C’est en 2010, dans le cadre de ce qu’on a appelé le « Grand emprunt » puis les Investissements d’avenir (PIA) qu’ont été lancées les initiatives d’excellence (Idex). En 2012, huit projets ont été couronnés. En 2015 de nouveaux projets concourent pour recevoir des dotations. Président de l’université de Nantes, Olivier Laboux nous présente celui auquel il participe, La transdisciplinarité au service de la société, qui sera examiné le 20 avril par un jury international, mais évoque aussi son université et la Comue (communauté d’universités et d’établissements) Université Bretagne Loire (UBL).
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Dans quel but ont été lancées les initiatives d’excellence ?
Olivier Laboux : L’idée des Investissements d’Avenir est de concentrer les moyens là où il y a le plus d’ambition. C’est ainsi que les initiatives d’excellence ont donc été lancées pour faire naître des universités de rang mondial à certains endroits. Lors de la « première vague » du PIA1 notre région s’est vue attribuer notamment un institut de recherche technologique (IRT) et plusieurs laboratoires d’excellence (Labex). Nous revenons aujourd’hui avec un dossier Idex tout à fait différent de celui qui n’avait pas été retenu à la première vague..
O. R : Comment analysez-vous ce premier échec ?
O. L: Nous avions sans doute trop fait un simple état des lieux de l’existant sans nous projeter à dix ans. De plus la gouvernance de l’Idex n’était pas assez bien bien définie.
O. R : Tout a changé aujourd’hui ?
O. L: Le paysage de l’Enseignement supérieur et de la recherche a beaucoup évolué depuis et nous sommes aujourd’hui une Comue de plus grande taille (sept universités, 15 grandes écoles et cinq organismes de recherche) avec un projet commun qui ne se limite pas à ces établissements mais doit développer tout notre territoire. Avec notre projet d’Idex, nous voulons par exemple transférer davantage la recherche vers les entreprises. Elles ne s’y sont pas trompées et beaucoup d’entreprises, des pôles de compétitivité et des chambres de commerce et d’industrie, les collectivités territoriales, nous soutiennent. La mobilisation autour du projet est très forte dans tout l’Ouest de la France.
O. R : Mais pourquoi une telle volonté de réussir ? Après tout les financements restent relativement modestes : de l’ordre de 17 millions par an.
O. L: La dotation que nous demandons est de 700 millions d’euros mais ce sont les intérêts qui sont octroyés, c’est-à-dire ici 17,5 millions d’euros par an. Il est important d’obtenir ce label lisible en France et à l’international, qui attire sur notre territoire les enseignant-chercheurs comme les entreprises. Obtenir une Idex c’est créer une vrai dynamique et c’est pour cela que nous présentons un projet lisible et très original.
O. R : Justement, parlez-nous en plus en détail. La transdisciplinarité au service de la société qu’est-ce que cela signifie ?
O. L: Les grandes questions que se pose aujourd’hui l’humanité sont très complexes et ne peuvent être correctement traitées qui si on mêle les disciplines et les compétences. L’excellence, c’est connaître les limites de sa discipline. On demande donc à des chercheurs excellents de passer les frontières de leur discipline, et de travailler sur un enjeu sociétal majeur : c’est cela la transdisciplinarité. Prenons l’exemple de la transition numérique qui n’est pas que technologique et qui impacte les usages, les comportements, l’industrie…
Dans notre projet nous avons décidé de nous concentrer sur cinq grandes thématiques en rapport avec nos forces scientifiques et notre territoire (Océans, interface terre-mer et sociétés en transition, L’homme au cœur de la société numérique, Thérapies de demain et qualité de vie, Construction durable des aliments de demain et enfin Naissance et vie des matériaux et des structures) qui ont toutes des dimensions en sciences humaines et sociales. Ensemble, universités, grandes écoles, organismes de recherche peuvent répondre en allant au-delà de leurs cloisonnements traditionnels. L’Université du XXIème siècle, est globale, elle décloisonne, elle est systématiquement internationale, la recherche et la formation questionnent les grands enjeux sociétaux, et l’ancrage avec le territoire est déterminant.
O. R : Comment s’organise-t-on pour créer un projet d’Idex ?
O. L: C’est un travail énorme mais passionnant dans lequel tous les établissements se sont investis autour d’une petite « équipe de combat » d’une dizaine de personnes.
O. R : Le type de nouvelle université que vous évoquez existe déjà ailleurs dans le monde et vous avez même conclu des accords avec des partenaires silimaires.
O. L: Nous avons le soutien de UC (University of California), de l’Arizona State University et de l’université de Laval à Québec, trois universités qui sont déjà bâties sur ce modèle transdisciplinaire et qui s’engagent avec nous sur tout un chapelet d’actions. Nous pensons que pour répondre aux grands enjeux de la planète, il faut travailler en réseau avec plusieurs universités à travers le monde qui ont cette même vision. Par exemple nous montons un centre sur la soutenabilité avec l’Université d’Etat d’Arizona (ASU).
