Deux débats réunissaient le 15 mai grands acteurs de l’enseignement supérieur privé, avec Claire Khecha, Martin Hirsch et José Milano, de la puissance publique avec Anne-Sophie Barthez et Stéphane Le Bouler, de l’entreprise avec Benoit Serre et du monde politique avec le député Dominique Da Silva
La baisse programmée des financements de l’apprentissage associée à la possible création d’un nouveau label pour l’enseignement supérieur privé conduisent aujourd’hui les grands acteurs à présenter chacune leurs propositions. D’un côté les opérateurs « classiques », Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs), Conférence des Grandes écoles (CGE), Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm), Fesic (Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif) et Union des Grandes écoles indépendantes (UGEI). De l’autre les nouveaux acteurs de l’enseignement supérieur privé lucratif bientôt réunis dans une toute nouvelle Conférence des établissements d’enseignement supérieur à vocation professionnelle et de l’alternance, la CEESPA, que le président de l’association Les entreprises éducatives pour l’emploi (E3) et directeur général du groupe Eduservices, Philippe Grassaud, a présenté le 15 mai. Avec son association – qui regroupe l’ensemble la quasi-totalité des acteurs de Galileo à Omnes Education en passant par Eduservices ou Ynov – il organisait les quatrièmes Rencontres pour la réussite professionnelle des jeunes à Paris dans les locaux de la Maison de l’Amérique latine.
Comment définir un label puis évaluer les établissements ?
« Nous sommes au milieu du gué », promet Anne-Sophie Barthez, la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle du MESR, lors de la conférence de l’association E3. Après des mois de concertation sur le projet de label de qualité pour les formations – voire les établissements dans leur ensemble comme le demandent les grands groupes privés lucratifs -, de l’enseignement supérieur privé, le suspense est entier : à quoi ressemblera ce label et verra-t-il vraiment le jour. Alors qu’on évoque sept grandes familles de critères de qualité elle insiste sur la « chance d’avoir une diversité d’acteurs de l’enseignement supérieur, public et privé, lucratif et non lucratif. Le tout est d’organiser le travail de tous ces acteurs alors que l’enseignement supérieur est devenu largement illisible pour les jeunes et leurs familles. Nous voulons remettre de la lisibilité. Le Hcéres jouera forcément un rôle car la loi établit qu’il a un droit de regard sur l’ensemble de l’évaluation. Le tout main dans la main avec le ministère du Travail ».
Le président par intérim du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), Stéphane Le Bouler, va dans son sens et promet même de proposer vite des préconisations qui pourraient aller plus loin que le « Qaliopi+ » dont parlait son prédécesseur, Thierry Coulhon, en 2023 :« Le Hcéres est prêt à mobiliser son expertise de 20 ans d’évaluation de 20 ans en créant des indicateurs de qualité mais aussi de non-qualité. Une non-qualité qu’il faudra se donner les moyens de révéler, même si on peut espérer que la régulation se fera aussi grâce à une concurrence accrue entre les opérateurs ». Devant une tâche qui s’annonce titanesque au vu du nombre de formations à évaluer, il propose également de « valider les processus d’évaluation des écoles » comme le Hcéres le fait par exemple pour la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion).
Un enjeu d’amélioration de la qualité auquel adhérent les établissements privés même s’il y a une « présomption de non-qualité d’un côté », regrette Martin Hirsch, vice-président du groupe Galileo Global Education, qui rappelle que « l’employabilité est un critère majeur » tout en se demandant s’il est « bien logique de mesurer en priorité si les diplômés s’insèrent dans le secteur directement en rapport avec leur diplôme alors qu’on parle tout le temps d’évoluer ? »
Du côté des acteurs publics et privés non lucratifs
La Cdefi appelle à la « mise en œuvre d’une meilleure régulation par l’État ». Elle « regrette l’actuelle confusion autour des notions de « contrôle par l’État » ou « reconnu par l’État », sur laquelle jouent certains établissements privés ayant obtenu un titre RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) pour attirer des étudiants sur la base d’éléments de communication spécieux ». Pour améliorer la régulation par l’État et la lisibilité globale de l’offre de formation supérieure, la Cdefi appelle à « mettre en place une évaluation systématique de la qualité sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche de toutes les formations initiales postbac, et à faire de cette évaluation une condition de leur référencement sur Parcoursup ». La Cdefi demande même que soit « conditionnée la reconnaissance ou la labellisation des formations supérieures postbac à un recrutement exclusif via Parcoursup (comme c’est déjà une obligation par exemple pour les formations conférant un grade, les formations des EESPIG), à l’exception des étudiants internationaux ».
