur Parcoursup et donc le nombre de places pour les futurs bacheliers ;
- réduire leurs offres de formation :
- fermer des sites universitaires de proximité ;
- revoir à la baisse voire interrompre la rénovation de son patrimoine immobilier,
- réduire le niveau de service, par exemple le nombre de bibliothèques universitaires ou leur amplitude d’ouverture ;
- basculer une partie des enseignements à distance pendant la période hivernale.
Autant de décisions douloureuses que pourraient prendre les présidents d’université. « Nous ne pouvons rien lâcher. Aujourd’hui si nous fermons d’abord une formation de psychomotricien c’est parce qu’elle n’est absolument pas financée par l’État. Pour l’heure, il s’agit d’une réduction drastique du nombre de places pour 2025 mais à terme, si les pouvoirs publics restent sourds à nos appels, c’est la disparition totale de cette formation qui va impacter le monde du paramédical et allonger encore et toujours plus les listes d’attentes pour des patients en besoin de soins psychomoteurs », se désole Nathalie Drach-Temam quand Jean-Luc Dubois-Randé promet : « Il y aura encore des mobilisations. Et des mobilisations d’étudiants ».