ECOLES DE MANAGEMENT, PROGRAMMES

«Il doit y avoir moins de dichotomie entre la recherche et la pédagogie»: Serge da Motta Veiga, directeur général adjoint de Neoma

Quel poids doit avoir la recherche dans les business schools ? Comment les enseignants-chercheurs doivent partager leur temps, comment donner plus d’impact à leurs recherches, les questions autour de la recherche dans les écoles de management sont nombreuses. Les réponses Serge da Motta Veiga, directeur général adjoint de Neoma en charge de la faculté et le directeur de la recherche depuis 2023.

Olivier Rollot : Directeur général adjoint de Neoma en charge de la faculté vous en êtes également le directeur de la recherche depuis 2023. Auparavant vous avez notamment été enseignant-chercheur aux Etats-Unis. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui sur la façon dont doit être menée la recherche dans les écoles de management. Et notamment de la mesure de son impact comme tente de le faire The Financial Times dans un nouveau classement encore expérimental (lire plus bas). Quelle est la vision de la recherche que vous défendez au sein de Neoma ?

Serge da Motta Veiga : Après vingt années pendant lesquelles on a mis en avant la recherche, on est un peu passé à ne faire que de la recherche dans le but de compter le nombre de publications. Or tout doit aller de pair dans un écosystème où nous ne sommes pas que des professeurs, des chercheurs ou des cadres administratifs. Je crois dans la synergie des différentes parties de la vie professionnelle d’un enseignant-chercheur. En lien avec ceci, la recherche est en crise si on se fixe uniquement sur la quantité. A Neoma, nous croyons avant tout à la qualité et à l’impact de notre recherche.

Les classements et les accréditations sont par ailleurs très importants mais ils ne doivent pas porter toute notre action. De ce point de vue le nouveau classement auquel réfléchit The Financial Times semble intéressant même si certains contours méritent encore d’être précisés.

Pour notre part nous mettons en avant la qualité de la recherche mesurée par leur publication de revues aux rangs les plus élevés. Et nous mettons l’accent sur l’impact que peut avoir notre recherche sur différentes parties prenantes, dont les entreprises, nos étudiants, ou encore le grand public.

O. R : Une recherche qui se veut moins théorique ?

S. M-V : Pas une recherche « pratique » comme on l’entend parfois mais une recherche qui peut servir aux entreprises. Notre recherche est déjà alignée en ce sens mais reste encore un peu trop centrée sur sa seule publication. Il ne faut pas seulement publier son article et passer au suivant. Il faut aussi pouvoir disséminer sa recherche et son expertise dans un domaine de recherche auprès du grand public ou des entreprises.

O. R : Mais comment mesurer l’impact de la recherche au-delà des seules publications ?

S. M-V : Nous avons défini 5 axes clés qui nous permettent d’évaluer l’impact de notre recherche envers les étudiants, les entreprises, les organismes publics, le grand public et enfin le fundraising, par exemple pour postuler à des bourses ERC (European Research Council). Nous devons pouvoir miser sur beaucoup de nos professeurs comme l’un de nos professeurs d’économie, Gilbert Cette, qui préside le Conseil d’orientation des retraites, publie des livres, des tribunes, des articles. Après il faut pouvoir donner une valeur à chaque publication, jusqu’à la Harvard Business Review qui s’adresse plutôt aux managers et au grand public, avec des outils de calcul d’impact.

O. R : Pour avoir de l’impact vous vous concentrez sur certaines thématiques ?

S. M-V : Nous avons effectivement identifié quatre pôles d’excellence dans lesquels nous souhaitons plus particulièrement développer nos expertises en termes de recherche : The Future of Work, The World We Want, The Complexity Advantage et AI, Data Science & Business. Mais de plus en plus, il faut penser en termes de partenariat avec les entreprises. Un des axes futurs de la recherche c’est la co-construction de projets de recherche avec le monde professionnel. C’est d’autant plus précieux pour les enseignants-chercheurs que ces collaborations peuvent leur apportent des données fiables.

Pour les amener à travailler avec nous, nous organisons d’ailleurs des petits déjeuners thématiques où des entreprises viennent à la rencontre de quelques enseignants-chercheurs dans un domaine d’expertise commun. Il est important d’ajouter qu’il faut rendre la recherche plus en lien avec les besoins du monde réel, même si elle reste fondée scientifiquement sur la théorie. Sinon cela deviendrait du travail de consultant.

O. R : La recherche doit se transmettre aux étudiants !

S. M-V : Il doit y avoir moins de dichotomie entre la recherche et la pédagogie. Nous devons nous rediriger vers les objectifs initiaux des écoles avec une recherche qui n’est pas qu’un outil statistique destiné à produire des étoiles. Chaque professeur doit donner cours de manière engageante en s’appuyant sur sa recherche mais aussi celle d’autres experts du domaine d’enseignement. Mon rôle est de soutenir les professeurs pour qu’ils fassent les deux.