O. R : La transdisciplinarité ça a toujours été le modèle de l’Université de Nantes, la seule dans toutes les grandes villes françaises à n’avoir pas été divisée en entités disciplinaires distinctes.
O. L: La renaissance de l’Université de Nantes a aujourd’hui 53 ans ; elle est unie, pluridisciplinaire et nous voulons aujourd’hui aller au-delà. L’idée de l’Idex est d’être un démonstrateur de ce qu’on pourra faire dans quinze ans sur le site UBL pour lui donner à la fois un lien beaucoup plus fort avec la société et une grande ouverture internationale.
O. R : Qu’est-ce que cela pourrait apporter à vos étudiants ?
O. L: Nous anticipons les métiers de demain : le travail se fait de plus en plus en réseau, en croisement de compétences. Dans notre projet nous souhaitons que les étudiants de la Comue soient des futurs citoyens en capacité de s’ouvrir à l’autre : il faudrait que chaque étudiant puisse, dans son cursus, se confronter à d’autres disciplines : un sociologue doit par exemple pouvoir travailler avec un mathématicien pour élaborer des modèles complexes. Dans quinze ans ce type de collaboration sera une évidence. Aujourd’hui déjà peut-on imaginer former un ingénieur qui n’ait aucune compétence en management ? Cette interdisciplinarité c’est aujourd’hui ce que nous demandent les entreprises.
O. R : Votre Comue est la plus importante de France avec près de 160 000 étudiants. Vous n’avez pas peur qu’elle soit difficile à gérer, notamment pour des questions d’éloignement des sites ?
O. L: Elle est très large mais s’inspire de modèles fédéraux qui fonctionne très bien (en Californie par exemple). Nous mettons en commun des forces que nous pouvons mieux développer ensemble tout en laissant leur autonomie à chaque établissement. Les doctorats seront ainsi co-accrédités par les établissements et la Comue, avec des écoles doctorales communes par exemple.
L’éloignement n’est pas si important ; notre territoire est connecté :dans notre projet il y a en outre l’extension du campus numérique UEB-C@mpus aux Pays de la Loire. Enfin notre gouvernance est resserrée avec seulement 48 membres dans le conseil d’administration, autant élus que nommés, alors qu’avec 27 établissements on aurait pu s’attendre à bien plus. Pour parvenir à cet équilibre, les établissements de plus grande taille ont accepté d’avoir un peu moins de représentants, le jeu de représentativité s’appuie sur la confiance. En janvier 2016, quand démarrera la Comue, elle sera maniable !
O. R : Qu’est-ce qui va changer avec la Comue pour les étudiants ?
O. L: Je défends toujours l’idée de proximité pour les Licences. Au niveau Master, la mobilité est plus importante et nos projets visent à aider les étudiants en cela, avec les collectivités, les CROUS. En clair, développer l’intelligence collective au profit des étudiants, pour faciliter leur cursus (passerelles, double-diplômes…) et la réussite.
O. R : Parlons un peu de l’université de Nantes que vous dirigez. L’ensemble des universités françaises vient de dépasser les 1,5 millions d’étudiants pour la première fois. L’université de Nantes suit-elle le mouvement ?
O. L: Elle progresse même plus puisque nous dépassons aujourd’hui les 36 500 étudiants et que nous en avons reçu 2000 de plus en 2014. Cela tient à l’énergie propre à la ville et à une dynamique qui nous a permis, par ailleurs d’augmenter de près de 40% nos surfaces de recherche ces cinq dernières années. Ne serait-ce que ces deux indices démontrent le dynamisme et l’attractivité de l’Université de Nantes. Cela devrait être reconnu par des dotations supplémentaires de l’État qui sont aujourd’hui basses, aussi pour des raisons historiques.
O. R : Vous n’avez pas aujourd’hui les moyens de votre réussite ?
O. L: Nous sommes au bout d’un modèle pour des raisons de modèle économique mais aussi de valeur : l’ascenseur social ne fonctionne pas assez et nous ne parviendrons pas à gérer la pression démographique à ce rythme.
O. R : Le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche vous incite notamment à développer la formation continue. Est-ce une piste vraiment envisageable pour trouver de nouvelles ressources ?
O. L: C’est d’abord une valeur : le rebond au cours de sa vie professionnelle n’est pas assez développé, car tout n’est pas joué à l’aune de ses 20 ans. C’est aussi pour cela qu’il faut développer la formation continue. Nous développons la Formation tout au long de la vie et cette ci est en hausse significative. Là encore le modèle de l’Université doit être interrogé pour avoir les moyens de développer cette offre de formation, en équilibre avec la formation initiale. Encore une fois si on veut que l’université se développe il faut y investir dans l’enseignement supérieur. C’est ainsi que nous pourrons collectivement nous en sortir.