Elle pourrait bientôt être présente dans neuf campus dans le monde entier. L’Icam est bien la plus internationale des écoles d’ingénieurs françaises. Après la présentation de son nouveau plan stratégique, son directeur général délégué, Alexandre Dufer, revient avec nous sur un modèle singulier.
Olivier Rollot : On espère que les campus vont pouvoir rester ouverts alors que la cinquième vague du Covid-19 déferle sur l’Europe. Comment l’Icam gère-t-elle la situation ?
Alexandre Dufer : Dès le premier confinement nous avons pu bénéficier pleinement des capacités de notre campus numérique. Tous nos apprenants pouvaient accéder à la puissance de calcul déportée des serveurs de nos campus et continuer d’utiliser l’ensemble des applications nécessaires à nos cursus pédagogiques. Cela n’en en pas moins été une période humainement difficile même si nous avons su conserver les liens avec nos étudiants. En 2020 nous avons par exemple été l’une des seules écoles à maintenir ses oraux : 4 500 entretiens en deux semaines. Même en visio-conférence les candidats étaient heureux de pouvoir échanger avec nous. Cette année nous sommes heureux de pouvoir à nouveau organiser des journées portes ouvertes sur nos campus.
O. R : L’actualité de l’Icam c’est la présentation d’un nouveau plan stratégique à l’horizon 2025. Pouvez-vous nous en dessiner les grandes lignes ?
A. D : A l’issue d’un processus collectif mené avec tout l’écosystème de l’école – étudiants, professeurs, alumni, entreprises, etc. – nous avons défini trois grands axes
Avec, pour toile de fond, « l’écologie intégrale ». Le premier axe est de poursuivre notre développement. Ce que nous appelons le « parcours ouvert » porte une grande partie de notre développement en France où nous envisageons une progression de nos effectifs de 30% entre 2021 et 2025 pour passer de 4 100 à 5 400 étudiants.
Notre développement va également passer par la création de nouveaux campus internationaux. Nous procédons aujourd’hui à des études de faisabilité pour des installations à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et Nairobi au Kenya. Ce serait ainsi notre premier pas en Afrique anglophone après Pointe-Noire au Congo, Douala au Cameroun et Kinshasa en RDC. Nous avons également des projets à Manille, aux Philippines. Si on y ajoute nos campus de Recife au Brésil, de Chennai en Inde, et de Quito en Equateur, nous pourrions ainsi viser neuf campus internationaux avec une ambition à terme de plus de 5 000 étudiants à l’international.
O. R : Mais comment faites-vous pour développer tous ces campus internationaux ?
A. D : Nous avons une proximité historique forte avec des universités jésuites qui font appel à nous pour développer des formations d’ingénieur locales. Nous regardons ensuite ensemble si nous avons la même vision et la capacité à intégrer des formations qui s’intègrent dans le modèle économique local. Ensuite pour sceller ces partenariats dans la durée, nous avons fait le choix délibéré d’accueillir tous nos partenaires au sein du conseil d’administration de l’Icam. Aujourd’hui aussi bien le recteur de l’université de Recife que celui du Congo en font partie. Seule l’Inde avec le Loyola College n’en fait pas partie à ce stade car la gouvernance en est différente.
Tous ces accords accompagnent l’interculturalité de notre « parcours ouvert » en mêlant des étudiants d’horizons très différents. Mais tous ont vocation à progresser dans ce cursus de manière homogène. Ainsi chaque semaine des travaux en projets sont menés de manière synchrone sur tous les campus avec une mise en commun hebdomadaire.
O. R : Votre « parcours ouvert » est au cœur de ces développements internationaux ?
A. D : Notre « parcours ouvert » connait effectivement un succès important en France comme à l’international car il correspond avec pertinence à ce que va être une carrière d’ingénieur avec à la fois beaucoup de mises en situation autour de problématiques industrielles, un projet multiculturel, un passage international et des cours en anglais. Nous offrons au travers de nos cursus une réponse pertinente à la fuite des cerveaux qu’on observe dans de nombreux pays émergents: Ainsi au Cameroun et au Congo après leur diplôme près de 85% de nos diplômés restent travailler pour l’économie locale.
O. R : Combien de temps faut-il pour rendre ces campus indépendants financièrement ?
A. D : Nous nous projetons généralement à cinq ans : d’abord un investissement à parité des deux parties puis l’autonomie. Nous sommes également accompagnés pour cela par des partenaires publics (Agence Française du Développement) ou privés avec par exemple la fondation Porticus qui nous soutient dans nos développements en Afrique..