Une position proche de celle de la Fesic comme l’explique Delphine Le Quilliec, sa déléguée générale, qui demande qu’on « apporte du contrôle et de la transparence à un secteur parmi les moins régulés par l’État en France alors qu’on touche pourtant à l’essentiel, à la construction de l’avenir de notre société, avec la formation des jeunes. Établir un cadre protecteur pour l’intérêt général et le droit des étudiants est indispensable ». Quant à l’Union des Grandes écoles indépendantes (UGEI), qui réunit acteurs de l’enseignement supérieur non lucratifs comme lucratifs, elle estime par la voix de son président et directeur général de l’ESTP, Joël Cuny, qu’il « faut avant tout mieux informer les familles sur ce qu’est un grade, un visa, un bachelor et quelles poursuites d’études cela permet ou pas » tout en insistant pour ne « pas cascader les labels, le visa doit suffire pour les écoles qui l’ont déjà ».
Quel financement pour l’apprentissage ?
Alors que les niveaux de prise en charge (NPEC) des formations en apprentissage s’apprêtent à baisser dans l’enseignement supérieur pour les niveaux 6 et 7 (licence, master, diplôme d’ingénieur), la question de son financement est au centre des préoccupations des acteurs de l’enseignement supérieur. « Ce sont une nouvelle fois les formations supérieures qui font les frais de décisions d’économies. Faut-il en déduire que le nombre de diplômés du supérieur, et en ce qui nous concerne de diplômés ingénieurs, doit être réduit ? », dénonce la Cdefi dans un communiqué. « Il faudra bien résoudre la question du financement déficitaire de l’apprentissage. Ca peut être par des contributions complémentaires. Ca peut être par un regard sur la qualité des formations avec un contrôle plus efficient », distille Dominique Da Silva, député du Val d’Oise et rapporteur spécial travail-emploi de l’Assemblée nationale en amont des rencontres de l’association 3E. « La croissance de l’apprentissage doit être durable et donc soutenable financièrement », martèle Geoffroy de Vitry, haut-commissaire à l’enseignement et à la formation professionnelle (sous la double tutelle des ministères du Travail, de la Santé et des Solidarités et l’Éducation nationale et de la Jeunesse), qui rappelle « apporter un intérêt particulier aux niveaux les moins élevés ».
Passé ce constat financier comment faire évoluer le système ? Une question qui se pose encore plus dans l’enseignement supérieur privé lucratif qui forme 65% de ses effectifs en apprentissage contre 20% en moyenne dans le supérieur. « Les programmes reçoivent des financements très disparates selon les écoles et les régions. Il y a énormément de rentes dans le système au détriment des acteurs, des CFA, qui tentent de faire des gains de productivité. Il y a des marges de manœuvre », insiste José Milano, président exécutif du groupe Omnes Education. « Il est impossible d’envisager un acte II de l’apprentissage si on ne simplifie pas le secteur tout en le stabilisant. Comment travailler quand, à six, sept mois, on ne sait pas comment vont évoluer les financements ? », regrette Claire Khecha, déléguée générale de la fédération Acteurs de la compétence. « Le système est arrivé au bout et nous avons essayé cette année de faire quelque chose de plus ciblé et de plus juste avec des enjeux de qualité qui seront un prochain chantier très important. De toute façon on de montera jamais à deux millions d’apprentis », répond Jérôme Marchand-Arvier, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle au sein du ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion. « Faut-il privilégier les métiers en tension dans les financements ? Compliqué car de plus en plus de métiers sont en tension aujourd’hui », remarque Claire Khecha.
