Après avoir rencontré tous les acteurs de l’enseignement supérieur français, le comité sur la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur (StraNES) vient de rendre un rapport d’étape au ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Sa présidente, Sophie Béjean (@sophiebejean), également présidente du Cnous et de Campus France, et son rapporteur, Bertrand Monthubert (@b_monthubert), président de l’université Toulouse 3 Paul-Sabatier, reviennent sur quelques-unes de leurs préconisations pour améliorer le fonctionnement de notre enseignement supérieur et, en particulier, de l’orientation des jeunes.
Olivier Rollot (@O_Rollot): Les 25 membres de votre comité semblent s’être particulièrement investis
Bertrand Monthubert: Oui, ils ont effectué un travail remarquable dans un exercice nouveau puisque nos propositions ne seront pas suivies par une loi, mais par la présentation au parlement de priorités stratégiques, déclinées en objectifs. Il s’agissait aussi d’établir de nouvelles relations entre l’État et ses opérateurs à décliner ensuite dans un plan d’actions. Nous avons rendu un premier rapport d’étape qui sera suivi d’un rapport final au début de l’automne. Ensuite peut-être que le comité continuera à se réunir pour assurer un suivi de ses propositions.
Sophie Béjean: Elaborer une stratégie, c’est d’abord établir un diagnostic et une vision prospective. Nous avons choisi de nous appuyer résolument sur les forces de l’enseignement supérieur français, mais aussi de mettre le doigt sur ses faiblesses et de faire des propositions pour les dépasser.
O. R : Une de vos principales propositions est de faire progresser le pourcentage de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur à 60% (la France se situe aujourd’hui un peu au-dessus de 40%). Y a-t-il une corrélation évidente entre ce pourcentage et la réussite d’un pays alors qu’on sait que l’Allemagne dépasse à peine les 30% ?
B. M : Avec sa structure décentralisée, l’Allemagne est un pays singulier et ses données pas toujours comparables, notamment sur le niveau équivalent au BTS qui est mal comptabilisé. Surtout l’Allemagne fonctionne avec un système d’apprentissage très développé qui n’est pas comptabilisé dans l’enseignement supérieur. Pour fixer l’objectif de diplomation, nous nous sommes fondés sur les besoins en qualifications établis notamment par France Stratégie et qui établissent les tensions à venir sur le marché de l’emploi pour les diplômés de l’enseignement supérieur, ainsi que sur les taux atteints dans les premiers pays de l’OCDE.
S. B : Ces objectifs chiffrés sont associés dans notre proposition à la nécessité de développer les compétences transversales, transférables, pour améliorer l’employabilité des diplômés. Obtenir un bon niveau de formation, c’est pouvoir évoluer et sécuriser son parcours professionnel.
O. R : Vous insistez sur la qualité des formations et leur nécessaire contrôle.
B. M : Lors de nos auditions beaucoup ont insisté sur l’insuffisante qualité des formations proposées par certains établissements privés. La médiatrice de l’Éducation nationale a également signalé beaucoup de plaintes dans son rapport cette année. Dans l’enseignement supérieur public, des procédures d’évaluation, d’habilitation et maintenant d’accréditation garantissent la qualité. De plus, nous bénéficions d’une homogénéité de la qualité des formations publiques comme il y en a dans peu d’autres pays.
S. B : Notre mission comprend tout l’enseignement supérieur dont le privé et nous réfléchissons à la place qu’il doit y occuper car, aujourd’hui, 1 étudiant sur 5 est dans le privé. Le secteur privé étant très hétérogène, il y a un grand besoin d’informations des jeunes et des familles. Les formations privées reconnues par l’État devraient donc être évaluées et faire l’objet d’une information transparente. Il faut par ailleurs progresser dans l’information sur les débouchés professionnels des filières de formation en créant des outils permettant de comparer les formations discipline par discipline, ce qui exige bien sûr une contextualisation de ces indicateurs. Au-delà de sa mission d’évaluation et d’information sur la qualité, le futur Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur pourrait y contribuer.
O. R : Dans votre rapport vous parlez de « partager » le droit d’accès dans l’enseignement supérieur des bacheliers entre les différents types d’établissements d’enseignement supérieur. En quoi cela consisterait-il ?
B. M : Nous sommes dans une situation invraisemblable où les filières générales de l’université sont les seules à devoir recevoir tous les bacheliers. Or certains font de tous autres souhaits et arrivent à l’université par défaut sans parvenir à obtenir la formation de leur choix et la plus adaptée. La loi sur l’enseignement supérieur du 22 juillet 2013 prévoit justement une forme de priorité pour les bacheliers technologiques en IUT et pour les bacheliers professionnels en STS sans en faire pour autant une obligation.
S. B : Notre proposition est d’expérimenter la mise en place de conseils d’orientation postbac qui réuniraient les différents acteurs publics pour donner des préconisations d’orientation selon chaque profil. Un bachelier technologique ou professionnel refusé en IUT ou en STS qui ne veut pas aller en licence doit pouvoir être aidé pour obtenir son premier choix ou une filière adaptée à ses vœux et capacités.