O. R : On a beaucoup parlé de votre expansion internationale. Quel est le deuxième axe de votre plan de développement ?
A. D : Nous abordons une phase de mutation dont le fil conducteur sera « l’écologie intégrale ». Nous voulons par exemple établir un bilan carbone de chacun de nos campus de manière exhaustive. C’est-à-dire notamment en visualisant le parcours de chacun de nos collaborateurs. Nous allons également optimiser le brassage de nos étudiants internationaux sans obérer notre développement international. Nous allons développer nos expertises en la matière pour obtenir des labels, voire en développer avec nos propres méthodes pour pouvoir les partager avec nos partenaires qui veulent établir des bilans carbones.
Et là rien n’est simple. Prenons l’exemple de notre campus de Lille. Faut-il mieux le rénover ou le reconstruire. Nous avons passé un appel d’offres pour savoir s’il fallait mieux tout casser et reconstruire ou rénover le bâtiment existant. Sur 30 à 40 ans, le coût carbone du béton dans le cadre d’une reconstruction se révèle 30 à 40% plus élevé que celui d’une rénovation. Mais c’est une moyenne car les bilans que nous avons reçus donnent des chiffres relativement différents. C’est dire s’il manque aujourd’hui une expertise en la matière que nous pourrions justement construire.
O. R : Avec tous ces campus en France, on imagine que la gestion des bâtiments est une vraie priorité pour l’Icam ?
A. D : Oui nous avons réalisé des investissements importants ces dernières années qui culmineront ces prochaines années par la rénovation de notre campus de Lille, pour lequel notre fondation (la Fondation Féron Vrau), qui est propriétaire du foncier (près de 17000 m2), va investir 35 millions d’euros d’ici 2024. Une fois cette rénovation terminée, notre parc immobilier sera en grande majorité à jour. Nous venons par exemple de doubler la taille de notre campus de Grand Paris Sud (ex Icam Paris Sénart) avec le concours de l’agglomération Grand Paris Sud.
O. R : Votre troisième axe de développement c’est l’ouverture…
A. D : Oui, l’ouverture sociale avec le développement de nos écoles de production et le développement de nos dispositifs de soutien financier pour nos apprenants (bourses et prêts d’honneur) et aussi une plus grande ouverture vers le monde économique avec lequel nous avons déjà une forte proximité. Notre bureau d’ingénierie représente ainsi une part importante de notre modèle économique en réalisant des missions pour des entreprises. Nos chefs de projet impliquent pour cela des étudiants en cinquième année de l’école d’ingénieurs qui réalisent un mémoire économique industriel. Travailler 6 mois sur une mission de recherche et développement leur permet une ouverture privilégiée avec le monde de l’entreprise. Nous portons ainsi de 130 à 140 missions chaque année.
Notre recherche académique est quant à elle portée par des doctorants et des enseignants chercheurs qui travaillent sur trois grands axes de recherche: l’énergie, les matériaux et l’éthique du travail (avec notre Chaire Sens et Travail et nos travaux sur l’impact éthique de l’essor de l’intelligence artificielle).
O. R : Vos cursus vont-ils évoluer dans les années à venir ?
A. D :Toujours dans le cadre de l’ouverture que j’évoquais, nous sommes engagés dans une revue exhaustive de nos cursus ingénieurs pour en vérifier leur pertinence et les adapter. Par exemple, nous envisageons d’inclure dans nos cursus une part d’enseignements en sciences du vivant qui nous semble pertinent pour mieux appréhender les enjeux d’écologie intégrale. Ce processus de refonte nous le faisons tous les cinq ans pour établir si le cursus est en phase avec notre environnement. La Commission des titres d’ingénieur (CTI) nous invite par exemple à limiter le nombre d’heures de cours en face à face pour nous inciter à laisser plus d’autonomie à nos étudiants plutôt que de nous positionner dans une phase magistrale de transmission des savoirs. Nous avons maintenant 18 à 24 mois de travail devant nous pour tout rebalayer avec le corps professoral.
L’un des axes sur lequel nous travaillons vise notamment à évaluer différemment nos étudiants en mettant en avant leurs compétences comme nous le faisons déjà dans le « parcours ouvert »..
Nous voulons également expérimenter de nouvelles formes de gouvernance plus horizontales. Nous allons ainsi demander à nos chefs de projet de faire preuve de subsidiarité. Il ne faut pas qu’ils aient à la fois l’autorité qui vient de leur expertise, le leadership et le pouvoir. C’est comme dans une PME où un chef d’entreprise doit s’appuyer sur l’expertise d’un ingénieur d’un côté, d’un directeur administratif et financier de l’autre. Il faut pouvoir faire preuve d’une bienveillance qui n’exclut pas l’exigence. Nous ambitionnons d’avancer ainsi vers une organisation moins pyramidale.