Les Grandes écoles de management vivent un curieux paradoxe : encensées dans le monde elles ne sont guère soutenues en France. Le gouvernement pourrait-il un jour les aider fiscalement ? Présidente du Chapitre des écoles de management au sein de la Conférence des grandes écoles, directrice de Skema BS Alice Guilhon le demande. Son point de vue sur des dossiers financiers de plus en plus cruciaux.
Olivier Rollot : Le gouvernement vient d’annoncer une augmentation importante des droits de scolarité que devront verser à l’avenir les étudiants étrangers non communautaires dans l’enseignement supérieur public : 2 270 euros en licence et 3 770 euros en master et doctorat. Cela provoque beaucoup d’émois alors que les écoles de management le font depuis longtemps.
Alice Guilhon : Il faut appliquer de frais différenciés selon les pays. Pour beaucoup d’étudiants chinois ou américains ce n’est pas un souci de contribuer plus. D’autant que les tarifs pratiqués par les écoles de management françaises restent très raisonnables. Classé quatrième au Monde par le Financial Times, notre master en finance est par exemple 75% moins onéreux que celui du Massachussetts Institute of Technology (MIT) pourtant moins bien classé. Et le signal prix n’est pas forcément négatif. Au contraire en Chine où un étudiant chinois s’interrogera toujours : si un diplôme ne coûte pas cher qu’est-ce qu’il vaut vraiment ? Je ne sais pas si cela explique qu’il n’y ait pas tant d’étudiants chinois dans les universités françaises alors qu’aujourd’hui les Grande écoles en prennent la plus grande part…
Il n’y a pas d’effet répulsif pour les écoles suite à une augmentation des frais de scolarité si elle est justifiée par la valeur du diplôme. Mais quel est le seuil psychologique en France où les études sont supposées devoir être gratuites.
O. R : Ces dernières années l’augmentation des frais de scolarité des programmes Grande école n’en a pas moins été spectaculaire dans les écoles de management. Et notamment à Skema.
A. G : Nous avons également beaucoup progressé dans les classements comme dans la valeur de nos accréditations internationales. Le montant de nos frais est en corrélation avec notre rangs sur le programme Grande école. Nous ne pouvons pas toucher moins de taxe d’apprentissage et d’aides publiques sans augmenter nos frais. Comment faire si le gouvernement veut privilégier l’enseignement secondaire pour l’apprentissage et ponctionner les chambres de commerce et d’industrie ? Mais nous n’allons jamais au-delà de ce que nous coûte la scolarité d’un étudiant !
O. R : Cela n’en revient pas moins très cher aux familles…
A. G : C’est bien pour cela que nous disons au gouvernement « Aidez-nous en défiscalisant les frais de scolarité ». Aux Etats-Unis toutes les sommes placées sur des « education plans » le sont. C’est un système juste s’il s’accompagne d’un système de versement de bourses très fort. Ces fleurons de l’enseignement supérieur français que sont nos écoles de management le méritent.
O. R : Que pensez-vous du PARC (prêt à remboursement contingent) que les étudiants ne remboursent qu’après leurs études et en fonction de leurs revenus ?
A. G : C’est très intéressant mais qui prend le risque initial ? Il faut bien que l’Etat investisse pour lancer le système. Ce qui n’est pas le cas pour la défiscalisation même si elle a bien évidemment un coût qu’il reste à estimer.
O. R : Aujourd’hui où se trouvent vos relais de croissance ?
A. G : Nos relais de croissance se trouvent plutôt du côté des MSc et les bachelors, notamment aux Etats-Unis où notre bachelor ouvre aux diplômes locaux. Nos MSc reçoivent trois fois plus d’étudiants étrangers qu’il y a trois ans. Parce que nous sommes présents sur six sites différents nous pouvons recevoir de larges effectifs tout en gardant une taille humaine. Et nos étudiants français ne se retrouvent pas ensemble sur nos campus à l’étranger mais avec des étudiants internationaux. Il nous a fallu huit ans pour monter ce système de mouvement perpétuel.
L’Executive education est un autre levier mais pas accessible à tous. Il faut posséder une marque très bien installée et nous progressons plutôt en Chine et aux Etats-Unis où nous signons des contrats avec de grandes entreprises. Nous sommes parmi les seuls à pouvoir proposer un parcours tri-continents – il se déroule sur nos campus – sans coûts exagérés tout en offrant un programme de très haut niveau. En France les très grands acteurs parisiens tiennent le marché ainsi que des acteurs historiques comme Demos ou Cegos. Ni le Ceram ni l’ESC Lille, dont nous sommes issus, n’étaient connues sur ce marché quand nous avons créé Skema en 2009.
O. R : Un jour vous pourriez créer un MBA full-time ?
A. G : Nous allons créer un MBA full time. Notamment parce que c’est nécessaire pour être reconnu comme un acteur global. C’est un investissement de 5 à 6 millions d’euros sur cinq ans pour faire partie des bons MBA.
O. R : Le statut associatif de Skema est-il idéal pour se développer ?
A. G : C’est en tout cas le plus avantageux pour les écoles aujourd’hui. Dans les EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) les chambres de commerce et d’industrie gardent la majorité mais ne donnent plus d’argent. Dans une association on ne paye pas d’impôts sur les sociétés et on réinvestir tous ses bénéfices tout en ayant les mains libres pour être réactifs. Nous devons être indépendants, pas avoir une gouvernance trop lourde alors que nous ne dégageons pas des marges importantes.
Pour nous mesurer aux grandes business schools, nous devons être constamment dans l’augmentation de la qualité prouvée par l’obtention de labels (EESPIG), d’accréditations internationales (AACSB, Equis, Amba) ou encore le passage devant le HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Tout cela coûte énormément d’argent car il ne faut jamais rogner sur la qualité