Même si c’est moins le cas que leurs consœurs d’EC les professeurs de classes préparatoires scientifiques n’en réfléchissent pas moins à leur évolution suite à la réforme du bac et des spécialités de lycées. Illustration avec le président de l’Union des classes préparatoires scientifiques (UPS), Mickaël Prost.
Olivier Rollot : La réforme du bac et du lycée voulue par le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, est maintenant sur les rails. Quel regard jetez-vous sur elle ?
Mickaël Prost : Le cri d’alarme poussé par l’UPS sur la dégradation de la formation scientifique au lycée aux côtés d’autres associations scientifiques et de l’Académie des Sciences a induit une prise de conscience du ministère de l’Education nationale. Nous nous réjouissons de la mise en place des nouveaux programmes de seconde et première plus exigeants, plus cohérents et plus à même de préparer une entrée dans l’enseignement supérieur. Cet aspect positif est néanmoins contrebalancé par l’architecture des spécialités en terminale conduisant à la disparition pure et simple d’une troisième discipline scientifique.
L’introduction plus large de l’informatique en tant que discipline autonome (spécialité « numérique et sciences informatiques ») est en revanche une grande avancée. Si nous ne connaissons pas encore les lycées qui seront en mesure de proposer cette spécialité en terminale, cette dernière bénéficie d’un réel engouement de la part des lycéens et de leurs familles. Plus de la moitié des lycées pourraient l’ouvrir en première alors qu’elle devait initialement faire partie des spécialités dites rares, faisant « l’objet d’implantations académiques par bassin de formation ». Reste à savoir si le vivier d’enseignants pourra suivre malgré la création de diplômes d’université dans l’ensemble des académies pour conduire des formations accélérées en fin d’année scolaire.
O.R : Vous dites que la réforme prépare mieux aux sciences mais la paradoxe est que l’enseignement des mathématiques n’est plus du tout obligatoire au lycée.
M. P : Le nouveau lycée formera mieux aux mathématiques les seuls élèves qui auront choisi de faire des mathématiques. C’est la principale crainte de tous ceux qui auraient souhaité la présence des mathématiques dans le tronc commun. Il y a des besoins indéniables, je pense en particulier à la formation des futurs professeurs des écoles, des journalistes… Cela rend le choix de la spécialité mathématiques – voire l’option de terminale « mathématiques expertes » – ou a minima de l’option « mathématiques complémentaires » essentiel. L’enseignement scientifique de tronc commun, très maigre en mathématiques, n’y suffira pas.
Les mathématiques sont une discipline cumulative. Comme la musique, comme le sport, elles requièrent une pratique régulière pour acquérir des gestes, des techniques et des réflexes. C’est une des raisons qui explique la nécessité de commencer à les pratiquer dès le plus jeune âge.
Du côté des profils les plus scientifiques, si vous additionnez le tronc commun et, par exemple, deux spécialités scientifiques en première il n’y a en définitive que 35% des heures d’enseignement dispensées consacrées aux sciences. Pour poursuivre un cursus en sciences dans l’enseignement supérieur, en particulier en CPGE, nous recommandons d’en prendre trois, dont les mathématiques et la physique-chimie qui sont incontournables. Force est de constater que nous ne sommes pas encore parvenus à un volume horaire de sciences conforme à nos attentes. D’autant que nous ne savons pas encore si l’option « mathématiques expertes » de terminale sera présente partout. Tous les établissements seront-ils en mesure de proposer aux élèves une offre de formation complète en mathématiques ? Il serait cohérent que le ministère soutienne budgétairement ces ouvertures d’options dans le cadre du plan Villani-Torossian de refondation de l’enseignement des mathématiques.
O. R : Mais à quoi sert le module « enseignement scientifique » du tronc commun ?
M. P : Il s’adresse à un public très large avec des objectifs très divers : entre pratique scientifique, découverte des enjeux scientifiques du monde contemporain et mise en lumière de l’apport de la démarche scientifique dans la construction d’un jugement critique, le programme centré sur les sciences expérimentales est certes séduisant mais vaste. Ces contenus seront-ils adaptés à des publics qui n’ont pas tous la même appétence pour les sciences ?