O. R : Combien de professeurs Neoma recrute-t-elle chaque année ?

S. M-V : Nous affichons un recrutement annuel de l’ordre de 25 nouveaux professeurs. Aujourd’hui nous devons anticiper nos besoins et nous recrutons des profils qui savent aussi bien être de bons enseignants que des chercheurs de qualité. Mais ce n’est pas facile si on ne fait pas évoluer un système dans lequel ce sont principalement les publications qui permettent la mobilité professionnelle. Dans cinq à dix ans, je suis persuadé que le professeur dont l’enseignement est moyen, qui n’a pas d’impact, mais qui a un bon nombre de publications, sera moins recherché qu’aujourd’hui. Il nous faut plus d’experts reconnus qui ont un impact sur les diverses parties prenantes des écoles de commerce !

O. R : Justement : comment aidez-vous vos professeurs à améliorer leur impact ?

S. M-V : Un « impact officer » les aide à vulgariser leur recherche. Une fois par mois un comité scientifique se réunit pour décider de deux à trois articles qui seront vulgarisés et médiatisés. Nous aidons également nos professeurs à écrire pour le site The Conversation des articles qui peuvent ensuite être repris ailleurs. Et c’est valable également pour nos professeurs anglophones dont nous traduisons les textes en français. Nous incitons nos professeurs à gérer leur impact global et il suffit que 50 de nos 200 professeurs le fassent bien pour que nous ayons déjà un fort impact. Cela voudrait en effet dire que nous avons 50 experts avec un rayonnement national et international. Mais attention : pas dans un seul domaine d’expertise. Nous ne nous voulons pas être reconnus seulement dans une spécialité « niche ».

O. R : Formez-vous de futurs docteurs en gestion, en économie ?

S. M-V : Neoma a un programme de formation de doctorants, entre autres en partenariat avec l’Université de Reims Champagne Ardenne (URCA) et nous jouons également la carte internationale avec des double diplômes en Belgique, Italie ou encore en Espagne. En tout, nous comptons aujourd’hui 25 à 30 doctorants et quatre viennent nous rejoindre chaque année.

Notre ambition est d’en former toujours davantage tout en gardant la qualité. Et nous souhaiterions également attirer plus de doctorants français qui, pour la plupart aujourd’hui, se dirigent vers les universités publiques. Comme aux Etats-Unis, nous recevons en effet principalement des candidatures internationales, mais très peu de francophones.

O. R : Ces recrutements sont d’autant plus cruciaux que le nombre de départs à la retraite va augmenter dans les années à venir ; comment vous y préparez-vous ?

S. M-V : Ce sont d’abord nos professeurs francophones, parce qu’ils sont les plus anciens au sein de l’école qui vont nous quitter ! Nous donnons donc des cours de français à nos professeurs internationaux pour les conserver. Beaucoup d’entre eux y prennent goût et parlent même très bien français.

O. R : Neoma propose-t-elle un DBA (Doctorate of Business Administration) ?

S. M-V : Pour le moment ce dernier est suspendu, car nous réfléchissons à une nouvelle offre. Notre ambition sur le sujet est claire : délivrer un DBA de qualité à des dirigeants français comme internationaux.

  • Le Financial Times s’interroge sur l’impact de la recherche en management et réfléchit à crée un premier classement. Sous le titre « Business school and the pursuit of rigour, resonance and relevance » (« Les écoles de commerce et la recherche de la rigueur, de l’impact et de la pertinence ») le Financial Times explore l’impact des travaux récents. Il note que, lors de la conférence de l’Academy of Management à Chicago en août dernier, « parmi les centaines de projets discutés au cours de la semaine, certains se sont distingués par leur qualité. Mais beaucoup d’autres semblaient particulièrement ésotériques et théoriques. Les recherches ayant des applications pratiques — et encore moins celles axées sur les enjeux les plus cruciaux pour la société, comme le changement climatique, la pauvreté et les inégalités — étaient moins visibles ». Comme le déplore George Feiger, le doyen de l’Aston Business School « le vrai problème est un déséquilibre dramatique dans les écoles de commerce, où les universitaires mesurent leur succès — et où leurs institutions les évaluent — presque exclusivement en fonction de publications dans une prolifération de revues que personne ne lit ».
  • Pour évaluer l’impact de la recherche le Financial Times utilise le « FT50 », une liste de revues sélectionnées en consultation avec des business school. Mais le calcul de l’impact des revues étant généralement basé sur les citations — des références directes à un article dans d’autres publications -, il faut souvent plusieurs années pour qu’un volume représentatif de citations émerge. Pour contourner cet écueil, le FT cherche à explorer l’impact des travaux récents d’universitaires (au cours des trois dernières années) et, par extension, de leurs écoles.
  • Le résultat de ce premier test d’un classement d’impact de la recherche donne sans surprise la victoire à Chicago Booth devant Stanford et la Columbia BS. Il faut remonter à la 10ème place pour trouver la première business school française qu’est l’Insead alors que HEC Paris est 37ème et l’Essec 81ème.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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