ECOLES DE MANAGEMENT

Business schools françaises : être internationales ou mourir ?

Interrogés par l’EM Strasbourg en 2014 sur ce qu’ils attendaient le plus de leur future école de management, 62% des élèves de prépa avaient répondu une « expérience internationale », loin devant un « emploi assuré » ou un réseau. Qu’elles recrutent après une prépa ou après le bac, les écoles axent de plus en plus leur stratégie sur une dimension internationale qui leur permet également d’attirer de plus en plus d’étudiants étrangers. Mais rien ne serait possible si les business schools françaises n’avaient pas développé un savoir-faire reconnu partout dans le monde !

Un modèle français

Président de la CCI Paris Ile-de-France, qui possède notamment HEC, l’ESCP Europe et l’Essec, Pierre-Antoine Gailly en est fier : « Il y a encore dix ou douze ans, les business schools anglo-saxonnes critiquaient nos grandes écoles : aujourd’hui elles ont toutes adopté  leur programme phare, le « master in management », qui est ainsi devenu la norme internationale » (relire son entretien complet). Un modèle qui attire les étudiants du monde entier dans les business schools françaises, qu’elles soient dans l’Hexagone ou implantées à l’étranger. « Nous recrutons 80 étudiants chaque année sur le bachelor grâce à notre modèle « french business school  » qui cumule insertion professionnelle et vision internationale tout en préservant la proximité avec les étudiants », analyse Olivier Benielli, directeur du campus de Toulouse business school à Barcelone. Etudiante dans son bachelor, Carlota Porta le confirme : « J’ai commencé par aller à l’Esade mais j’ai trouvé que l’enseignement y était trop théorique. Je cherchais plus de pratique dans le marketing avec des stages et c’est pour cela que je me suis inscrite à TBS Barcelona ».

« Les grandes écoles de management françaises ont cette capacité à faire émerger des personnalités qui ont à la fois toutes les compétences académiques, connaissent l’entreprise grâce à des périodes de stage ou d’apprentissage et ont la capacité à se mouvoir dans un environnement international », assure encore Pierre-Antoine Gailly, qui en conclut que « contrairement à un modèle de formation anglo-saxon, fondé sur les lettres et les sciences humaines puis sur un MBA à 30 ans, nous formons des jeunes qui, à 25 ans, ont une tête bien faite et sont autonomes ».

Gérer des partenariats

Le poste de directeur des relations internationales est devenu l’un des plus stratégiques dans les écoles de management. Souvent occupé par un étranger maitrisant parfaitement plusieurs langues (Desi Schmitt à Audencia, Kevin Mac Gabhann à l’EM Strasbourg, etc.) il chemine dans le monde entier avec ses équipes pour signer des accords d’échange qui permettront aux étudiants de partir dans les meilleures conditions. « Avant je gérais 80 étudiants, maintenant nous en envoyons 500 ou 600 à l’étranger chaque année. Ce qui signifie en faire aussi venir autant pour équilibrer nos échanges », souligne Carol Chaplais, une Britannique en charge des relations internationales de l’Essca, qui souligne notamment la difficulté de la sélection d’élèves qui rêvent plus de New York que de Kuala Lumpur : « Nous avons développé  tout un site dédié à notre réseau de partenaires avec des fiches d’information sur chacun d’eux et leurs exigences, notamment en termes de score TOEFL ou de langue. Quand il faut départager 400-500 étudiants, décider qui va où, il faut des règles claires et connues accessibles par tout le monde ».

En plus de ses campus à Budapest et Shangaï, l’Essca travaille avec un réseau de plus de 170 universités partenaires. Elles sont 160 à Toulouse BS qui est en voie de recruter un nouveau directeur pour « améliorer notamment la qualité de notre réseau de partenaires et s’ouvrir vers l’Asie (Malaisie, Vietnam, Indonésie) et l’Afrique subsaharienne », révèle François Bonvalet, le directeur de l’école venu rencontrer les responsables de son antenne de Barcelone. « Avec mon équipe notre premier rôle est de bien connaître les partenaires que ce soit au niveau du service relations internationales ou du côté des professeurs, les « academics » en anglais, ce qui signifie de nombreux voyages », explique Carol Chaplais, qui a commencé par être professeur de langue avant de bifurquer vers les relations Internationales avec le programme Erasmus.

