ECOLE D’INGÉNIEURS, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

Le CNRS veut labelliser des « key labs »: les débats s’enflamment

Le Laboratoire Conception de produits et Innovation des Arts et Métiers (Photo : Arts et Métiers)

Ce fut un évènement marquant : le 12 décembre dernier, le P-DG du CNRS, Antoine Petit, réunissait pour la deuxième fois de l’histoire du centre l’ensemble de ses directeurs et directrices de laboratoires (lire le détail de cette rencontre ici). Parmi les sujets abordés il leur proposait de distinguer 25 % des 860 unités de recherche sous sa tutelle sous le label « CNRS Key labs ». Dans son esprit le CNRS doit « faire porter un effort particulier sur un nombre plus restreint d’unités, celles qui peuvent légitimement prétendre à être qualifiée “de rang mondial” ». Un quart des plus de 860 unités dont le CNRS est une tutelle seraient labellisés dans un premier temps, et bénéficieraient d’un accompagnement renforcé selon des critères d’excellence.

Qu’induit le projet « Key labs » ? Le projet d’Antoine Petit induit une transformation profonde de la recherche française : d’un côté se situeraient 25% des laboratoires sous tutelle du CNRS – et près de la moitié de ses effectifs avec l’objectif de monter à 55% – « aptes à être confronté à la concurrence internationale », de l’autre ceux plus nationaux, voire locaux. Les premiers obtenant plus de moyens, se désengagerait il des autres comme le craignent beaucoup ? Aujourd’hui le CNRS assure en effet la cotutelle de plus de 860 unités mixte de recherche (UMR), dont beaucoup à la demande d’établissements qui souhaitaient autant un label qu’une tutelle. Une tutelle dont le CNRS aimerait parfois se désengager comme l’affirme Antoine Petit depuis plusieurs années en pointant son peu d’apport. « Dans une centaine d’unités, les agents du CNRS représentent tout au plus 10 % de l’ensemble des personnels permanents. Cela limite l’impact du CNRS et, de fait, le rayonnement de la science française », regrettait-il en présentant son projet mi-décembre dernier.

Stupéfaite de l’absence de concertation préalable – les universités n’ont été prévenues que la veille au soir avec consigne de « ne pas rendre publique cette annonce » – France Universités décidait en tout cas de « suspendre toute discussion avec le CNRS » dès le 20 décembre 2024. Dans un nouveau communiqué, publié le 17 janvier, la conférence rappelle que « les universités, principales opératrices de la recherche publique française, expriment leur profonde inquiétude et leur total désaccord face aux annonces unilatérales faites par le CNRS sur l’initiative des Key Labs. Une telle méthode, imposée par surprise et sans dialogue, contrevient aux principes fondamentaux d’une gouvernance scientifique partagée et cohérente ». Une réaction proche de la celle de la Cdefi qui estimait la semaine dernière la méthode « inacceptable en ce qui concerne les UMR, tant elle va à l’encontre des principes de gestion qui s’appliquent à ces unités : codirection par les tutelles, collaboration équilibrée, convergence stratégique, transparence, subsidiarité ».

Le discours sur la méthode est clair mais qu’en est-il sur le fond ? Dans son nouveau communiqué France Universités « maintient sa demande de moratoire visant à garantir un cadre de réflexion approfondi et collectif, permettant de redéfinir des priorités scientifiques nationales équilibrées ». Une position à laquelle adhère par exemple El Mouhoub Mouhoud, président de PSL, en affirmant n’avoir pas, de « position de principe, mais de méthode » et en « proposant une inversion du calendrier : une stratégie d’abord dont découle une labellisation, key labs ou autre ».

En revanche Aix-Marseille Université et l’université Côte d’Azur indiquent qu’elles ne « cautionneront, ni ne valideront » aucune liste de « Keys Lab » sur leur site, malgré la labélisation proposée par le CNRS pour plusieurs de leurs laboratoires. « Université Côte d’Azur rappelle que sa dynamique Idex (Initiative d’excellence), de Cluster IA, de PUI (Pôle Universitaire de Recherche) a été définie sur le principe de co-construction avec tous les ONR et tous nos partenaires territoriaux et internationaux. Cela a permis de développer une politique ambitieuse de site qui est en contradiction avec l’idée qu’il serait possible de labelliser ou de ne pas labelliser de manière unilatérale des UMR », rappelle Jeanick Brisswalter, président d’Université Côte d’Azur.

Les chercheurs signataires de la motion de défiance sont encore plus clairs : « En ciblant les financements et ressources sur quelques rares (25 %) laboratoires identifiés comme majeurs sur des critères inconnus, les key labs viennent accentuer la tendance préoccupante de l’intensification de la concurrence dans le monde de la recherche. Ce processus, largement engagé au fil des années de la mandature de M. Antoine Petit et totalement assumé et même prôné par lui, atteint cette fois un paroxysme pour nous insupportable ».

Reste dans tous les cas à définir des critère qui sont pour l’heure « flous » comme le dénonce la Cdefi : « Les critères de sélection et les objectifs poursuivis ne sont pas « clairement définis : on parle de taille critique, s’agit-il d’un nombre absolu d’enseignants-chercheurs et chercheurs affectés ? d’un pourcentage de personnels CNRS affectés par unité ? On parle de « reconnaissance internationale », s’agit-il d’un nombre de publications dans telle ou telle revue ? d’un nombre de médailles ou de prix récompensant le travail du laboratoire ? ».

Qui sera le « chef de file » de la recherche ? Cette questions des « Key labs » est un nouvel exemple du conflit – plus ou moins larvé – qui existe entre les organismes nationaux de recherche (ONR) et les universités depuis qu’Emmanuel Macron, devant les présidents d’université réunis en congrès le 13 janvier 2022 en Sorbonne, a affirmé « Demain, ce sont nos universités qui doivent être les piliers de l’excellence, le centre de gravité pour la recherche comme pour la formation ».

Toujours dans son discours de 2022 Emmanuel Macron voulait « renforcer la capacité de nos grands organismes à jouer un rôle d’agence de moyens ». Une volonté illustrée fin 2023 quand la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, engageait la transformation des ONR en « agences de programme ». En complément de son rôle d’organisme de recherche, le CEA s’est ainsi vu confier le pilotage de deux agences : l’agence de programme Énergies décarbonées et l’agence de programme du composant aux Systèmes et infrastructures numériques.

Mais qui est le chef de file dans ce nouveau contexte ? L’agence / ONR ou les universités ? Du côté de l’association d’universités de recherche Udice les choses semblaient claires (note de position : L’université, cheffe de file de l’enseignement supérieur et de la recherche) : « Dans ce rôle de cheffe de file, holistique et intégré, les universités collaborent étroitement avec les partenaires (ONR, partenaires territoriaux, socio-économiques, internationaux) pour concevoir la politique et la stratégie de l’ESR, tout en suivant son évolution de manière concertée. Les universités dirigent également toutes les expérimentations à mener sur leur site, notamment celles aujourd’hui visant à simplifier les actes administratifs de la recherche, à optimiser l’organisation du soutien à la recherche au bénéfice des laboratoires, à simplifier la gestion des unités de recherche ». Pas certain qu’on ait compris la même chose dans les ONR et le projet d’Antoine Petit tend sans doute à le rappeler.

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Send this to a friend