« Aujourd’hui un dean doit s’emparer de la question digitale ! » Directeur général d’ESCP Europe, Frank Bournois est allé à la rencontre du monde digital ces derniers mois en rencontrant experts et entreprises. En vue : de vraies innovations dans la manière d’enseigner pour répondre aux besoins des entreprises mais aussi de recruter ses étudiants. « Nous allons intensifier nos liens avec les écoles d’ingénieurs pour avoir de plus en plus d’étudiant double diplômés pour anticiper les besoins des entreprises », relève Frank Bournois.
Des enjeux spécifiques. Bâti sur un modèle multi-campus ESCP Europe a, plus qu’aucune autre business school, la nécessité d’employer les ressources digitales pour faire communiquer ses campus, ses étudiants, ses professeurs. « Nos activités numériques ne se substituent pas aux humanités classiques mais les complètent », assure Frank Bournois, qui avait déjà introduit l’enseignement du coding dans son école il y a deux ans : « Un succès fou ! Mais il faut aussi regarder du côté du design, de l’éthique, de la sociologie pour bien développer sa dimension digitale. Notre idée directrice : le digital doit être au service d’une pédagogie augmentée ».
D’ici 2022 un tiers des enseignements d’ESCP Europe seront dispensés en ligne, un autre tiers dans le cadre d’enseignements traditionnels et le reste en petits groupes. « Nous nous appuierons largement sur des temps pédagogiques numérisés réalisées par notre corps professoral mais pas seulement. L’excellence est aussi développée dans nos établissements partenaires », reprend Frank Bournois. L’école construit aujourd’hui une grande bibliothèque numérique pour pouvoir utiliser dans ses cours l’ensemble des ressources de l’école. « Notamment en executive education nous pourrons répondre de manière beaucoup plus rapide aux demandes des entreprises », commente Vasquez Bronfman, dean associé en charge de l’enseignement numérique de l’école. Cela signifie également la nécessité de repenser les espaces de cours pour permettre à ce nouveau modèle de fonctionner.
ESCP Europe a déjà créé trois MOOCs sur Coursera (en « éco-management », « management interculturel » et « business européen ») et surtout un master executive 100% en ligne (l’EMIB). D’abord sur son campus de Madrid, puis en anglais et en français à la rentrée prochaine. Cette année ce sont 42 étudiants qui le suivent du monde entier. « Nous nous adressons à des personnes qui ne peuvent pas facilement se déplacer et qui, où qu’ils soient, peuvent toujours accéder à la formation », explique Vasquez Bronfman. Autres libertés du cursus : celle de suivre son cursus au moment qui vous convient et dans un laps de temps assez large. « Les entreprises veulent former dans le monde entier en associant le on line et le présentiel et nous allons créer un track « blended » pour réunir les deux. » Un « mélangé » qui devrait être la norme dans les années à venir pour Frank Bournois. Le cours de « prérequis », qui est proposé aux étudiants qui rejoignent l’école et rattrapent les cours pendant l’été, sera ainsi digitalisé en forme « blended » cette année.
20 experts interrogés. Au sein de l’observatoire des mutations numériques Netexplo sept grandes entreprises se sont jointes à ESCP Europe pour mesurer ses impacts sur leur organisation. Vingt experts comme Alex Lebrun (responsable de la recherche sur l’intelligence artificielle chez Facebook), Dov Moran (créateur de la clé USB) ou Karl Schroder (un auteur de science-fiction canadien) se sont interrogés sur ce qu’était une entreprise à l’ère digitale. « Dans la Silicon Valley on se tient les uns les autres, on « rely on one another ». Une start up ne crée jamais exactement le produit auquel elle avait songé au début. Le secret c’est le pivot, l’agilité, la capacité à pivoter d’un projet à un autre », confie Luc Julia, qui fut l’inventeur du système Siri d’Apple puis directeur de l’innovation de Samsung. Cette qualité de « pivot » est essentielle et s’accompagne d’autres comme la résilience, la capacité à communiquer de manière interculturelle ou, bien sûr, à travailler en groupe.
« Nous devons montrer à nos étudiants la force mais aussi les limites de ces technologies et notamment du transfert de la responsabilité du monde à la machine », commente Vasquez Bronfman. L’expérience de la Moral Machine du MIT, où un conducteur doit choisir entre plusieurs options d’une voiture autonome confrontée à un accident, en est une excellente illustration. « Qui doit survivre, un enfant contre trois personnes âgées, le conducteur ? Ce sont des enjeux moraux auxquels ne devons pouvoir réfléchir quand certains pensent même qu’une intelligence artificielle (IA) pourrait mieux être à même de juger qu’une intelligence humaine. »