O. R : Comment les classes préparatoires scientifiques vont-elles s’adapter à cette nouvelle architecture du lycée ?
M. P : Nos deux ministères de tutelle sont en passe d’engager un travail de concertation entre les différentes parties prenantes pour adapter nos classes à ce qui est la plus grande réforme du lycée depuis cinquante ans. L’inspection générale pilotera un groupe de travail visant à mettre en œuvre les ajustements nécessaires pour favoriser la réussite de ces futurs bacheliers dans les cursus exigeants que constituent les classes préparatoires. Le cadre est déjà précisé : que le jeu des spécialités reste ouvert pour accéder à l’éventail des formations au sein des CPGE. Avec, en fonction des parcours au lycée, des orientations naturelles vers une prépa littéraire, économique et commerciale ou bien scientifique.
O. R : Le choix des spécialités doit rester ouvert mais il y a néanmoins certaines spécialités qui s’imposent d’elles-mêmes si on désire accéder à certains cursus…
M. P : Au milieu des parcours multiples, il y a effectivement des voies plus naturelles. Il ne faudrait pas imaginer un grand bouleversement en 2021 de la formation dispensée en classe prépa scientifique. Celle-ci s’appuie sur les besoins des écoles d’ingénieurs qui émanent eux-mêmes des exigences du monde de l’industrie et de la recherche, la réforme du lycée n’a pas vocation et ne prétend pas d’ailleurs modifier ces équilibres.
Il serait en particulier peu pertinent de remettre en question le modèle des ingénieurs à la française, plébiscité en France comme à l’étranger. Ce modèle s’appuie sur une formation très solide en mathématiques et en physique-chimie pour former des étudiants qui sont à la fois des bons techniciens des sciences mais aussi des étudiants qui ont acquis une hauteur conceptuelle utile tout au long de leur vie professionnelle. Ce qui amènera jusqu’à nos classes un flux très majoritaire d’élèves ayant choisi les spécialités mathématiques et physique-chimie. Mais également, en proportion plus modeste, des élèves qui auront choisi mathématiques et sciences de l’ingénieur et qui ont toute leur place en CPGE.
Mais il y a un véritable travail à mener pour nous ouvrir à d’autres profils et accueillir, par exemple, des élèves férus d’informatique et qui, après 6h d’enseignement hebdomadaire d’informatique en terminale, ne trouveraient pas de quoi satisfaire leurs appétences en CPGE, au-delà des seules mathématiques et physique. Un des grands enjeux du chantier à venir est de proposer en prépa un parcours hautement coloré en informatique. On parle chaque jour de Big Data ou d’intelligence artificielle (IA), les compétences informatiques s’arrachent sur le marché du travail, il est urgent de penser à l’ouverture d’un parcours laissant une place plus conséquente qu’aujourd’hui à l’informatique tout en conservant l’esprit pluridisciplinaire qui caractérise les prépas avec un socle solide en mathématiques et en physique. Les profils qui auront choisi la spécialité « numérique et sciences informatiques » en première-terminale ont besoin de débouchés adaptés en mathématiques-informatique. Ce serait regrettable de voir des étudiants passionnés d’informatique privilégier des école d’ingénieurs privées ou des universités étrangères si les CPGE ne complétaient pas leur offre de formation. La très attractive option informatique en MP-SI n’y suffira pas.
O. R : Tous les profils scientifiques auront leur place en CPGE ?
M. P : Nous accueillons aujourd’hui des étudiants dans sept filières différentes en première année, dont trois technologiques, sans parler de la filière ATS accessible aux étudiants issus de BTS ou d’IUT. Nous avons une vraie culture de la diversité et les moyens d’accueillir un large spectre de profils scientifiques. Il reste cependant à organiser nos filières pour accueillir des profils qui seront plus hétérogènes demain, en fonction des couplages choisis par les lycéens. Il faudra veiller à éviter les aspects tubulaires en ouvrant peut-être de façon plus large l’accès aux filières de deuxième année.
