C’est l’heure des choix pour des centaines de milliers de lycéens inscrits sur APB. La présidente de l’Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques (UPS), Sylvie Bonnet, elle-même professeur de mathématiques, revient sur le pourquoi deu choix d’une prépa scientifique et comment y réussir.
Olivier Rollot : Pourquoi choisir d’entrer dans une classe préparatoire scientifique plutôt que, par exemple, dans une licence scientifique ?
Sylvie Bonnet : Entrer dans une classe préparatoire scientifique c’est acquérir un socle solide de connaissances pour ensuite poursuivre son cursus en connaissance de cause. Certains y découvrent qu’ils aiment les sciences pour la science, d’autres comme un outil de transition. Ils auront en tout cas reçu tous les éléments pour choisir parmi une grande variété d’école d’ingénieurs. Au terme de leur prépa, 85% de nos élèves choisissent d’entrer dans une école d’ingénieurs et 15% d’aller vers les universités où ils visent des carrières de chercheur ou de professeur.
Par rapport à une licence scientifique, les prépas scientifiques sont davantage pluridisciplinaires et proposent un socle plus généraliste. Alors qu’au lycée on ne voit pas bien le lien entre les sciences, on le comprend en prépa tout en continuant à suivre un enseignement en langues et en français.
O. R : Comment choisit-on son futur lycée ? Quel poids ont les « classements des prépas » que publient différents médias dans les choix des élèves ?
S. B : Je conseille d’ailleurs d’abord aux candidats de choisir parmi les lycées les plus accessibles de chez eux – à moins qu’il y ait un internat – car avoir 1 h 30 de trajet chaque jour ou un studio à louer et financer est une véritable cause d’échec. Ensuite je conseille d’aller visiter ces lycées lors des « journées portes ouvertes ». On y rencontre des professeurs et des étudiants de ces lycées, et on peut leur demander si son dossier a des chances d’être classé chez eux. Si la réponse est « oui » cela permet de continuer sa recherche en y intégrant des paramètres comme l’ambiance ou ce que sont devenus les anciens.
Quant aux palmarès, ils ne font intervenir qu’une dizaine d’écoles d‘ingénieurs alors qu’il y en a plus de 200 et ils ne classent que les lycées les plus prestigieux, ceux que les élèves classent « prépas de leurs rêves » et que nous qualifions de « lycées à forte visibilité ». Notre site prepas.org voit fleurir chaque saison les fils de discussion sur « comment classer ses vœux » sur un forum fréquenté par nos étudiants passés, présents et futurs. Leur classification, adaptée à chaque profil d’élève (en « prépas de rêve », « prépas de secours » en passant par « vœux raisonnables ») est assez efficace.
O. R : Comment les prépas choisissent-elles leurs élèves ?
S. B : Les prépas ne choisissent pas leurs élèves, elles ne font que classer les candidatures qu’elles reçoivent. Les commissions de recrutement sont présidées par des proviseurs qui se reposent sur le travail d’évaluation des dossiers que font les professeurs. Il s’agit de mettre les dossiers « indiscutables » d’un côté et de regarder ensuite de façon très détaillée les autres dossiers, les appréciations données par les professeurs sur leurs élèves (attitude envers le travail, évolutions de la 1ère à la terminale, etc.) tout en suivant les résultats de chaque lycée pour se fabriquer une véritable « culture de recrutement ». Il faut bien connaître son « bassin de recrutement » et être conscient qu’avoir 12/20 dans un lycée peut être plus difficile que 18/20 dans un autre.
In fine nous devons classer tous les dossiers sans mettre d’ex aequo et c’est le système admission-postbac qui traite ces données. Le système APB fonctionne très bien pour les filières sélectives, et répartit les candidats aux classes préparatoires en fonction de leur niveau, de façon que chacun arrive dans une classe dans laquelle il sera « à sa place ». Pas d’inquiétude, si on se « révèle » une fois en prépa, il y aura possibilité de changer de lycée pour la seconde année.
O. R : Le pourcentage de filles et de garçons (30/70) est relativement stable dans les prépas scientifiques (hors prépas BCPST où elles sont largement majoritaires). Comment le faire évoluer pour attirer plus de filles ?
S. B : En sortant de S les filles choisissent bien plus largement que les garçons d’aller en médecine (PACES) ou BCPST mais je trouve toujours un peu dommage de le leur reprocher. Je pense que c’est surtout une question d’identification des métiers. Si les entreprises souhaitent recruter plus de femmes cadres, à elles de rendre les métiers d’ingénieurs plus lisibles et d’expliquer comment ils contribuent à la société comme les médecins. C’est sans doute à ranger dans les activités RSE (responsabilité sociétale et environnementale). Et qu’on ne dise pas que les filles ne souhaitent pas affronter la compétition alors qu’elles vont massivement en PACES où elle est terrible !
