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« L’IAE de la Nouvelle Calédonie a été créé pour former ses cadres » : Virginie de Barnier, directrice de l’IAE

Virginie de Barnier

C’est un poste exposé mais passionnant. Virginie de Barnier, la directrice de l’IAE de la Nouvelle Calédonie, revient avec nous sur ses trois années passées à la direction de l’IAE depuis sa création en 2021. Si les émeutes de mai 2024 ont fragilisé le modèle de développement de son institution elle n’en reste pas moins optimiste.

Olivier Rollot : C’est le dernier né des IAE (instituts d’administration des entreprises). Comment est né l’IAE de la Nouvelle Calédonie et comment en êtes-vous devenue la première directrice ?

Virginie de Barnier : Le projet d’aide à la création d’un IAE en Nouvelle-Calédonie date de 2019. A l’époque l’université de Nouvelle-Calédonie est conseillée par un professeur qui avait enseigné auparavant à Aix-Marseille Université. J’étais moi-même directrice de l’IAE d’Aix-Marseille et il me demande de parrainer cette création qui a lieu en septembre 2020. La même année j’affronte la crise du Covid et j’estime qu’il est temps pour moi de ne plus diriger l’IAE. Je décide alors de suivre le cycle de formation de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale). Beaucoup de possibilités s’offrent alors à moi, dont celle d’intégrer l’Université de Nouvelle-Calédonie pour y diriger l’IAE nouvellement créé. Lors de mon arrivée sur le territoire calédonien, en septembre 2021 j’organise la première rentrée des Master et je suis élue première directrice de l’IAE de la Nouvelle-Calédonie en novembre 2021.

O. R : Quelle est la mission que l’université a confiée au tout nouvel IAE ?

V. de B. : Suite aux accords de Nouméa de 1998 il a été décidé de rééquilibrer l’offre de formation. Il s’agissait de former des calédoniens d’origine afin qu’ils puissent prendre des responsabilités. L’université de Nouvelle-Calédonie, créée en 1989 devait répondre aux besoins de formation et de recherche propres à la Nouvelle-Calédonie et préserver la culture à travers l’enseignement des langues kanak et océaniennes. Cet objectif s’inscrit dans la politique de rééquilibrage entre les communautés du pays, la valorisation des cultures kanak et la co-construction d’un « destin commun ». L’université de Nouvelle-Calédonie répond à une mission assez différente de celle des autres universités.

Au fil du temps on s’est rendu compte que les diplômés de la nouvelle université intégraient davantage les administrations que les entreprises. D’où la création d’abord d’un IUT, pour former des employés, puis d’un IAE pour former des cadres pour intégrer les postes clés dans les entreprises de Nouvelle-Calédonie.

O. R : Quels programmes dispense l’IAE ?

V. de B. : Nous recevons aujourd’hui une centaine d’étudiants dans deux masters, MAE et Miage, une licence tourisme au Vanuatu, un diplôme d’étudiant entrepreneur avec le réseau PEPITE et un DU Handicap, Inclusion et Management (Diplôme d’Université). Une première diplomation a eu lieu dès 2021 et nous avons la satisfaction de voir évoluer des formations très importantes pour le territoire.

Virginie de Barnier avec ses étudiants

O. R : Vous dites être également présent au Vanuatu ? Où est-ce ?

V. de B. : Le Vanuatu est un pays indépendant situé entre la Nouvelle-Calédonie et les Fidji qui compte plus de 80 iles. Nous y dispensons une licence tourisme bilingue en français et en anglais qui fonctionne très bien. Au-delà du Vanuatu nous faisons de la recherche dans le cadre du PIURN, un consortium de quinze universités du Pacifique, sur les questions d’insularité, de tourisme durable et les défis liés au changement climatique.

O. R : Quels sont les grands enjeux de l’IAE pour l’activité économique du territoire ?

V. de B. : La présidente de notre conseil d’administration est la présidente du Medef de Nouvelle-Calédonie. Elle est très investie car il y a une vraie demande des entreprises pour former les talents qui leur manquent. L’insertion professionnelle de nos diplômés de master est de 100%. Le problème est de leur laisser terminer leurs études tant ils sont sollicités par les entreprises ! Ce problème est de plus en plus fréquent car beaucoup de cadres ont quitté le territoire suite aux émeutes de 2024.

