Directeur de la recherche de l’EMLYON, Philippe Monin a la délicate mission de piloter une équipe de 110 professeurs, dont on attend à la fois qu’ils publient dans les grandes revues internationales – indispensable pour obtenir les accréditations et progresser dans les classements – et qu’ils enseignent, sur un marché du recrutement des professeurs de sciences de gestion toujours tendu. Rencontre avec un homme dont la tâche est plus que jamais stratégique.
Olivier Rollot : Qu’est-ce que représente la recherche pour l’EMLYON ?
Philippe Monin : Dans une école que nous voulons « knowledge intensive », capable de développer des contenus innovant, la recherche représente 18% du budget. C’est beaucoup, mais bien moins qu’HEC, et nous avons à faire aussi un effort pour avoir plus d’impact en travaillent encore mieux sur la vulgarisation de notre recherche et la simplification de nos messages. Il en va de la survie de notre industrie. Il nous a fallu du temps pour nous mettre au niveau mondial et maintenant que nous sommes au-dessus de ce niveau il faut penser à l’impact au sens large.
O.R : La recherche peut-elle aussi contribuer au développement de la formation continue ?
P. M: La formation continue constitue aujourd’hui un marché à maturité où seules quelques grandes marques peuvent s’imposer. Elle ne peut plus être un relais de croissance et ce qui va évoluer c’est la nature de nos relations avec les entreprises. Celles-ci vont nous demander de plus en plus de recherches/interactions et action et d’études commissionnées. En résumé plus de conseil avec des professeurs capables d’avoir un effet de levier très fort en mettant en place des dispositifs de collectes de données. J’ai pour ma part travaillé pendant dix ans sur le rapprochement entre Air France et KLM et les publications que nous avons faites sur le sujet ont eu un véritable impact pour ces entreprises. Cela ne fait pas pour autant de nous des concurrents des cabinets de conseil. Nous sommes complémentaires.
O.R : Combien faut-il de professeurs pour atteindre le niveau mondial que vous évoquez ?
P. M: Si on ne veut pas laisser de trous dans la raquette des compétences, il faut environ 110/120 profs en sciences de gestion au sens large à maitriser et enseigner auprès des étudiants auxquels ont fait la promesse d’une école généraliste en Sciences de gestion. Nous avons donc atteint la taille critique qui nous permet de construire des carrières dans toutes les disciplines avec des professeurs de haut niveau. Aujourd’hui 100 de nos 110 professeurs sont des docteurs alors qu’ils n’étaient que 22 sur 71 en 1998.
O.R : Quelle est aujourd’hui la mission d’un professeur de l’EMLYON ?
P. M: On ne peut plus parler de mission de l’enseignant-chercheur au sens générique. Il y a quinze ans, le chercheur en sciences de gestion était un artisan qui travaillait seul et produisait sa recherche de A à Z. Aujourd’hui, sous l’influence de la concurrence, le niveau moyen des recherches a explosé et le chercheur est devenu un intégrateur qui construit le projet de recherche avec un réseau qui comprend aussi bien des économètres spécialistes des modèles statistiques qu’un « copy editor » pour l’aider à rédiger et des assistants de recherche pour collecter des données. Le métier s’est professionnalisé et fragmenté avec des recherches qui intègrent en moyenne quatre auteurs et des revues scientifiques de haut niveau qui demandent de manière croissante des données de panels.
Le professeur décathlonien qui savait tout faire est mort ! On ne peut plus tout faire et on avance vers la constitution de plusieurs populations de professeurs ayant des missions différentes. Avant on gérait le passage d’une spécialisation (recherche, executive education, etc.) au cours d’une carrière, aujourd’hui c’est devenu très difficile tant les niveaux de compétence attendus dans chaque métier sont devenus élevés.
O.R : On est dans l’ère du professeur « star » ?
P. M: Je ne pense pas que nous soyons dans une industrie de « stars » comme par exemple la gastronomie. Si on excepte HEC – et encore faudrait-il le vérifier très précisément- les équipes des écoles de management sont finalement assez stables. Ce qui compte c’est d’abord la marque !
O.R : Donc ce n’est pas si difficile qu’on le dit de recruter des professeurs en sciences de gestion?
P. M: Ce n’est pas si facile car, plus on cherche des profils pointus, plus on est en concurrence au niveau mondial. Pour l’EMLYON cela veut particulièrement dire recruter des profils de très haut niveau dans nos spécialités que sont l’entrepreneuriat, le « family business », le « private equity », les nouveaux business models de l’innovation, etc. Là nos concurrents européens s’appellent l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), l’Imperial College de Londres ou encore la Vlerick business school (en Belgique).
O.R : Combien en recrutez-vous chaque année ? Avec quels profils ?
P. M: Nous recrutons de l’ordre de dix professeurs par an et cela va être encore plus dans les années à venir avec une faculté qui va passer à 130 professeurs. Mais la grande différence va être la globalisation de notre recrutement de façon à suivre la globalisation de l’école. Dans une économie globalisée il va nous falloir recruter des professeurs qui ont étudié les dispositifs de création d’entreprise en Afrique, les fonds souverains au Moyen-Orient, les bourses en Afrique du Sud, etc. Un vrai travail de transformation de la faculté qui va devoir davantage ressembler à ses étudiants.
O.R : Comment faites-vous pour recruter vos professeurs ?
P. M: Il y a deux méthodes : le « filet » et la « pêche au gros ». La « pêche au filet » c’est aller aux États-Unis sur les « jobs markets », la « pêche au gros » c’est l’approche directe sur un marché qui est finalement très fluide et transparent. Les chercheurs travaillent en majorité avec des chercheurs d’autres institutions et se parlent beaucoup.
O.R : Et les jeunes docteurs, comment les approchez-vous ?
P. M: Tout le monde connait les jeunes docteurs, qui se sont d’ailleurs récemment organisés au sein d’une association européenne des PhD students. Nous avons une politique de recrutement dite « non inbreeding » (non endogène) ce qui signifie que nous ne recrutons jamais nos propres doctorants. A l’EMLYON, nous produisons ainsi chaque année 30 docteurs pour notre écosystème.
Ensuite il existe un marché des jeunes docteurs qui n’ont pas été titularisés dans leur business school après leurs cinq premières années et que nous pouvons approcher en deux vagues successives venus des États-Unis puis d’Europe.
O.R : On parle toujours de rivalité entre les économistes et les professeurs de sciences de gestion. C’est toujours le cas ?
P. M: Les marchés sont différents car les sciences de gestion sont en croissance quand l’économie est moins porteuse. Pour trouver des débouchés, les économistes ont donc annexé la finance en profitant du moindre intérêt que portaient les business schools pour les mathématiques dans leur cursus. Avec le développement des Big Data, qui demandent de sérieuses capacités algorithmiques, il est devenu indispensable de renforcer le niveau en maths de nos étudiants si nous ne voulons pas voir demain le marketing leur échapper à son tour. Il va falloir que nous réfléchissions à recruter des élèves issus de maths spé comme nous le faisons en khâgne.
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