O. R : L’objectif reste de faire baisser les taux d’échec en licence. Mais il est illusoire d’imaginer qu’on puisse arriver un jour à une réussite à 90%, quels que soient les moyens d’orientation employés. Avez-vous réfléchi à un taux de réussite en première année de licence qui serait finalement « acceptable » ?
S. B : Non, car il faut travailler plus globalement. Contrairement à une pensée communément admise, la France est bien placée parmi les pays de l’OCDE pour la réussite de ses étudiants dans le supérieur. Cela dit, il faut reconsidérer les critères de réussite comme, par exemple, celui de la réussite en licence en 3 ans. Ce critère est stigmatisant pour les jeunes et les établissements qui parviennent à faire réussir des profils auxquels il faut plus de temps, mais dont la réussite en 4 ou 5 ans est bien le signe d’une vraie réussite. De plus, c’est un critère discriminant pour l’université par rapport à des établissements qui sélectionnent à l’entrée et dont la réussite est de fait liée à cette sélection à l’entrée.
B. M : Songez aussi à ceux qui viennent préparer des concours d’entrée à l’université et qui n’y restent que deux ans. Ceux-là sont finalement comptabilisés comme ayant échoué à l’université parce qu’ils n’y ont pas obtenu de diplôme, mais ils réussissent ailleurs. Cependant cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire pour améliorer la réussite, nous y consacrons de nombreuses propositions, en termes d’adaptation des parcours et d’évolutions pédagogiques.
O. R : Vous n’êtes clairement pas favorables à une sélection à l’entrée à l’université ?
S. B : Non, mais nous proposons de responsabiliser conjointement les établissements en matière d’orientation dans l’accès à l’enseignement supérieur pour donner à chaque étudiant des possibilités de trouver une voie de réussite. Les universités ne doivent plus être seules à assumer le droit d’accès des bacheliers.
O. R: On évoque souvent la peur du « déclassement » de la jeunesse. Est-ce un sujet que vos interlocuteurs, notamment les plus jeunes, ont abordé lors de vos rencontres ?
B. M : Oui, ils craignent pour beaucoup de ne pas vivre aussi bien que leurs parents ou de voir une planète qui se dégrade.
S. B : Nous avons par ailleurs été impressionnés par les auditions d’organisations étudiantes, pas seulement syndicales, qui ont été très positives et témoignent de l’énergie et l’engagement de la jeunesse.
O. R : Dans votre rapport, vous insistez sur la nécessité que tous les profils puissent réussir dans l’enseignement supérieur. En France on reste décidément trop élitistes et peu ouverts à la diversité ?
B. M : La reproduction sociale commence bien avant le supérieur et nous publions dans le rapport des graphiques absolument terrifiants sur les profils des bacheliers qui accèdent aux filières de bac les plus prestigieuses. Nous sommes très loin d’être dans un système d’égalité républicaine : la France est trop souvent un pays de droits formels derrière lesquels on se réfugie pour ne pas affronter la réalité. La « méritocratie républicaine » apparaît trop souvent comme un mythe à des jeunes qui ont le sentiment de ne pas avoir les mêmes chances en fonction du milieu dont ils viennent, ce qui génère de la colère. C’est à la fois un problème républicain, un obstacle au développement de la formation supérieure, et un frein à notre développement économique.
O. R : Mais le constat est fait depuis longtemps. Que faire pour que cela change?
B. M : Il faut publier les statistiques, faire connaître la réalité, et fixer des objectifs. Nous en fixons un : diviser par deux l’écart entre le taux de diplômés du supérieur chez les étudiants dont un parent est cadre et ceux dont un parent est ouvrier. C’est comme pour la question de l’égalité des femmes et des hommes, si cela bouge c’est parce qu’on martèle le message. Personne ne veut consciemment empêcher les jeunes issus des milieux défavorisés de réussir mais chacun doit s’interroger sur ses pratiques et comment elles conduisent à ce résultat.
S. B : Ces inégalités se jouent bien avant l’enseignement supérieur mais l’enseignement supérieur doit réfléchir à comment ne pas les accroitre.
O. R : On constate parfois que certains lycées pratiquent une sorte de sélection « endogame » en favorisant l’entrée de leurs élèves dans les BTS qu’ils dispensent au détriment d’autres filières où ils pourraient réussir.
S. B : Comme évoqué précédemment, il faut une responsabilité partagée de tous les acteurs dans l’orientation qui se réunissent autour d’une table et ne privilégient pas forcément leur propre filière.
B.M. : Il est aberrant que les acteurs du service public agissent dans une forme de concurrence entre eux, nous voulons impulser une obligation de coopération.
O. R : Vous préconisez d’augmenter le nombre de bacheliers généraux et technologiques alors que, ces dernières années, c’est essentiellement le nombre de bacheliers professionnels qui progresse. Comment faire ?