Le poids des accréditations et des classements

S’il faut être présent sur tous les continents, il faut l’être avec des partenaires de valeur auxquels les accréditeurs sont très attentifs. « Nous cherchons des partenaires en privilégiant ceux qui disposent d’accréditations internationales. Mais si ce n’est pas possible, par exemple en Europe de l’Est, nous nous fondons les classements locaux », reprend François Bonvalet, dont l’école est l’une des onze en France à être triple accréditée Equis/AACSB/Amba. Accréditée par l’AACSB en 2014, l’Essca a ainsi pu signer de nouveaux partenariats. « Quand j’ai revu ensuite des partenaires américains, ils étaient d’accord pour que la mobilité se fasse au niveau graduate et plus uniquement au niveau undergraduate », constate Carol Chaplais.

Les étudiants internationaux ne s’y trompent pas et scrutent ces accréditations mais aussi des rankings dont, au premier chef, ceux du Financial Times. Alors que 19 écoles françaises y sont déjà représentées, d’autres espèrent bien y faire leur entrée au fur et à mesure que leurs accréditations les rendent éligibles. Et pour cela il faut aller à la rencontre de la responsable du classement, la « Anna Wintour » des business schools, Della Bradshaw, la « deuxième femme qui compte le plus après ma femme » selon le bon mot de Bernard Ramanantsoa, le directeur général d’HEC.

Faut-il des campus propres ?

Faut-il mieux envoyer ses étudiants en petits groupes un peu partout ou les regrouper sur des campus dédiés? D’un côté une expérience d’expatriation sans doute plus riche mais le danger d’un cursus inadapté, de l’autre l’inconvénient de se retrouver entre Français mais aussi un continuum pédagogique maîtrisé.  Le débat agite depuis longtemps les business schools qui, de plus en plus, s’implantent dans des sites propres. Profitant de la création d’un campus propre, l’ICD a initié l’année dernière un séjour de deux semaines à Shangaï dès le début de sa première année afin que sa dimension internationale soit immédiatement palpable par ses étudiants. « Nous avons également créé un campus à Dublin pour pouvoir proposer une première expérience à l’étranger à seulement 1 h 30 de Paris qui rassure ainsi les parents et des étudiants qui, ensuite, ne rêvent plus que de partir très loin », sourit Patrick Thil, directeur du groupe IGS qui comprend notamment l’ICD. Une stratégie d’implantation à l’étranger qui est, depuis longtemps, le modèle de l’ESCP Europe ou de Skema. « Nous sommes une structure multisites qui possède tous ses campus et délivre des diplômes locaux dans chaque pays », expose sa directrice, Alice Guilhon, qui va bientôt s’installer au Brésil en partenariat avec la Fondation Dom Cabral.

Il y a maintenant vingt ans que TBS, sous la marque Esec, s’est installée à Barcelone pour former les professionnels dont la chambre de commerce et d’industrie française à Barcelone avait besoin et que le système universitaire barcelonais ne produisait pas. Devenu TBS Barcelona en 2004, c’est aujourd’hui un centre opérationnel autonome (3,8M€ de chiffre d’affaires) qui capte et produit ses ressources économiques avec 30 permanents plus 20 enseignants-chercheurs de TBS qui pilotent les programmes. Également présente à Bangalore, en Inde, avec son MBA Aerospace, TBS réfléchit à de nouvelles implantations et ouvre déjà une antenne à Londres dès la fin de l’année. « Nous ouvrons un bureau de représentation Asie en Chine à Beijing en 2016 pour recruter mais aussi appuyer nos démarches d’homologation de nos diplômes comme par exemple le DBA », confie encore François Bonvalet. Comme pour l’Essec à Singapour, il s’agit de plus en plus de construire des campus qui attirent les étudiants locaux ou internationaux. « Des étudiants chinois peuvent commencer leur cursus en Chine et le poursuivre aux États-Unis ou en France », commente Alice Guilhon.

