POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Enseignement supérieur : les ministres changent, les problèmes restent…

Double passation de pouvoir le 24 décembre 2024 entre Anne Genetet et Elisabeth Borne dans la cour du ministère de l’Education nationale, en présence de Philippe Baptiste, puis entre ce dernier et Patrick Hetzel sans le salon Hubert Curien du MESR

Le 24 décembre nous assistions, un brin frigorifiés, à la passation de pouvoir entre Anne Genetet et Elisabeth Borne dans la cour d’un ministère de l’Education nationale devenu également celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, puis, enfin réchauffés, à celle entre Patrick Hetzel et Philippe Baptiste dans les salons d’un ministère qui reste celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Seulement le pouvoir semblait bien reparti rue de Grenelle où une Elisabeth Borne mettait largement en avant l’enseignement supérieur devant un seul de ses représentants, Philippe Gellé encore président de France Universités, quand plus tard Philippe Baptiste consacrait la quasi-totalité de son intervention à la recherche (avec une incise sur un Parcoursup dont il a été l’un des instigateurs lorsqu’il était directeur de cabinet de la ministre Frédérique Vidal).

L’enseignement supérieur rue de Grenelle, la recherche rue Descartes, on pouvait se poser la question en écoutant le discours du nouveau ministre sous le portrait d’Hubert Curien dans la salle portant son nom. D’autant que les choix de leurs directeurs de cabinet respectifs ne sont pas anodins. Quand Patrick Hetzel, plutôt étiqueté « enseignement supérieur », établissait une forme d’équilibre en nommant le directeur général délégué à l’innovation du CNRS, Jean-Luc Moullet, directeur de cabinet, Philippe Baptiste a appelé à ses côtés au même poste Pauline Pannier, jusqu’alors directrice générale adjointe du CNES. En revanche l’arrivée de François Weil aux côté d’Elisabeth Borne est celle d’un vrai spécialiste de l’enseignement supérieur, professeur des universités, président de l’Ehess puis recteur de Paris.

Mais voyons quelles sont les attributions précises de Philippe Baptiste publiées par décret : Philippe Baptiste ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, exerce, par délégation de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, les attributions de celle-ci en matière d’enseignement supérieur et de recherche.
A ce titre:

  • Il prépare et met en œuvre la politique du Gouvernement relative à l’enseignement supérieur et à la vie étudiante.
  • Il propose et, en lien avec les autres ministres intéressés, met en œuvre la politique du Gouvernement dans le domaine de la recherche et de la technologie.
  • Il prépare et met en œuvre, conjointement avec le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la politique en matière d’espace, à l’exclusion de celle conduite dans l’intérêt de la défense nationale.
  • Il est associé par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à la définition et au suivi de la politique en matière d’intelligence artificielle et de numérique.
  • Il prépare les décisions du Gouvernement relatives à l’attribution des ressources et des moyens alloués par l’Etat dans le cadre de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ». A cet effet, les autres ministres lui présentent leurs propositions de crédits.
  • Il contribue à la définition et à la mise en œuvre des programmes d’investissement d’avenir gérés par le secrétariat général pour l’investissement.
  • Il est compétent, conjointement avec le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et en lien avec les autres ministres intéressés, pour la définition et le suivi de la politique en matière d’innovation.
  • Il coordonne, en lien avec les ministres intéressés, la promotion des sciences et des technologies et la diffusion de la culture scientifique, technologique et industrielle. Il participe à la politique de transition écologique et énergétique.

Pour l’exercice de ses attributions, le ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, dispose des services placés sous l’autorité de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ou dont elle dispose.

Un « sous ministère » pour l’enseignement supérieur ?