O. R : Comment se déroule la transition entre la terminale et la première année de prépa ?
S. B : En prépa l’enseignement des sciences est différent de celui du lycée, les efforts demandés aux étudiants différents, l’encadrement important et la plupart de nos élèves sont agréablement surpris : côté contenus des enseignements, on les prend enfin au sérieux ! Souvent nous les entendons nous demander « pourquoi on ne leur pas expliqué tout cela plus tôt ? ». Pour arriver à ce résultat, au cours du premier semestre, nous devons mener de front l’installation de nouvelles connaissances et celle de méthodes de travail adaptées.
O. R : Vous dites souvent que le niveau baisse en sciences au lycée. Comment cela se caractérise-t-il et comment vous êtes-vous adapté ?
S. B : La formule « niveau qui baisse » est réductrice. Objectivement, les horaires d’enseignement des sciences ont diminué avec la dernière réforme du lycée, et les bacheliers actuels ont perdu en gros neuf mois d’apprentissage des sciences par rapport à leurs aînés. L’impact le plus grave est visible sur les liens entre physique et math – beaucoup moins de connaissances en géométrie par exemple – sur les compétences techniques et des capacités de mémorisation moindres. Nous nous sommes adaptés en rénovant les programmes à partir de 2013 et de l’arrivée des premiers bacheliers S ayant subi la réforme de 2009.
O. R : Le volume de travail n’effraye pas vos élèves ?
S. B : Ce n’est pas une surprise. Ils savent en arrivant qu’ils devront suivre 30 heures de cours par semaine plus en moyenne deux heures de travail par jour en semaine et au moins cinq heures le week-end, soit une cinquantaine d’heures. Tout dépend de la façon dont ils ont suivi auparavant leur scolarité. S’ils ont pris de bonnes habitudes de travail en terminale, ils n’auront qu’à recentrer leur travail sur un nombre moindre de disciplines en prépa. De toutes manières, au cours du premier semestre, on leur apprend à apprendre en fonction de leurs besoins, à maîtriser les outils techniques (mémoriser, calculer, prendre des initiatives etc.).
O. R : On évoque souvent des notations très faibles qui peuvent en décourager plus d’uns qui n’y est pas préparé. Est-ce toujours le cas ?
S. B : Sauf exception ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les échelles de notes tiennent d’abord compte de la progression de l’élève avec, en seconde année, une note distincte qui estime ce que serait la note du candidat s’il passait le concours.
O. R : Quels conseils donnez-vous à vos élèves pour réussir leurs années prépas?
S. B : Je leur dis souvent que le bon volume de travail c’est ce que chacun peut assumer sans s’épuiser. Ensuite il leur faut relire leurs cours régulièrement. Quand on a quatre cours de maths dans la semaine, il faut relire le précédent avant d’aller au suivant histoire de pouvoir interroger son professeur sur ce qu’on n’a pas compris. Il faut aussi tester régulièrement sa compréhension avec des exercices d’application. Là encore s’il y a blocage il ne faut pas hésiter à interroger son professeur. En prépa on voit les professeurs presque tous les jours et ils sont très disponibles pour répondre aux questions. Ce qu’il faut comprendre c’est que la mémorisation se fait juste après avoir appris et baisse ensuite régulièrement si la mémoire n’est pas à nouveau sollicitée. C’est le fait de réapprendre qui permet aux connaissances d’être inscrites durablement dans sa mémoire.
O. R : Cela change beaucoup de la façon d’apprendre au lycée ?
S. B : En prépa l’évaluation finale s’effectue au bout de deux ans et il faut s’y préparer en installant des compétences pérennes. Même si nous donnons des devoirs en cours d’année c’est bien au bout de ces deux ans qu’il faut avoir mémorisé l’essentiel. C’est la force des prépas d’aller au-delà d’un horizon rapide où on apprend vite pour oublier encore plus vite. Cela servira toute leur vie à nos élèves d’avoir acquis ces modes de raisonnement liés aux structures de pensée et aux théorèmes qu’ils croient parfois avoir oubliés. On peut vraiment compter sur leurs capacités dans la durée !
O. R : Vous disiez que vous appreniez à vos élèves à « prendre des initiatives ». Ce n’est pas forcément ce qu’on entend dire des CPGE !