Ce travail doit être engagé rapidement pour que nous puissions communiquer auprès des jeunes afin de les accompagner dans la construction de parcours en cohérence avec leurs poursuites d’études. Il nous faut aussi leur expliquer que 85% des élèves qui entrent en première année accèdent à une école en deux ou trois ans. Qu’il y a presque autant de places dans les écoles d’ingénieurs que d’étudiants en 2ème année. Qu’avec 50 000 étudiants dans nos classes chaque année, les prépas sont devenues un enseignement de masse, tout en assurant un accompagnement et un suivi personnalisé des étudiants, gage de leur motivation et de leur réussite personnelle et collective.
O. R : Le système des concours post prépas n’est-il pas un peu compliqué ?
M. P : Nous avons aujourd’hui cinq grandes familles de concours. Demain peut-être seulement quatre avec le concours e3a qui pourrait évoluer. Nous accordons une grande importance à la pluralité des concours qui assure à chaque candidat une maximisation de ses chances de réussite, quelle que soit sa filière d’origine.
O. R : Les grandes écoles les plus sélectives ne sont-elles pas l’apanage d’un trop petit nombre de lycées ?
M. P : C’est pour nous, enseignants de classes préparatoires, un des gros enjeux de la réforme à venir derrière la question des choix de spécialités au lycée. Nous ne voulons pas d’un système à deux vitesses dans lequel il y aurait des lycées hétérogènes dans leur recrutement et d’autres homogènes. Quant à la concentration que vous évoquez, elle n’est pas vraie pour des écoles aussi prestigieuses que Mines ParisTech ou CentraleSupélec qui recrutent dans plus de soixante-dix lycées répartis sur tout le territoire.
O. R : Parcoursup est entré dans sa deuxième année. Quel bilan tirez-vous de la première et qu’en attendez-vous cette année ?
M. P : Nous avons constaté un véritable afflux de dossiers, 100% de plus parfois, signe de l’attractivité des CPGE, mais cette dynamique a été entravée par les engorgements estivaux sur la plateforme. Au total, les effectifs dans les classes préparatoires scientifiques restent en hausse mais cette augmentation n’est pas à la hauteur des années précédentes et du pic démographique que nous connaissons.
À défaut du retour à une hiérarchisation des vœux que nous aurions souhaité, nous accueillons très positivement le raccourcissement par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation du calendrier des affectations. Le dispositif du « répondeur automatique » permettra de donner une réponse automatique pour chaque candidat dès les résultats du bac et accélérera sans doute la procédure. Mais pourquoi ne pas le mettre en œuvre dès le début du processus ?
O. R : Et l’anonymisation des candidats – nom, prénom, âge, adresse mais pas lycée d’origine – dans Parcoursup cette année, qu’en pensez-vous ?
M. P : Nous en prenons acte même s’il est presque insultant de penser que nous aurions pu faire de ces éléments des critères discriminants. Alors que les citoyens sont méfiants quant à l’utilisation d’algorithmes, il serait paradoxal d’enlever davantage d’éléments personnalisant les dossiers de candidatures. D’autant que certains établissements, notamment ceux qui recrutent sur concours, auront forcément accès à toutes les données et d’autres non. C’est un vrai problème d’équité.
Il me semble qu’on se trompe de combat. La lettre de motivation est sans doute le plus fort marqueur social du dossier. Certains élèves – quand ce ne sont pas leurs proches – égrènent toutes leurs activités périscolaires quand d’autres ne peuvent produire que des écrits stéréotypés. Nous préférons nous fonder sur les appréciations des professeurs pour évaluer le niveau scientifique et le potentiel de chaque candidat.