« Je compte sur vos écoles pour jouer un rôle important dans la réforme de l’accès à l’enseignement supérieur. Le travail accompli par les EESPIG est bien éloigné de la caricature dans laquelle on met parfois le travail de l’enseignement supérieur privé », assurait la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, lors du premier colloque de l’Ugei (Union des grandes écoles indépendantes) qui se tenait le 30 novembre dernier.
Et il est vrai que l’augmentation des effectifs dans l’enseignement supérieur privé est spectaculaire ces dernières années au point que le pourcentage de bacheliers généraux s’inscrivant à l’université est même en recul cette année. A court terme une vraie planche de salut pour un enseignement supérieur public au bord de l’asphyxie. Mais aussi un crève-cœur pour des universités qui voient s’éloigner d’elles de bons étudiants sans doute échaudés par la perspective d’un tirage au sort. Le nouveau Parcoursup permettra-t-il de les rassurer ?
Les bacheliers se sont moins inscrits à l’université en 2017
Selon les données provisoires établies au 20 octobre 2017 et collationnées dans la note flash du MESRI Inscription des nouveaux bacheliers entrant en première année à l’université en 2017-2018, le nombre d’inscriptions de nouveaux bacheliers en licence à la rentrée 2017 est de 268 400, soit une progression de seulement 0,7% (hors doubles inscriptions des étudiants en CPGE) avec 1700 étudiants supplémentaires. Bien loin des 30 000 étudiants supplémentaires annoncés.
La forte hausse du nombre de lauréats au bac général en 2017 (+3,2 %) ne trouve en particulier pas une traduction équivalente dans le nombre d’inscrits à l’université qui ne progresse que de 2,5%. Cette propension moindre à s’inscrire en première année universitaire hors IUT s’observe pour toutes les séries du bac général : les bacheliers ES (+4,5% d’inscrits pour un nombre de lauréats en hausse de 5,1 % à la session 2017), les L (+2,3% à l’université ; +3,1% à la session 2017) et les S (+1,1% ; +2,1% à la session 2017).
Le décalage entre évolution du nombre de bacheliers et évolution de leurs inscriptions à l’université est plus fort encore pour les bacheliers professionnels. Hors IUT il diminue de pas moins de 14,8 % cette année quand le nombre de lauréats recule de seulement 1,7 %. Enfin l’effectif des nouveaux bacheliers technologiques à l’université, toujours hors IUT, décroît de 4,4% alors que le nombre de lauréats progresse de 1,3%.
L’enseignement privé en forte hausse
C’est l’un des chiffres clés de la nouvelle édition des Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche de la DEPP. Alors qu’à la rentrée 2016, on recensait en tout 2,6 millions d’étudiants ils étaient 474 000 dans l’enseignement privé (18,2% des effectifs), soit une hausse de 5,3%, nettement supérieure à celle des inscriptions dans l’enseignement public (1,7%).
Comme le soulignent les experts de la DEPP : « En dehors des trois années 2013, 2014 et 2015, le rythme de croissance des inscriptions dans l’enseignement public a toujours été depuis 1998 inférieur à celui observé dans l’enseignement privé ». Entre 1998 et 2016, les inscriptions dans l’enseignement privé ont ainsi augmenté de 87,9%, soit 222 000 étudiants supplémentaires, tandis qu’elles n’ont augmenté que de 13,9% dans l’enseignement public, avec 261 000 étudiants de plus.
L’enseignement privé réduit aux EESPIG ?
Dans son allocution devant les adhérents de l’UGEI Frédérique Vidal faisait bien la différence entre écoles privées sous statut d’EESPIG et les autres. Une distinction qu’on revendique à l’autre organisme qu’est la Fesic (jusqu’à son compte Twitter intitulé @FESIC_EESPIG) mais qui en fait bondir plus d’uns à l’UGEI. « Nous ne devons pas recréer une division entre les établissements EESPIG ou pas comme nous regrettions hier la division entre public et privé », assure le président de l’UGEI et directeur général de l’EPF, Jean-Michel Nicolle quand son prédécesseur à la présidence et actuel directeur de l’Eisti, Nesim Fintz, explique que « ce n’est pas parce qu’une école n’est pas labellisée EESPIG qu’elle ne délivre pas un enseignement de qualité ».
Tous les deux revendiquent pour leurs établissements le droit pour les établissements privés de délivrer le diplôme de master et le grade licence, voire des doctorats, et surtout « l’équité » avec l’enseignement supérieur public : « Quand le budget de l’enseignement supérieur public augmente de 2% est-il logique que le nôtre baisse de 1% ? », demande encore Nesim Fintz.