B. M : Nous sommes là dans la stratégie de l’éducation au sens large qui n’est pas notre mission mais nous ne pouvons que nous interroger : comment faire progresser le nombre de diplômés dans l’enseignement supérieur si on privilégie le développement des bacs professionnels dont on sait que la poursuite d’études n’est pas un objectif prioritaire ?
S. B : Augmenter le nombre de bacheliers généraux et technologiques n’est pas antinomique avec le développement de moyens d’accompagnement des bacheliers professionnels dans les filières d’enseignement supérieur pour ceux qui le souhaitent. Mais il faut aussi revaloriser l’insertion professionnelle de ces mêmes bacheliers professionnels, comme il faut favoriser les reprises d’études après une première expérience professionnelle.
B. M : Nous faisons d’ailleurs une proposition pour valoriser les compétences professionnelles en créant des formes d’alternance de longue durée qui pourraient être envisagées dans le cadre de la formation tout au long de la vie, notamment dans le cadre du compte personnel de formation (CPF).
O. R : Favoriser la réussite de tous passe également par le développement de nouvelles pédagogies d’apprentissage. Avance-t-on assez vite sur ce point ?
S. B : Il y a en tout cas une prise de conscience de l’ensemble des acteurs et beaucoup d’expérimentations, notamment via les Idefi, mais pas seulement. Le problème est maintenant de « faire système » pour que ces expériences deviennent la pédagogie de tout un établissement. Mais les choses avancent comme par exemple en médecine dont les « épreuves classantes nationales » (ECN, souvent désignées comme concours de l’internat) se passeront sur tablette prochainement. Il faut aussi identifier les freins et, si on veut que les pédagogies évoluent, il faut revaloriser l’investissement de ceux qui portent ces transformations. Or, aujourd’hui, les carrières dans l’enseignement supérieur sont avant tout portées par la recherche. Nous proposons donc de mieux reconnaître l’investissement dans la pédagogie et l’innovation pédagogique.
B. M : Il faut aller plus loin dans l’utilisation du numérique. On continue à accueillir les jeunes sans considérer qu’ils possèdent un ordinateur et que c’est un outil au même titre qu’une feuille ou un stylo. Les enseignants se brident encore trop souvent dans l’utilisation des ressources numériques qui doivent faire partie de l’environnement de travail de base.
O. R : Vous préconisez de favoriser encore plus les séjours d’études à l’étranger des étudiants français. Cela ne favorise-t-il pas une sorte de « fuite des cerveaux » dont on parle beaucoup aujourd’hui ?
S. B : Une expérience à l’étranger est de plus en plus indispensable dans un cursus et n’a pas corrélation avec une quelconque fuite des cerveaux. Les jeunes partent, mais reviennent aussi ensuite avec un bagage interculturel enrichissant pour notre pays.
O. R : Vous parlez aussi de doubler le nombre d’étudiants étrangers, qui sont de l’ordre de 270 000 en France aujourd’hui. Comment faire ?
S. B : C’est un enjeu très fort avec l’explosion du nombre d’étudiants internationaux attendue pour les prochaines années. L’enquête TNS-Sofrès que mène chaque année Campus France démontre qu’il nous faut encore progresser sur les procédures administratives et la qualité de l’accueil. Notre force c’est la qualité reconnue de nos formations. Mais nous devons développer une « culture de la bienvenue » en impliquant tous les acteurs, mais aussi l’ensemble des personnels et nos étudiants.
O. R : Justement, pourquoi ne pas faire payer plus cher les étudiants étrangers que les étudiants français comme vient de le proposer France Stratégie? Après tout ce sont les impôts français qui permettent des frais de scolarité faibles pour tous.
S.B.: : Il y a un vrai débat sur ce sujet mais nous pensons qu’augmenter les frais n’est pas une option satisfaisante. Si cela devait être fait un jour, il faudrait que cela soit accompagné d’une charte éthique et de qualité.
B.M. : Ceux qui préconisent des tarifs différents pour les étudiants étrangers se demandent pourquoi on formerait des étudiants pour un bénéfice public qui se produirait ailleurs. Mais c’est la même chose pour nos étudiants qui se forment à l’étranger, la question devient donc celle du bilan entre mobilité entrante et sortante. De plus, il ne faut pas oublier le « soft power » dont bénéficie la France grâce à ces étudiants une fois repartis dans leur pays d’origine. Mais nous entendons aussi ceux qui disent que, pour un étudiant chinois ou indien, une formation bon marché est forcément de mauvaise qualité. Nous préconisons donc d’afficher le coût réel des formations, les frais d’inscription apparaissant comme le résultat d’une bourse virtuelle pour que cela reste neutre pour les étudiants étrangers.
- Sophie Béjean et Bertrand Monthubert ont réalisé une présentation de la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur que vous pouvez retrouver sur Prezi.