S. B : Soyons concret. Pour faire un exercice, on a besoin d’enchaîner plusieurs étapes de raisonnement et de choisir tel ou tel outil. Ce choix c’est une initiative qu’il faut apprendre à prendre. Il faut se débarrasser de l’approche « quelle est LA bonne recette ? » qui les a suivis jusqu’au bac. En prépa, on apprend qu’on peut être amené à choisir parmi plusieurs outils. Cela signifie aussi apprendre à vaincre la peur de l’inconnu, de l’échec, de comprendre ce qui ne marche pas et en quoi une démarche scientifique permet de développer son autonomie intellectuelle. Toutes choses auxquelles l’enseignement secondaire ne les a pas préparés.
D’ailleurs plus les concours sont sélectifs moins les sujets sont directifs et plus ils demandent que le candidat prenne des initiatives. Les écoles d’ingénieur les plus sélectives recherchent des jeunes qui n’ont pas peur d’aller plus loin que l’application de formules. Il faut acquérir de l’autonomie intellectuelle pour débloquer les mécanismes et cela passe par des exercices concrets. Les sciences sont un terrain formidable pour l’apprentissage de l’autonomie.
O. R : Cela en vaut-il vraiment la peine de redoubler sa deuxième année de prépa, ce qu’on appelle être « 5 ½ » ?
S. B : Il faut y réfléchir à deux fois sachant que des « points de bizuth » sont accordés par les écoles d’ingénieurs aux élèves qui sont pour la première fois inscrits en deuxième année post-bac. Des points qui peuvent représenter 1 à 2 points sur 20, soit 10% de la note ! Tout dépend alors de la façon dont se sont passés les concours en 3/2. Si le candidat a compris qu’il devait totalement changer sa façon de travailler, s’il a gagné en maturité, s’il lui fallait se confronter à l’épreuve des faits, cela peut avoir un intérêt pour lui de retenter sa chance. Mais si c’est seulement pour bachoter encore plus cela ne sert à rien : les 1 ou 2 points que le candidat pourra gagner seront compensés par les « points de bizuth » perdus.
De plus cette année supplémentaire est porteuse de risques pour la suite des études. Ceux qui le font pour intégrer l’Ecole de leurs rêves – au hasard, l’Ecole polytechnique – risquent de manquer de motivation pour aller plus loin une fois leur objectif atteint. Ils n’ont plus forcément de réserves et d’énergie contrairement à ceux qui intègrent une école plus tôt et y suivront un très bon cursus.
O. R : On parle beaucoup du « continuum » prépa / école mais beaucoup d’élèves disent n’avoir eu le sentiment de commencer leurs études d’ingénieur que le jour où ils ont intégré une école. Comment l’expliquez-vous ?
S. B : D’un certain point de vue c’est sans doute vrai car les méthodes de travail changent entre la prépa et l’école d’ingénieurs de façon radicale. En réalisant leurs premier « projet professionnel personnalisé » ils ont le sentiment d’entrer vraiment dans ce que sera leur métier d’ingénieur. Ils ne se rendent pas forcément compte que c’est sur ce qu’ils ont acquis en classe prépa qu’ils peuvent capitaliser. En particulier la prise d’initiatives.
O. R : Certains de vos élèves ont du mal à gérer cette transition. Vous pensez qu’elle est suffisamment expliquée ?
S. B : Nous allons à la rencontre des futurs bacheliers pour leur expliquer ce qu’est la prépa et c’est aux écoles d’informer nos élèves de la réalité des cursus qu’elles proposent. Elles le font notamment au cours de forums dans lesquels les anciens élèves viennent présenter les écoles qu’ils ont intégrées. Dans le lycée de Besançon où j’enseigne, c’est ainsi une centaine d’écoles qui viennent se présenter à nos 6 classes et 200 élèves. Nous leur conseillons d’aller à la rencontre de toutes les écoles qui leur correspondent et nous banalisons une journée pour leur permettre de réaliser un parcours de visite optimal.
O. R : Que valent les classements des écoles d’ingénieurs ? Sont-ils un véritable élément de choix ?
S. B : C’est un critère beaucoup moins pertinent que pour les écoles de management car les écoles d’ingénieurs ont des projets qui peuvent être très différents. On ne choisit pas entre Télécom ParisTech et l’ESTP juste pour une question de place dans un classement. Cela correspond forcément à un projet. Ce que nos étudiants découvrent à l’occasion de ces forums, c’est qu’il y a d’autres écoles qui forment aux métiers du numérique ou à ceux du bâtiment, pour ne parler que de ces deux exemples.