Un bon investissement pour l’Etat
« La contribution de l’Etat au soutien de l’enseignement supérieur privé ne doit pas être considérée comme un coût mais comme une opportunité dans un contexte budgétaire national fortement contraint : le financement public d’un étudiant dans une école d’ingénieur ou de management privée contractualisée est aujourd’hui 10 fois plus faible que dans une école publique », estime Jean-Michel Nicolle (relire son entretien complet). C’est mathématique, à raison d’un coût de 10 000 € par étudiant et par an en moyenne, l’enseignement supérieur privé ferait aujourd’hui économiser à l’Etat plus de 4,7 milliards d’euros chaque année (moins si on compte les bourses et les aides). « Nous coûtons moins cher par étudiant que l’enseignement public. C’est donc un bon investissement pour l’Etat de nous faire confiance et cela résout partiellement ses problèmes de moyens nécessaires au développement de l’enseignement supérieur », établit la directrice de l’ESTP et vice-présidente de l’UFEI, Florence Darmon.
Reste à leur en donner les moyens alors que la subvention versée par l’Etat pour chaque étudiant des écoles ayant signé, à partir de 2010, des conventions de contractualisation est passée de 1280€ à 780€ en cinq ans. Un décrochage qui risque de devenir de plus en plus important : si cinq établissements vont sortir du financement en n’étant pas labellisés EESPIG huit le deviennent EESPIG sans qu’il n’y ait les moyens afférents dans le budget de l’Etat. Le sénateur de l’Aube et rapporteur du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche au Sénat, Philippe Adnot, veut donc faire voter un amendement prévoyant 6 M€ supplémentaires.
Des règles à géométrie variable
D’un côté l’enseignement privé reçoit les encouragements de sa ministre, de l’autre des « coups de bâton » de Bercy estiment beaucoup de directeurs. La partie de la taxe d’apprentissage que touchent encore les écoles au travers de ce qu’on appelle le « barème » (partie de la taxe d’apprentissage que les entreprises affectent librement aux établissements de leur choix) pourrait ainsi être supprimée en 2018 pour être redirigée vers les apprentis du secondaire. « Beaucoup d’écoles connaîtront de sérieuses difficultés et certaines risquent même de disparaître. Nous avons le sentiment que les effets sur les business schools de ce genre de décisions n’est pas un sujet de préoccupation pour un gouvernement qui estime qu’il faut d’abord s’occuper des bacheliers professionnels », regrette le directeur général de Grenoble EM, vice-président de la président Conférence des Grandes écoles (CGE) au sein de laquelle il préside le Chapitre des écoles de management, Loïck Roche. Moins impliquée par la disparition du barème que les écoles consulaires, la directrice générale du groupe Inseec, Catherine Lespine, n’en considère pas moins que « toucher à la part qui revient aux apprentis serait éminemment dommageable pour l’enseignement supérieur ».
« Ce dont nous avons besoin c’est d’un cadre clair et fixe qui dure au moins dix ans. D’un partenariat gagnant / gagnant avec l’université. Mais on ne peut pas nous demander juste de nous taire quand nous faisons face à une concurrence internationale de plus en plus féroce ! », demande la directrice générale de SKEMA, Alice Guilhon, qui prévient : « SKEMA est flexible et peut décider demain de construire sa croissance en dehors de la France et d’installer son siège à Singapour ou aux Etats-Unis ».
Qui doit payer ?
La question revient souvent dans les propos des responsables de ces écoles : qui doit assumer le financement de nos formations ? « Je trouve anormal que les familles doivent payer aussi cher quand les impôts sont aussi lourds. En quelque sorte, elles contribuent deux fois. L’Etat apporte un soutien financier inférieur à 10% du coût de nos formations qui est lui-même inférieurs à ceux d’un BTS ou d’un IUT », s’interroge Jean-Philippe Ammeux, directeur de l’Iéseg et ancien président de la Fesic, chargé aujourd’hui d’une étude sur le prêt à « remboursement contingent » pour les étudiants. « Le gouvernement pourrait nous aider en défiscalisant les frais de scolarité. Cela ne coûterait pas cher », suggère de son côté Alice Guilhon.
Et Florence Darmon de résumer : « Les grandes écoles associatives sont particulièrement efficaces sur le plan économique. L’appui de l’Etat est très faible, donc les familles paient des frais de scolarité élevés, c’est malheureusement le résultat d’une équation qui nous est imposée. Nous coûtons moins cher, nous plaçons très bien nos étudiants, nous sommes très bien placés dans les classements internationaux, que demander de plus ? »
- 10 fois plus d’étudiants dans l’enseignement supérieur privé en Allemagne en 20 ans. En Allemagne l’essor des établissements d’enseignement supérieur privés a été particulièrement rapide ces dernières années : ils reçoivent aujourd’hui 224 000 étudiants contre seulement 24 000 en l’an 2000. Présents dans les 27 régions, ils sont au nombre de 121 soit un tiers du nombre total d’établissements d’enseignement supérieur allemand. Sans surprise 60% des cursus sont dispensés en droit et économie. Contrôlés par trois organismes différents ils ne sont financés qu’à hauteur de 7% par l’Etat. Les frais de scolarité représentent 68% de leurs revenus avec en moyenne 6000€ par an à débourser pour un master et 8000€ pour un master. Ils emploient quelques 8000 salariés pour un chiffre d’affaire total de 1,8 milliard d’euros.