Ainsi l’enseignement supérieur ne bénéficie plus, pour la première fois depuis 2017, de ministère totalement autonome mais d’un simple ministère auprès de la ministre l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Elisabeth Borne. Ni ministre de plein exercice, ni ministre délégué comme annoncé initialement, Philippe Baptiste est placé ainsi dans une configuration inédite qui interroge sur sa part d’autonomie. En nommant Elisabeth Borne à la tête d’un grand ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche le Premier ministre, François Bayrou, a certes mis en avant l’éducation – à la première place du gouvernement avec le titre de « ministre d’État » – mais semblé reléguer l’enseignement supérieur. Patrick Hetzel ne s’y est pas trompé, refusant que la passation de pouvoir entre lui et son successeur se déroule rue de Grenelle, où était pourtant Philippe Baptiste aux côtés d’Elisabeth Borne, pour recevoir ensuite le seul Philippe Baptiste rue Descartes avec ces mots : « Nous devons défendre l’E.S.R. et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai insisté pour que la passation de pouvoir puisse se faire ici à Descartes. Merci d’y avoir consenti. Le cœur du réacteur doit bien être ici, rue Descartes, et non pas à Grenelle. C’est la raison pour laquelle symboliquement, je ne me suis pas rendu rue de Grenelle ».

Et d’insister : « L’Enseignement supérieur et la Recherche sont suffisamment stratégiques pour notre pays pour qu’ils soient pris en compte. Je m’étais très fortement engagé pour cela aux côtés de Michel Barnier et j’avais réussi à le convaincre que l’enseignement supérieur et la recherche devaient avoir non seulement un ministère de plein exercice mais ne pas être noyés dans un grand tout. Les problématiques et les enjeux sont spécifiques et particuliers quand on parle d’Enseignement supérieur et de Recherche. Ils ne sont pas miscibles dans la seule question éducative. Non pas que cette question ne soit pas importante, mais on ne peut y réduire l’enseignement supérieur et la recherche ».

Et Patrick Hetzel de conclure : « Je formule donc des vœux, Monsieur le Ministre pour que vous puissiez avoir les coudées franches comme j’ai pu les avoir en ayant le contact et l’oreille attentive du chef du gouvernement. Ne vous laissez pas emporter par le retour du « grand tout » qui fait que trop souvent en pareille configuration l’enseignement supérieur et la recherche deviennent les variables d’ajustement de l’enseignement scolaire ».

Une inquiétude que ne parvenait pas à dissiper Philippe Baptiste dans un discours de passation de pouvoir où il expliquait être un « chercheur, d’abord et avant tout » avant d’embrayer sur toute une série de réussite dans la recherche sans en citer une seule dans l’enseignement supérieur. Un discours quasiment entièrement consacré à la recherche avec comme seules phrases sur l’enseignement supérieur la « nécessité de travailler avec les étudiants sur leurs conditions d’étude, sur la manière dont ils les financent » et « d’accompagner les lycéens dans leur travail d’orientation ». Comme pour rectifier l’impression d’être entièrement focalisé sur la recherche il sortait de son discours pour rappeler qu’il était l’un des instigateurs de Parcoursup.

Quels budgets pour l’Education et l’Enseignement supérieur ?

Vous avez dit « variable d’ajustement » ? Cela semble en tout cas alerter la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) qui, dans un communiqué, « déplore que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche soit rattaché à un grand ministère de l’Éducation nationale, et n’ait pas de ministre de plein exercice ». Dans ce contexte « bénéficier d’un ministère dédié, fort et disposant des ressources, de la vision et des capacités d’action nécessaires reste essentiel pour impulser et opérer efficacement une nouvelle stratégie ambitieuse qui s’impose ».

