Les oraux de l’ESSEC évoluent pour encore mieux déceler des profils créatifs. Son directeur, Jean-Michel Blanquer, revient avec nous sur les ambitions d’une école plus que jamais ambitieuse.
Olivier Rollot : En première année l’ESSEC recrute quasi exclusivement ses étudiants en classes prépas et propose 395 places cette année (15 de plus qu’en 2016). Qu’attendez-vous des candidats ?
Jean-Michel Blanquer : Nous recherchons une combinaison d’excellence académique, que montrent les épreuves d’admissibilité, un appétit de connaissances prêtes à se développer et des compétences transversales qui sont l’esprit collectif, la capacité à travailler en équipe et à mener des projets. Nous recherchons des candidats qui possèdent les qualités aujourd’hui nécessaires dans la vie économique et sociale : une excellente culture générale pour pouvoir tout comprendre, de la personnalité pour être capable d’innover tout en travaillant en équipe dans un monde où la technologie est de plus en plus importante. Un monde où la créativité humaine et la capacité à faire émerger une conscience collective feront la différence. C’est d’ailleurs pour cette capacité à faire éclore des profils créatifs que l’ESSEC est régulièrement classée première par les employeurs.
O. R : Beaucoup d’écoles font évoluer leur manière de faire passer les oraux. Qu’en est-il de l’ESSEC?
J-M. B : Les qualités recherchées chez nos futurs étudiants sont d’abord décelées au travers d’un test psychotechnique de pointe, que nous venons de renouveler, pour apprécier l’intelligence sociale et intellectuelle de chaque candidat. Ensuite notre nouvel oral dure 45 minutes. Le candidat est face à un jury qui comporte toujours un étudiant de l’école. Un jury qui se présente et auquel le candidat aura à poser des questions de façon à mesurer sa capacité d’écoute. Le candidat a aussi à donner son avis sur un cas pratique d’entreprise pour se mettre en situation.
O. R : Les professeurs de prépas s’inquiètent de voir se multiplier les formes d’oraux au risque de ne plus pouvoir bien y préparer leurs élèves. Vous le comprenez ?
J-M. B : Tout ne se prépare pas en prépa. Un candidat doit d’abord montrer les compétences qu’il a développé tout au long de sa vie, par le sport, par la culture, ses amitiés, ses activités associatives, etc. Nous attendons aussi de sa part de la spontanéité. Nous cherchons surtout à éviter les réponses stéréotypées du « candidat idéal » alors qu’à l’ESSEC nous voulons cultiver l’esprit de liberté, l’esprit pionnier. Etre naturel c’est l’esprit ESSEC.
O. R : Ces qualités un entretien suffit à les déceler ?
J-M. B : 45 minutes c’est long et cela permet de voir si une identité est artificielle. Nous ne cherchons pas des candidats qui savent tout sur le monde mais qui sont eux-mêmes et démontrent leur authenticité.
O. R : Parlons maintenant plus largement de l’ESSEC et de ses partenaires. Avec les autres établissements de votre Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Paris-Seine vous venez d’être lauréats d’un Isite. Quels sont maintenant vos objectifs ?
J-M. B : Notre projet est arrivé premier de sa session avec le plus de notes « A ». Le jury a relevé son caractère pionnier pour faire émerger une université de recherche de niveau master et doctorat. Ensemble nous voulons maintenant créer un campus international. Sur 2 km² à Cergy même, il donnera aux étudiants des conditions de vie et de travail comparables à celles des grands campus américains et britanniques.
Sur ce campus un espace académique international sera à même de recevoir des institutions de premier ordre. Nous avons lancé un appel à projet et avons déjà de très bons contacts au Royaume-Uni où les universités se posent des questions sur leur attractivité et leur accès aux fonds européens après le Brexit. On peut jeter des ponts là où d’autres construisent des murs !
O. R : L’international est au cœur du développement de l’ESSEC. Avez-vous de nouveaux projets ?
J-M. B : Nous sommes maintenant bien implantés à Singapour et nous avons inauguré notre campus au Maroc en avril. Nous réfléchissons maintenant à une implantation en Amérique. L’objectif de notre stratégie multipolaire est en effet d’avoir un campus sur chaque continent. Dans le cadre de notre programme grande école nous pouvons ainsi proposer à nos étudiants des programmes « Doing business in Asia » et demain « in Africa » en ayant la possibilité de passer un semestre à Rabat. Nous voulons être une école de management de référence en Afrique comme en Asie en étant présent là où se jouent les grands enjeux de croissance et de développement du XXIe siècle.