Recruter des professeurs étrangers

Pour attirer ces étudiants il est également impératif de leur proposer un cursus tout ou en très grande partie en anglais et un corps professoral de plus en plus international. Après l’AACSB et l’AMBA, l’ESC Rennes business school a d’obtenu fin 2014 l’accréditation grâce à un modèle d’internationalisation qu’elle est la seule à avoir mené jusqu’à ce point : 84% de ses enseignants sont étrangers. Issus de plus de 30 nationalités, ils enseignent à des étudiants dont 40% sont également étrangers. « Depuis sa création, l’école délivre ses cours entièrement en anglais durant les deux dernières années du programme grande école. C’est sur ce socle que nous avons construit une stratégie qui a donné naissance à une faculté totalement internationale », se félicite Olivier Aptel, son directeur.

Dans les cinq années à venir, François Bonvalet entend faire passer le pourcentage de ses  professeurs étrangers de 33 à 40%, ce qui signifie qu’ils représenteront la moitié de ses nouveaux recrutements. « Pour recruter des professeurs étrangers, il y a deux méthodes : le « filet » et la « pêche au gros ». La pêche au filet  c’est aller aux États-Unis sur les jobs markets, la pêche au gros c’est l’approche directe sur un marché qui est finalement très fluide et transparent. Les chercheurs travaillent en majorité avec des chercheurs d’autres institutions et se parlent beaucoup », confie Philippe Monin, le directeur de la recherche de l’EMLYON (relire son entretien complet).

Recruter et satisfaire les étudiants internationaux

Des accréditations, des professeurs étrangers, des cursus en anglais, autant d’arguments devenus nécessaires pour recruter des étudiants étrangers que l’ensemble des business schools du monde s’arrachent. A cet effet, les écoles françaises travaillent d’abord pour elles-mêmes mais également en groupes – PassWorld pour le concours Passerelle, le réseau des IAE, etc. –, avec Campus France et peuvent maintenant aussi faire appel à leur Comue. « La Comue université fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées, dont nous sommes membre associé, a signé d’excellents partenariats, dont certains dans les meilleures universités chinoises, qui nous profitent aussi », se félicite ainsi François Bonvalet. Récemment Jean-François Fiorina, directeur adjoint de Grenoble EM, décrivait aussi sur son blog le rôle des « agents de recrutement international » : « Le travail avec les agents reste une bonne méthode pour démarrer à l’international, être présent partout sans investissement conséquent. À un certain stade, il faut peut-être envisager l’installation de bureaux, développer son propre circuit de recrutement comme le font les très grandes marques internationales ».

Last but not least, encore faut-il que ces étudiants soient satisfaits de leur séjour et poussent d’autres à venir ensuite. Sur le nouveau campus de l’ESC Troyes inauguré l’année dernière, on a par exemple décidé que les panneaux indicateurs seraient prioritairement indiqués en anglais. Un responsable est chargé de gérer l’enregistrement des étudiants sur l’ensemble des sites de l’Essca, s’occupe de leur accueil à la gare, de leur logement, de leur ouverture de comptes en banque et « répond à toutes leurs questions pratiques pour les aider à s’installer le plus rapidement possible dans leur vie d’étudiant ici à l’école », explique Carol Chaplais. Un impératif d’accueil qui devient absolument crucial pour la réputation de l’école et n’est pas toujours facile à mettre en œuvre, notamment face à des Asiatiques qui ne parlent pas un mot de français, constate François Bonvalet, qui conclut: « Sur chaque campus, il faut s’emparer de la dimension internationale pour que chaque salarié apprenne à bien recevoir les étudiants étrangers ».

Olivier Rollot (@O_Rollot)

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend