L’association Ingénieurs et scientifiques de France (IESF) fédère 180 associations d’ingénieurs et de diplômés scientifiques et regroupe près d’un million d’ingénieurs. A quelques mois de la Présidentielle, elle propose notamment de « restaurer une filière scientifique au lycée » dans son livre blanc Relever les défis d’une économie prospère et responsable. Son président, François Lureau, explique pourquoi.
Olivier Rollot : Vous proposez de « restaurer une filière scientifique au lycée ». Que reprochez-vous au bac S ?
François Lureau : La filière scientifique au lycée n’existe plus. Le bac S sélectionne seulement les meilleurs lycéens mais en proportion seulement 25% font des sciences ensuite (si on exclut les études médecine et vétérinaires). La filière S n’est pas vraiment conçue pour les scientifiques or ce qui nous préoccupe c’est que le niveau scientifique s’affaiblit aujourd’hui en France. IESF demande donc qu’on crée une filière scientifique au lycée apte à assurer notre compétitivité et la maîtrise des technologies récentes par le plus grand nombre de garçons et de filles. Il faudrait par exemple créer des options scientifiques signifiantes pour ceux qui se destinent aux sciences. Si 30% des bacheliers S {ils étaient un peu plus de 180 000 à se présenter au bac en 2015} la choisissaient cela ferait 60 000 futurs scientifiques.
O. R : Des études récentes ont démontré que le niveau en maths et physique des bacheliers S s’est dégradé. C’est aussi votre sentiment ?
F. L : L’épreuve de physique du bac S cette année j’aurais pu la faire en une demi-heure. J’ai beau être un scientifique ce n’est pas rassurant vu le temps depuis lequel je suis sorti de mes études. Aujourd’hui il faut vraiment pouvoir permettre à ceux qui veulent faire des sciences de le faire vraiment dès le lycée.
O. R : Plus largement IESF est engagé dans la promotion des métiers scientifiques. Comment faites-vous pour les présenter aux jeunes ?
F. L : La première chose à montrer c’est que les métiers scientifiques ne s’exercent pas dans des lieux sales et bruyants mais au contraire dans des entreprises modernes et technologiques. Avec nos 24 associations régionales nous avons créé un programme de « Promotion des métiers ingénieurs et scientifiques » qui touche 35 000 à 40 000 élèves chaque année. Un chiffre que nous voulons maintenant multiplier par deux.
Il y a aujourd’hui 44 programmes de « diffusion de la culture scientifique » en France et il faudrait que les efforts soient concentrés sur quelques-uns et testés dans les régions. Ensuite on pourrait vraiment estimer s’ils permettent ou pas s’augmenter le nombre de lycéens qui se destinent aux carrières scientifiques.
O. R : Dans votre livre blanc vous préconisez également le recours à des pédagogies différenciées selon les jeunes.
F. L : Les jeunes ne sont pas formatés comme leurs anciens. Aujourd’hui il faut privilégier l’innovation à tous stades. Dès le primaire il faut insuffler cet état d’esprit et le cultiver à tous les stades de l’éducation. Différentes techniques permettent de s’adresser à des couches plus larges de la population et de raccrocher des jeunes qui étaient perdus pour les sciences, voire pour l’éducation en général.
Pour promouvoir ces dispositifs pédagogiques innovants, il faut éviter le piège d’une étape nationale et laisser une place pour l’expérimentation avec des régions qui ont aujourd’hui de larges responsabilités en matière de formation.
O. R : Forme-t-on aujourd’hui assez d’ingénieurs en France ? On entend souvent dire qu’il en faudrait 10 000 de plus par an.
F. L : Nous pensons qu’on en forme suffisamment et que quand on parle de pénurie on mélange l’ingénieur tel qu’il est formé en France (à bac+5) et des ingénieurs à bac+3 comme on peut en trouver dans les pays anglo-saxons. Nous pensons d’une façon générale qu’il faut aller sur les standards internationaux et que développement des formations à bac+3 est tout à fait souhaitable si elles sont professionnalisantes. Le problème majeur des écoles d’ingénieurs aujourd’hui c’est leur faible proportion de filles – aux alentours de 27% sauf en chimie où elles sont très nombreuses -, il faut réaliser un travail de fond au collège-lycée pour les informer intelligemment des métiers d’ingénieur et toucher les parents.
O. R : Vous préconisez également d’attirer plus de docteurs dans les entreprises. Comment faut-il procéder sachant qu’en France le titre de docteur reste mal valorisé ?
F. L : Il faudrait d’abord multiplier par deux le nombre de thèses Cifre. Même les PME ont besoin de docteurs. Mais le problème c’est qu’ensuite les entreprises ne savent pas garder leurs docteurs. Les directions des ressources humaines n’ont pas assez réfléchi à comment garder ces profils en tant qu’experts dans l’entreprise. A comment valoriser la recherche.
Il y a aussi un effort à faire du côté des docteurs pour aller au-delà de leur spécialité. Il ne faut pas qu’ils soient perdus dans l’entreprise. Il faut pouvoir les évaluer sur des trajectoires qui vont de la recherche – où on excelle surtout quand on est jeune – à l’encadrement de la recherche et à l’expertise.
O. R : La formation des ingénieurs français vous paraît optimale aujourd’hui ?
F. L : L’ingénieur français est d’abord pluridisciplinaire avec un socle scientifique de haut niveau complété par des sciences humaines et sociales. Il faudrait approfondir ce socle par une approche méthodologique qui permettrait de développer la théorie en prenant en compte l’évolution de l’environnement, du développement durable, de l’éthique, etc.
Il ne leur manque en fait qu’un travail plus approfondi sur le comportement, les soft skills, pour se confronter par exemple à des conduites d’équipe qui sont totalement différentes aujourd’hui où l’information est partagée et la décision collective si on veut l’adhésion de tous. Nous insistons beaucoup sur le développement de la formation tout au long de la vie (FTLV) pour développer ces caractéristiques chez les ingénieurs.
O. R : Vous pensez convaincre les candidats à la Présidentielle de s’intéresser à toutes ces questions ?
F. L : Notre document a pour objectif d’inculquer quelques bonnes idées aux candidats alors que très peu de choses ont encore été dites sur les sciences et l’industrie dans la campagne. Quand on affirme vouloir réaffirmer la France dans le monde cela passe forcément par le développement de son industrie.