O. R : Comment financez-vous le développement de ces campus ?
J-M. B : Ce sont des investissements importants qui correspondent à un modèle économique équilibré avec l’ouverture de programmes sur place et le développement de la formation continue. Singapour mène d’ailleurs une politique d’accueil d’institutions d’excellence et nous a reçu dans un esprit de confiance mutuelle. Comme Singapour pour l’Asie, Rabat est un hub pour l’Afrique. C’est ce que nous voulons faire également à Cergy, à proximité de Paris qui est un des très rares hubs mondiaux. Nous sommes donc en train de construire un « campus monde » qui nous permet de recruter d’excellents étudiants du monde entier et de développer une culture de la diversité en préparant nos étudiants à la vie internationale.
O. R : Vous avez été recteur, vous avez écrit de nombreux ouvrages sur notre système éducatif dont vous êtes un observateur privilégié, comment analysez-vous la baisse générale des établissements d’enseignement supérieur français dans les classements internationaux cette année ?
J-M. B : Le problème c’est qu’aujourd’hui on articule mal les fonctions de notre enseignement supérieur qui sont, d’un côté d’amener le plus grand nombre de personnes jusqu’à leur potentiel maximum, de l’autre de conduire à l’excellence académique grâce à une recherche de rang mondial. Il ne faut pas tout mélanger et les universités de très grande taille ont du mal à maintenir le niveau d’excellence. Il faut, à l’échelle de la France, une stratégie permettant de distinguer les deux missions et d’exceller dans les deux. Cela nécessite souplesse, efficacité, autonomie et cohérence. Pas d’usine à gaz mais des entités de bonne taille, agiles. C’est ce que nous sommes en train de faire à Cergy. C’est ce qui peut se réaliser dans l’ensemble du pays. Nous pouvons être optimistes et croire dans le retour de nos universités vers les hauteurs des grands classements. Aujourd’hui seules les écoles de management sont très bien placées. Elles doivent être des locomotives pour tout le système.
O. R : Que pensez-vous de la création d’« écoles universitaires de recherche » que préconise maintenant le Commissariat général à l’investissement ? Et plus largement de l’organisation de l’université ?
J-M. B : Nous avons besoin d’un système lisible avec des institutions internes qui correspondent au génie de chaque institution. Il faut créer un nouveau modèle universitaire fondé sur des collèges universitaires de premiers cycles ouverts et toujours aussi accessibles financièrement. Mais aussi des universités de recherche sélectives, éventuellement payantes, avec un système de bourse, qui permettent d’aller vers l’excellence.
Aujourd’hui on gâche la vie de milliers de jeunes et on jette littéralement l’argent pas les fenêtres avec des taux d’échec qui sont un véritable scandale national. Il faut une plus grande fluiditédu lycée à l’enseignement supérieur. Il faut pouvoir proposer des premiers cycles personnalisés laissant la place à des expériences pratiques et à la diversité des talents avec un encadrement personnalisé.
O. R : L’investissement de la France dans son enseignement supérieur est-il suffisant ?
J-M. B : Nous dépensons en moyenne 11 à 12 000€ par étudiant et par an quand il en faudrait 15 000€. Mais on pourrait également faire mieux en évitant tout le gâchis que j’évoquais. L’enseignement supérieur et la recherche sont des sujets stratégiques pour lesquels l’argent public est un investissement d’avenir. Même les Etats réputés « libéraux » comme Singapour, la Suisse ou les Etats-Unis choisissent un niveau élevé de dépenses publiques en la matière.
O. R : Les niveaux LMD sont-ils adaptés à tous alors que se développent des bachelors en 4 ans, que les IUT veulent des bachelors en 3 ans et que tous les étudiants semblent ne rêver que de bac+5 ?
J-M. B : Le LMD ce n’est pas forcément 3/5/8. Il faut laisser se développer les parcours les plus divers dont la cohérence doit être garantie par les étudiants eux-mêmes et par les établissements qui valident leurs parcours. Le niveau bac+2 (le BTS, le DUT, la classe préparatoire) est très bon en France, il ne faut pas le sacrifier pour un fétichisme du bac+3. Il y a des masters 1 qui ont toute leur légitimité comme l’ont les bachelors en 4 ans. Je plaide donc pour un système fondé sur les ECTS et où chaque année représente un niveau reconnu.
Prenons l’exemple de Singapour : on n’y affirme pas que tous les étudiants devraient obtenir un master au nom de discours incantatoires au risque de créer des frustrations. On y développe également des formations courtes et professionnalisantes très appréciées. Le but n’est pas d’amener tous les habitants de la planète au niveau Master. Il est d’avoir une vision de l’éducation comme une formation tout au long de la vie permettant à chacun de s’épanouir et d’évoluer. Ce que je préconise c’est un enseignement supérieur en 1/2/3/4/5 fondé sur la progressivité et la modularité.