De son côté la Cdefi appelle l’État à « recentrer les financements de l’apprentissage dans le supérieur sur les formations qui, quel que soit le niveau, peuvent se prévaloir d’une qualité contrôlée sous la supervision du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche ». Une Cdefi qui dénonce un développement massif de l’apprentissage qui « s’est accompagné de l’émergence d’acteurs opportunistes et d’une captation des fonds par des formations parfois de faible qualité ». Plutôt que de différentier le financement de l’apprentissage en fonction des niveaux de qualification, alors que l’apprentissage, en croissance dans le supérieur, était en passe de devenir une voie d’excellence, la Cdefi appelle donc le gouvernement à « réguler par la qualité. »
Pour la Fesic, Delphine Le Quilliec demande qu’on soit plus vigilants « sur la qualité et le sérieux des formations en apprentissage, un contrôle plus strict des modalités de la formation et des chiffres d’insertion professionnelle réels, annoncés par l’établissement ». L’UGEI insiste pour que l’apprentissage soit réservé aux seuls diplômes et titres titulaires du futur label afin de « s’assurer de la bonne utilisation des fonds destinés à l’apprentissage ». Pour elle il « devrait être obligatoire, pour tout titre ou formation qui souhaite être dispensé en apprentissage, de faire une demande de labellisation en nom propre y compris (et surtout) pour les titres loués ». Pour Joël Cuny et l’UGEI, « le développement – très positif – de l’apprentissage s’est fait au détriment d’un minimum de contrôles tels que ceux que les CFA opéraient avant 2018. Les OPCO (opérateur de compétences) et France Compétences devraient plus contrôler les établissements formateurs ». Et d’analyser : « L’ambiguïté du système est due au partage des compétences entre deux ministères qui tracent chacun leurs objectifs ».
Un débat qui apparait alors qu’un premier tassement du recrutement des apprentis apparait notent certaines écoles. « Ce mouvement n’est pas incohérent avec la politique d’emploi des entreprises qui recrutent leurs apprentis et n’en prennent donc pas d’autre. N’oublions pas que le soutien massif à l’apprentissage date des années Covid et qu’il s’agissait de préserver l’emploi des jeunes », rappelle Benoit Serre, vice-président de l’Andrh. « Aller chercher de nouveaux apprentis c’est aller chercher des profils plus éloignés de l’entreprise et cela demande des dispositifs de recrutement et d’adaptation plus compliqués », note José Milano quand Benoit Serre conclut : « Le vrai indicateur c’est le taux de transformation des apprentis en CDI. Tant qu’il est bon le système fonctionne ! » CQFD.
- Une conférence pour « faire exister tout un pan de l’enseignement supérieur. Avec la création de la Conférence des établissements d’enseignement supérieur à vocation professionnelle et de l’alternance (Ceespa) Philippe Grassaud entend « faire exister tout un pan de l’enseignement supérieur qui n’était pas considéré et qui souhaite aujourd’hui montrer patte blanche pour intégrer le « club » qu’est l’enseignement supérieur ». Un Philippe Grassaud qui analyse ainsi les mois de concertation qui viennent de s’achever entre les différents acteurs comme de nouveaux « états généraux » : « Le MESR a considéré que tout n’allait pas si bien et a réuni les grands acteurs, la noblesse, le clergé – je vous laisse définir de qui il s’agit – et le tiers état. Mais que sera notre 4 août ? » Rappelons que, dans la nuit du 4 août 1789, les députés de l’Assemblée nationale constituante proclament l’abolition des droits féodaux et de divers privilèges… La création de cette nouvelle conférence doit en tout cas permettre de placer les 250 000 étudiants de ces école au « cœur du dispositif avec l’objectif de renforcer la qualité des formations professionnalisantes et d’augmenter les garanties apportées aux étudiants sur la qualité et la validité de leur parcours et de leur diplomation ». Il s’agit également de démontrer la faisabilité d’une démarche de régulation de qualité des établissements d’enseignement supérieur, et non des formations, pour « encourager l’adoption de cette méthode dans les discussions en cours autour du label » et de « positionner durablement le secteur de l’enseignement supérieur professionnalisant comme un acteur majeur et responsable de l’enseignement supérieur dans son ensemble ». La conférence proposera une adhésion à tous les établissements respectant un référentiel qualité et une charte de déontologie, cela au-delà de l’association 3E qui continuera son activité. Le référentiel qualité, aujourd’hui en cours d’élaboration, s’appuiera sur les normes en vigueur telles que Qualiopi, le projet de label du MESR et le Hcéres « mettant en avant l’organisation, l’encadrement et le caractère professionnalisant des formations ».