Une inquiétude que n’a pas complétement dissipé la nouvelle ministre en affirmant pourtant qu’elle avait « la capacité à défendre ses budgets ». Oui mais les deux ? Certes elle une personnalité politique de premier plan mais défendre l’enseignement supérieur n’a jamais été politiquement très porteur et Philippe Baptiste a semblé plus cibler la recherche que l’enseignement supérieur dans un discours où il rappelait que « l’État dépense beaucoup, il rembourse une dette considérable qui est aujourd’hui proche du budget du MENJ, les dépenses sociales sont objectivement très lourdes alors que les dépenses d’investissement dans la recherche, dans l’enseignement supérieur, dans l’innovation et dans les grands projets industriels ne sont pas au niveau des grands pays de la recherche ». Certes il dit « savoir que de nombreux établissements sont dans une situation budgétaire tendue » mais rappelle qu’il « nous faut, c’est certain, faire des choix et établir des priorités dans chaque établissement » tout en disant qu’il fallait « démontrer et expliquer, sans relâche, que la recherche et l’enseignement supérieur sont partie intégrante de l’avenir du pays ». Certes…

Les principaux autres dossiers à traiter

En ce début 2025 un décret a reconduit les crédits 2024 du MESR en attendant qu’un véritable budget puisse être adopté. Si le financement de l’enseignement supérieur et de la recherche est très largement le premier sujet de préoccupation que vont rencontrer Elisabeth Borne et Philippe Baptiste, bien d’autres sujets feront leur actualité. Dans son discours-bilan Patrick Hetzel insistait ainsi sur la nécessité de « piloter une offre de formation supérieure en lien constant avec les besoins socio-économiques, pour mieux garantir les débouchés vers le monde professionnel ».

Alors que le label « enseignement supérieur privé » se fait plus attendre que Godot il rappelait la nécessité de « réguler l’offre de formation supérieure du secteur privé – faire le tri entre le bon grain et l’ivrée pour garantie la confiance des familles et, par voie de conséquence, des jeunes ».

La question du blocage des campus reste un autre sujet d’actualité. Sciences Po Strasbourg a ainsi de nouveau été bloqué le 6 janvier 2025 par des étudiants protestant contre son partenariat avec l’université Reichman de Herzlya, en Israël (lire l’article de 20 Minutes). A ce sujet Patrick Hetzel avait également longuement insisté pour que « la recherche et la science restent en dehors des tentations militantes ». Il demandait que les campus ne « soient pas sous l’emprise de mouvements qui portent non seulement atteinte aux personnes et aux biens mais qui empêchent le bon fonctionnement de notre service public ». Il était également « dangereux » selon lui « d’habiller le militantisme sous les habits de la science ». Sur tous ces sujets il avait lancé en décembre une mission dédiée à la « sécurité et à la sérénité au sein des établissements publics d’enseignement supérieur » dont on attendait les préconisations pour mars 2025. Un chantier sur lequel s’est également prononcé la ministre de la Lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, le 5 janvier dans un entretien à Europe 1/Les Echos/CNews dans lequel elle a estimé que le « chantier prioritaire » était celui de « l’université ». Évoquant des « faits absolument intolérables et insupportables », des « insultes et tentatives d’intimidations rapportés quasiment au quotidien dans les universités ou dans des grandes écoles », elle a demandé à ce qu’ils « puissent être comptabilisés »/

Sur le financement de la recherche, Patrick Hetzel estimait que les 2,2 % du PIB consacré à la recherche n’étaient pas « suffisant » et que des marges de progrès existaient en recourant davantage aux fonds européens. Un « pacte pour la recherche » avait commencé à être élaboré avec les acteurs concernés.

Autre sujet : la nouvelle phase de l’autonomie des universités en « contrepartie d’un indispensable effort de simplification, de transparence et d’évaluation ». Un sujet qui semblait jusqu’à présent plus passionner le MESR que des universités encore en train de gérer la première phase.

Enfin Patrick Hetzel reprenait un thème cher à Sylvie Retailleau : la nécessité de veiller au bien être des étudiants : « Après avoir géré la dimension quantitative, il est essentiel de s’occuper des aspects qualitatifs. Renforcer l’attractivité en accueillant mieux. Et éviter les fuites de nos jeunes à l’étranger tout en attirant par ailleurs les meilleurs vers la France ». Les priorités des nouveaux ministres seront-elles les mêmes?

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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