O. R : Parlons-en. Ces émeutes ont dû être traumatisantes pour les équipes et les étudiants de l’IAE ?

V. de B. : Nous n’avons jamais totalement fermé. Nous devions rester chez nous puisqu’il était interdit de circuler sur l’ile mais les cours ont pu être dispensés en ligne. Nous avons mis en œuvre le même dispositif que pour le Covid mais avec une différence notable : beaucoup d’étudiants ici n’ont pas de connexion internet illimitée. Notre chance a été que la plupart des étudiants de l’IAE étaient en stage ou en alternance pendant cette période.

Par ailleurs en tant que chargée des relations internationales de toute l’université j’ai dû organiser le rapatriement des étudiants internationaux dans leur pays. Beaucoup d’Australiens et de Néo-Zélandais qui voulaient partir mais ne le pouvaient pas car l’aéroport était inaccessible, bloqué par des barrages. Heureusement nous avons pu les rapatrier avec des vols militaires assez rapidement.

Certains n’ont d’ailleurs pas voulu partir pour « vivre un moment historique » et comprendre ce qui se déroulait. Ils sont restés volontairement dans les résidences universitaires, comme toute la population chez elle, pendant près de trois semaines.

O. R : Après ces deux années passées à la direction de l’IAE de la Nouvelle-Calédonie, quel sentiments vous inspire votre expérience ?

V. de B. : La Nouvelle-Calédonie est un territoire extrêmement attachant. Son université fonctionne très bien. La grande différence avec l’hexagone c’est qu’ici on a à chaque instant le sentiment d’être utile, d’aider un pays, une jeunesse à se construire. Ici notre métier prend tout son sens avec un résultat que l’on voit tout de suite. C’est beaucoup de fierté pour nous de voir nos étudiants réussir et manifester leur reconnaissance envers nous, et notre investissement dans leur réussite, alors que nous sommes si loin de chez nous. C’est pour cela que j’ai demandé à poursuivre dans mon poste.

O. R : Alors que la situation est aujourd’hui moins tendue comment se porte l’IAE ?

V. de B. : Beaucoup de gens quittent aujourd’hui la Nouvelle Calédonie et cela devrait encore s’accentuer en juillet-août prochain avec les rentrées en métropole qu’attendaient beaucoup de parents. Pour notre part nous avons perdu quelques étudiants, notamment parce qu’il n’y a toujours pas de bus pour circuler. Pour y remédier nous leur louons des vélos à 1,5€ par jour ou 20€ par mois. Cela a tellement de succès que nous n’en avons pas assez pour tous !

C’est une situation très atypique mais passionnante quand on voit la résilience des Océaniens dans leur ensemble. Ils sont choqués mais restent optimistes quant à la reconstruction de leur pays. Ils sont persuadés qu’il va sortir quelque chose de bien de tout cela. Ils sont bien plus optimistes qu’à Aix-en-Provence ! Nous sommes bien loin de la morosité qu’on ressent dans l’hexagone .

O. R : Une question plus politique. Qu’est-ce qui peut bloquer aujourd’hui la situation ?

V. de B. : Un des points d’achoppement reste cette liste électorale gelée après les accords de Nouméa. Aujourd’hui beaucoup de nos étudiants n’ont pas le droit de vote alors que certains sont nés sur le territoire et y vivent depuis des années. Mais les non kanaks doivent prouver qu’ils ont un intérêt particulier sur le territoire, avec des conditions très complexes à réunir, si leurs deux parents ne sont pas nés sur le territoire.

Quand je dis à mes étudiants « vous vous entendez très bien entre vous sur le campus, pourquoi ne pas travailler ensemble à une solution politique ? » et qu’ils me répondent qu’ils « n’ont pas le droit de vote » comment leur demander d’avancer ?

 

 

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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