Devenu début septembre le directeur général de Kedge Business School, l’école née en 2013 du rapprochement d’Euromed Marseille et BEM Bordeaux, Thomas Froehlicher est l’homme qui doit réussir la fusion que son prédécesseur, Bernard Belletante (aujourd’hui directeur de l’EM Lyon) avait initiée. Un challenge qui ne fait pas peur à un homme qui a auparavant dirigé l’ICN et était jusqu’ici à la tête d’HEC-ULg à Liège, une business school belge elle-même née d’une fusion.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Vous n’êtes pas trop inquiet devant l’ampleur de la tâche qui vous attend à Kedge : fusion à finaliser, directeur charismatique à remplacer, personnels à rassurer, etc. ?
Thomas Froehlicher : J’arrive à Kedge avec de grandes ambitions et avec le sentiment qu’il fallait aujourd’hui un profil extérieur pour faire avancer la fusion. Je suis face à des personnels qui ont vécu une année difficile avec le départ de Bernard Belletante. Nous avons pris du retard et, aujourd’hui, je demande à tout le monde de se mobiliser jusqu’à Noël pour que, début 2015, Kedge soit vraiment en ordre de marche.
O. R : Quelle sera votre méthode de management ?
T. F : J’ai passé cinq formidables années à la direction d’HEC-ULg à Liège et, à 48 ans, je me sentais prêt à me lancer dans un nouveau défi. Ma méthode ce sera celle des managers sportifs que j’admire, comme Daniel Costantini en handball, ces entraîneurs qui mettent en avant leur équipe et ne portent pas la coupe à bout de bras. J’ai joué vingt-deux ans au rugby et je sais ce que c’est de créer collectivement. Ce que je veux c’est qu’on parle de nos 181 professeurs permanents et en faire des stars !
O. R : Bordeaux et Marseille ce sont aussi deux villes très différentes. Comment les faire travailler ensemble ?
T. F : Une de mes missions est de faire partager à tous mon amour de ces deux villes et, pour cela, il faudra prendre le temps de se parler, de se rencontrer. Dans une école de management, il faut savoir manager !
O. R : Vous allez établir un nouveau plan stratégique ?
T. F : La stratégie telle qu’elle a été fixée est très bonne. Pour autant nous allons la repréciser dans un plan 2015-2020 destiné à mettre plus en relief les points forts de Kedge dans le cadre d’un ADN commun. Jusqu’ici on a peut-être un peu trop réfléchi dans un esprit « Faire Kedge pour faire Kedge » alors qu’il s’agit de réinventer la business school internationale. Les chambres de commerce et d’industrie dont nous dépendons nous donnent les moyens d’être des leaders.
Nous allons en particulier nous appuyer sur un quartet créatif composé de Bernard Cova, un des grands chercheurs de l’école qui sera chargé de travailler sur l’axe « Société et consommation », Patrick Beauduin, ex directeur de l’Agence Cossette à Montréal et de Radio Canada qui sera chargé de mettre en cohérence la stratégie digitale de l’école, Jean-Christophe Carteron, Directeur du développement durable, et enfin Guy Marcillat, un spécialiste de l’Asie où il a passé 30 ans qui sera tout logiquement en charge de la dimension internationale.
O. R : A l’ICN (avec Artem qui réunit l’ICN, les Mines et l’École nationale supérieure d’art) comme à HEC-ULg (née de la fusion en 2005 de l’école supérieure de commerce HEC-Liège, du département de sciences économiques et de l’école d’administration des affaires de l’université e Liège) vous avez vécu plusieurs fusions. Qu’en tirez-vous comme conclusions ?
T. F : A l’ICN j’ai dû d’abord gérer une scission avec l’université, puis obtenir le label Equis avant de prendre la direction d’Artem. Ça a été un travail très politique, très compliqué avec beaucoup d’acteurs de la région et de l’État. A Liège nous sommes parvenus à faire grimper les effectifs (30% d’étudiants de plus cette année) et je me suis vraiment senti chez moi au point d’être fait citoyen d’honneur de la ville. Kedge c’est un défi puissance cinq auquel je m’attelle en commençant par visiter tous les campus, en France comme en Chine.
Je crois fondamentalement qu’aujourd’hui pour comprendre ce qu’est une business school il faut sortir du contexte franco-français, aller à Rio et Shangaï, oublier ces ESC à l’ancienne qui se marquent à la culotte. Peut-être parce que c’est un petit pays, la Belgique l’a compris depuis longtemps ! La chance de Kedge en France c’est de pouvoir relier les deux façades maritimes françaises qui sont nos portes d’accès vers l’Asie, l’Afrique, les deux Amériques.
O. R : Vous allez vous implanter dans tous ces pays ?
T. F : Nous sommes déjà à Suzhou, près de Shangaï, où pas moins de 1.000 étudiants chinois étudient. Nous pensons maintenant à d’autres implantations mais toujours avec des partenaires locaux comme Renmin University ou Jiaotong University en Chine. Là-bas nous organisons pour la seconde fois cette année un forum étudiants/entreprises, quelque chose de totalement nouveau pour eux. C’est comme cela que Kedge devient aussi un pont entre les entreprises françaises, européennes et l’Asie.
O. R : Vous dites que les chambre de commerce et d’industrie vous donnent les moyens mais, justement, l’État va les ponctionner très sévèrement alors que les ressources tirées de la taxe professionnelle risquent également de baisser. Comment allez-vous gérer ce double impact ?
T. F : Nous avons anticipé cette baisse de ressource et nous comptons sur le nouveau statut que vont pouvoir adopter les écoles consulaires pour obtenir des financements. Les chambres nous demandent clairement de devenir moins dépendantes d’elles pour se concentrer sur leur mission. Pour la taxe d’apprentissage il est encore trop tôt pour connaître l’impact des réformes mais il y a une inquiétude quant à la dynamique même de l’apprentissage.
O. R : Mais vos ambitions restent les mêmes ?
T. F : Nous voulons toujours passer en cinq ans de 90 millions d’euros de chiffre d’affaires à 120 et de 181 professeurs permanents à 280. Pour cela, nous investissons encore 57 millions d’euros après, déjà cette année, l’ouverture du plus beau campus d’une école de management en France à Bordeaux. Nous sommes en tout implantés sur sept campus et sommes le plus important formateur de bachelors de France. Nos 610 élèves issus de prépas se répartissent bien entre les deux campus même si, cette année, c’est un petit peu plus Bordeaux qu’ils ont choisi. Nous diplômons chaque année 4000 étudiants dont 1000 en Chine. Maintenant, il nous faut surtout nous développer dans la formation continue sur le modèle de l’Insead ou de l’IMD.
O. R : Votre rang dans le dernier classement des masters en management du Financial Times (42ème) ne prouve-t-il pas que les fusions n’ont pas l’effet bénéfique escompté ?
T. F : Mais de quoi parle-t-on ? Le classement du Financial Times est fait sur des promotions sorties de Kedge trois ans avant la fusion. En quoi cela remet-il en cause la pertinence des fusions ? Notre travail c’est aussi aujourd’hui de mobiliser tous les anciens, les alumni, pour faire vivre un projet tout neuf. Le premier gala de Kedge va avoir lieu seulement dans un mois !
O. R : Kedge n’a pas encore créé de massive open online courses (MOOC). C’est dans vos projets ?
T. F : Il va falloir y réfléchir, notamment pour mettre en avant les points forts dont je parlais et qui sont par exemple le supply chain management et les achats internationaux, le marketing, le développement durable ou encore, bien sûr à Bordeaux, le vin.