A la dernière rentrée Isabelle Huault a pris la direction d’une emlyon qui a connu bien des crises ses dernières années. Gouvernance, actionnaires, développement international, recrutement son regard à quelques mois de la publication d’une nouvelle stratégie.
Olivier Rollot : Vous avez pris la direction d’emlyon cette rentrée. Une école que vous connaissez bien pour en être vous-même diplômée. Mais une école forcément très différente de l’université Paris Dauphine-PSL que vous dirigiez depuis 2016 ?
Isabelle Huault : emlyon et Paris-Dauphine ont des activités semblables. Elles promeuvent toutes deux la recherche, délivrent des connaissances, des programmes de formation. Je n’ai pas changé de métier, ni d’identité professionnelle, en passant de l’une à l’autre ! Les fondamentaux sont identiques. Les différences résident dans la gouvernance – la démocratie universitaire – et dans le modèle économique. Mais je tiens à rappeler que 50% des ressources de Dauphine-PSL lui sont propres. C’est une université hybride, à la fois membre de la Conférence des Grandes Écoles (CGE) et de la Conférence des Présidents d’Université (CPU).
O. R : Ces derniers mois on a plus parlé d’emlyon pour des questions de gouvernance, de structure capitalistique et de réduction de la durée de son grade de master que pour sa qualité académique. Aujourd’hui considérez-vous que ces questions sont derrière vous ?
I. H : emlyon a traversé une période de transition avec l’évolution de sa structure juridique et capitalistique. A la différence des évaluateurs internationaux, ce changement de capital a forcément beaucoup intrigué les parties prenantes externes. Aujourd’hui il nous faut expliquer et stabiliser, le modèle notamment dans sa valeur académique. Si demain emlyon déclinait, perdait ses accréditations, baissait dans les classements, tout le monde serait perdant. Sur tous ces points nous bénéficions d’un véritable alignement entre la direction générale de l’école et les fonds Qualium et Bpifrance qui nous soutiennent.
Je rappelle que nos investisseurs ne sont pas entrés dans le capital de l’École dans n’importe quelles conditions. Après la crise de financement qu’ont connu les chambres de commerce et d’industrie, c’est un modèle spécifique qui a été construit. Le principe du pacte d’actionnaires est à la fois de garantir le maintien de l’excellence académique – et donc des accréditations -, l’absence de versement de dividendes pendant les premières années, la promesse de rester au moins cinq ans au capital de l’École – c’est-à-dire un cycle académique – et le maintien de sa mission d’intérêt général. La présence de Bpifrance, le fait que la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Roanne reste majoritaire, la présence au capital des salariés et bientôt des alumni sont autant de gages de la non-financiarisation de l’École.
O. R : En janvier 2021 vous allez présenter un nouveau plan stratégique. Le fonds Qualium a-t-il son mot à dire ?
I. H : Nous établissons ce plan stratégique dans une démarche collégiale qui inclut tous les collaborateurs comme les directions. Nous voulons que tous se l’approprient.
Ce plan se décide au niveau de l’École et le fonds nous en laisse la maîtrise. Nous le lui présenterons pour avis à mi-parcours et pour la validation finale.
O. R : L’objectif d’atteindre un chiffre d’affaires de 170 millions d’euros en 2023 – contre 120 M€ aujourd’hui – qui faisait partie du précédent plan stratégique sera-t-il maintenu ?
I. H : Il est trop tôt pour en parler. Nous ne sommes pas encore dans la traduction budgétaire de nos objectifs.
O. R : Le BBA de emlyon n’est pas dispensé à Lyon mais à Paris et Saint-Etienne. A Lyon ce sont l’Esdes, l’Essca et même BSB qui délivrent des bachelors. Pourquoi se priver d’un relai de croissance aussi évident ?
I. H : Nous réfléchissons à la création d’un BBA à Lyon, tout en le maintenant également à Saint-Etienne où il correspond à de vrais besoins locaux. D’ailleurs le taux de satisfaction de nos étudiants y est parmi les plus élevés.
O. R : Le statut de société anonyme vous paraît-il adapté à la gestion d’une institution d’enseignement ? Pourquoi ne pas adopter celui de « société à mission » ?
I. H : Nous souhaitons clairement nous orienter vers le statut d’entreprise à mission, notamment parce que nos diplômes sont visés par l’Etat. La raison d’être d’un établissement d’enseignement supérieur est d’agir pour l’intérêt social, le bien commun et il faut rassurer toutes les parties sur nos objectifs.
O. R : Autre question stratégique pour emlyon : où en est le déménagement de vos locaux dans le centre-ville de Lyon, à Gerland ?
I. H : Avec la crise sanitaire nous avons pris un peu de retard et nous pensons nous implanter dans le quartier de Gerland début 2024. Nous procéderons à l’acquisition des terrains dans les prochaines semaines et les travaux pour construire notre « Hub » de 30 000 m2 débuteront au premier trimestre 2021.
Mais cette initiative est beaucoup plus qu’un projet immobilier. C’est aussi un nouvel environnement qui nous donne des capacités de croissance grâce à un meilleur agencement des espaces. Nous aurons ainsi plus de salles de petite taille ou d’espace collaboratifs pour développer la pédagogie par projet. En organisant des plages horaires plus larges tout en maintenant les acquis du travail à distance, c’est tout un projet éducatif qui se projette dans ces nouveaux locaux.
O. R : Beaucoup de responsables de différents services de emlyon ont changé de poste ces derniers mois. Votre structure est-elle stabilisée ?
I. H : Nous avons effectivement renouvelé l’équipe avec l’arrivée d’Annabel-Mauve Bonnefous à la direction des programmes, Sylvie Jean à la direction du programme Grande école et bientôt Nicolas Pejout en tant que directeur de la stratégie et du développement. Au sein du directoire il rejoint Annabel-Mauve Bonnefous et la doyenne de la Faculté, Tessa Melkonian. Une équipe renouvelée donc mais en s’appuyant sur des personnes plus anciennes comme Tugrul Atamer, qui a assuré l’intérim à la direction et nous éclaire sur les enjeux de l’École.
O. R : Vous envisagez l’arrivée d’un autre membre dans le directoire ?
I. H : Les statuts prévoient que nous pouvons aller jusqu’à cinq membres ; donc c’est possible.
O. R : emlyon emploie aujourd’hui de l’ordre de 175 professeurs permanents. Allez-vous en recruter de nouveaux dans les années à venir ?
I. H : Nous venons d’en recruter 10 nouveaux et nous voulons maintenir cette cadence de recrutement pour proposer un taux d’encadrement satisfaisant et des capacités de recherche qui correspondent à notre rang. Je note d’ailleurs qu’emlyon est très attractive auprès des professeurs internationaux comme des doctorants qui nous viennent des meilleures universités dans le monde.
O. R : Quels développements prévoyez-vous à l’international. On parlait beaucoup de l’Inde où en êtes-vous ? Et comment se comportent vos campus en Chine et du Maroc ?
I. H : Notre campus chinois de Shanghai fonctionne très bien et la marque emlyon y est dynamique dans le cadre de notre accord avec l’université d’East China Normal University (ECNU). A Casablanca nous possédons un très beau campus que nous souhaitons encore développer. En Inde nous sommes déjà installés à Bhubaneswar où nous délivrons des formations sur le management du sport en partenariat avec la Xavier University. C’est une belle porte d’entrée pour développer maintenant un campus plus généraliste à Bombay. Et nous réfléchissons également à une implantation en Amérique du Sud ou Centrale dans les prochaines années.
Nous nous implantons dans des zones où les besoins en éducation sont importants pour nous inscrire dans des écosystèmes locaux en lien avec des incubateurs, des partenaires socio-économiques et scientifiques, en nous appuyant aussi sur nos alumni, dans une perspective de « glocalisation » : faire rayonner la marque partout dans le monde tout en s’appuyant sur les spécificités locales.
De plus, avoir des campus à l’international nous permet de maintenir notre activité en période de pandémie. Aujourd’hui nous accueillons sur les campus à l’étranger, des étudiants internationaux qui ne pourraient pas se rendre en France : les étudiants africains peuvent ainsi se rendre au Maroc en bénéficiant de l’ensemble des ressources de l’École.
O. R : Où en êtes-vous de vos accords avec les autres établissements d’enseignement supérieur lyonnais, notamment votre voisine de Centrale ?
I. H : Nous avons repris langue avec Centrale Lyon mais aussi Mines Saint-Etienne avec laquelle nous entretenons des relations privilégiées. Nous dispensons avec ce dernier un Master spécialisé en Health Management and Data Intelligence. Avec l’Ecam Lyon nous avons un autre Mastère spécialisé en Management de la transition énergétique. Et puis nous envisageons une collaboration intense avec la Cité du Design de Saint-Etienne pour créer ensemble des formations.
L’hybridation est aujourd’hui un élément essentiel de notre stratégie. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de connaissances univoques alors que l’évolution des métiers requiert des regards pluridisciplinaires pour former des citoyens éclairés et responsables.
O. R : L’actualité est terrible pour le monde éducatif avec l’assassinat de Samuel Paty. Comment gérez-vous la liberté académique de vos enseignants ? Y a-t-il des thèmes que vous savez éruptifs ? Qu’il faudrait éviter ?
I. H : La liberté académique des enseignants est un principe constitutionnel inscrit dans la loi pour les universités publiques. Elle est essentielle dans le milieu de l’enseignement supérieur de manière générale. Le pluralisme des enseignements est une donnée capitale pour apprendre à se faire sa propre opinion. Il ne faut surtout pas s’autocensurer.
O. R : La question des violences sexuelles et sexistes reste un sujet prégnant dans les écoles de management françaises. On le sait c’est un sujet auquel vous étiez déjà particulièrement attentive à Paris-Dauphine. Vous venez également d’agir à emlyon.
I. H : La mission d’emlyon est de promouvoir l’ouverture et le respect mutuel. Nous devons faire de l’École, et des établissements d’enseignement supérieur de manière générale, des espaces de formation et de lutte contre les discriminations, les violences sexuelles et sexistes qui sont de véritables plaies de la société. Nous avons donc créé il y quelques semaines une cellule de veille que tout étudiant ou tout membre du personnel peut saisir, ainsi qu’un programme de lutte contre les discriminations, qui passe par la sensibilisation et la formation de l’intégralité des parties prenantes de l’École. Déjà ce sont trois étudiants d’emlyon qui ont lancé le mouvement « Balance ton stage » pour dénoncer le sexisme en entreprise. Une action qui a permis la publication d’un guide pédagogique à destination des étudiants.
O. R : Vous prévoyez d’autres actions, notamment dans la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ?
I. H : Nous voulons mettre l’accent sur la RSE en général et, plus spécifiquement, sur les enjeux environnementaux, tant les domaines de la recherche que de la formation.
De même nous voulons accroitre la diversité de notre recrutement en réactivant notre Fondation de façon à ce qu’elle propose plus de bourses et fasse vivre nos accords avec les lycées partenaires pour notre programme ‘Egalité des chances’
Enfin nous allons développer les formations en apprentissage alors que c’est un domaine dans lequel nous sommes peu présents aujourd’hui. Nous allons pour ce faire créer notre propre CFA (centre de formation d’apprentis) dès 2021.
O. R : Comme tout l’enseignement supérieur emlyon subit les conséquences de la pandémie. Comment vos étudiants vivent-ils ces moments ?
I. H : Dans le respect des mesures barrière bien évidemment. Nous essayons de faire venir sur le campus tous les primo-arrivants alors qu’ils n’ont pas pu venir sur le campus lors des oraux. Nos étudiants sont très demandeurs de présence physique, notamment pour faire vivre le très riche tissu associatif de l’École.
O. R : Les relations entre emlyon et les classes préparatoires se sont dégradées ces dernières années. Qu’allez-vous faire pour les améliorer ?
I. H : Nous voulons reconstruire le dialogue avec les classes préparatoires et Sylvie Jean y travaille. Il faut retrouver le lien, dire aux élèves à quel point ils sont les bienvenus. Notre pédagogie « early maker » est très différenciante, mais elle mérite d’être mieux expliquée : elle allie un socle de connaissances fondamentales et la pédagogie par l’action, l’expérience, l’expérimentation. Elle met aussi l’accent sur l’altérité, la collaboration ; l’ensemble de ces éléments visant à mieux comprendre la complexité et à façonner le monde de demain.
Je connais particulièrement bien les vertus des classes préparatoires pour en avoir moi-même été une élève, les capacités de travail et d’organisation qu’elles apportent outre l’acquisition d’un socle culturel très important ; à la fois pour la suite des études et pour l’employabilité des étudiants.
Nous souhaitons désormais mieux équilibrer les effectifs de notre programme Grande école entre les élèves issus de classes préparatoires et les admis sur titre (AST). Nous allons stabiliser la part de ces derniers, voire la diminuer pour faire la part belle aux élèves de classes préparatoires, aux AST internationaux et aux AST issus d’autres disciplines que l’économie et la gestion.
O. R : C’est la question de l’année dans les classes préparatoires. L’Edhec a-t-elle dépassé emlyon dans le choix des préparationnaires ?
I. H : Comme vous le savez ce résultat est issu d’une statistique que les écoles de management ont choisi de ne pas publier cette année. Ce que je peux indiquer c’est notre excellente place dans les classements. emlyon business school se classe cette année au 4ème rang des universités françaises pour les thématiques Management et Business Administration dans le classement de Shanghai ARWU 2020. Le Programme Grande École se hisse au 10ème rang mondial des meilleurs masters en management (4ème en France) d’après le dernier QS Rankings et nous progressons également dans le classement des masters in management du Financial Times. Les fondamentaux de emlyon sont solides.
Une nouvelle direction ambitieuse qui vient relancer une école avec de beaux projets !