Directeur général du groupe ESC Dijon Bourgogne depuis 2006, Stéphan Bourcieu entend aujourd’hui faire monter en gamme son école tout en restant indépendante. Vous pouvez retrouver régulièrement ses analyses sur son blog et sur Twitter. Il revient ici avec nous sur les développements stratégiques d’une école qui se veut celle du « wine business » mais entend également se projeter beaucoup plus loin.
Olivier Rollot : Comment fait-on pour développer une grande école de management quand on n’est pas situé dans une grande métropole ni allié à d’autres grandes écoles?
Stéphan Bourcieu : Tout en restant une école généraliste, nous développons nos pôles d’excellence et, au premier chef, le vin (« wine business ») dont nous voulons être la référence mondiale. Si nous ne fusionnons effectivement avec des écoles françaises nous avons fait le choix d’une alliance privilégiée à l’international avec l’université Oxford Brookes. Un autre grand accord international pourrait d’ailleurs bientôt suivre. Enfin nous avons fait le choix stratégique d’une montée en gamme de notre offre, notamment avec de forts partis pris pédagogiques.
O. R : Vous êtes par exemple l’un des piliers de la démarche « compétences » au sein des grandes écoles de commerce. Pourquoi ?
S. B : La structuration d’une démarche compétences, permettant de faire ressortir quelles compétences particulières (gestion de projet, travail dans un environnement multiculturel, etc.) les étudiants ont acquises nous permet de mieux leur faire prendre conscience de leur parcours et de les individualiser. Nous pouvons ainsi de mieux en mieux accompagner nos élèves.
O. R : Vous investissez également dans la pédagogie de la Harvard Business School. Les Américains ont-ils encore tant à nous apprendre ?
S. B : Dans nos écoles nous avons progressivement beaucoup théorisé en nous éloignant de la culture de l’entreprise. Si nous investissons aujourd’hui dans la formation de nos enseignants en utilisant les pédagogies d’études de cas de la HBS c’est pour faire prendre conscience à nos élèves les différentes formes d’expression managériales qu’on peut trouver dans l’entreprise. Se former à cette méthode développée par Harvard c’est apprendre une pédagogie radicalement différente, se remettre véritablement en question avec des études de cas beaucoup plus participatives. Un professeur de Harvard peut animer un cas devant 150 étudiants, ce qui est rarement le cas en France, mais chaque étudiant doit avoir travaillé le cas à fond s’il veut pouvoir suivre un cours qui va aller à toute vitesse. Sinon, il est vite dépassé !
O. R : Une nouvelle culture de l’enseignement en quelque sorte ?
S. B : Loin en tout cas d’une culture française que j’appellerai « descendante » – un enseignant qui déroule son cours, un élève qui écoute – totalement inadaptée à un monde où l’information est partout disponible et où ce sont les élèves qui vérifient ce que le professeur leur enseigne. Aujourd’hui le rôle de l’enseignant est d’apprendre à sélectionner les connaissances et à les utiliser. Dans les cas d’Harvard l’enseignant a un rôle différent: c’est un animateur qui exerce la capacité des étudiants à mettre en œuvre leurs capacités à les résoudre en développant une réflexion propre. Nous voulons ainsi donner à nos étudiants une vraie « culture business » !
O. R : Vous allez également proposer à vos élèves de suivre un quatrième semestre d’études tout à fait original.
S. B : Il sera uniquement composé de six cours « électifs », c’est-à-dire choisis par l’étudiant parmi 36 proposés par les enseignants de l’école dans leurs domaines d’expertise privilégiés, mais aussi par des enseignants d’Oxford Brookes et des enseignants invités issus de top universités internationales. Nous voulons que les étudiants en sortent en disant qu’ils ont suivi « le meilleur cours qu’ils aient jamais eu » !
O. R : Dans le même esprit vous allez développer des parcours spécifiques dans des domaines particuliers d’excellence.
S. B : Nous avons ainsi déjà un parcours audit-expertise-conseil qui donne le maximum d’équivalences au DSCG (diplôme supérieur de comptabilité et de gestion) et très prisé des cabinets internationaux. Il se situe même tout juste derrière les écoles du haut du panier, celles qu’on appelle les « parisiennes ». Nous allons développer également d’autres parcours spécifiques pour ceux qui veulent intégrer les « trainee program » des grandes entreprises, dans lesquels elles recrutent leurs futurs cadres à haut potentiel, un autre en entrepreneuriat et un autre encore sur la globalisation pour ceux qui veulent absolument aller travailler à l’étranger après leurs études.
O. R : Vous l’avez dit : vous n’avez pas l’intention de fusionner avec une autre école de commerce. Pourquoi ?
S. B : On nous l’a bien proposé mais nous trouvons plus intéressant, maintenant depuis maintenant 2007, de développer notre alliance avec Oxford Brookes University. Nous avons ainsi des programmes communs de bachelor qui mènent exactement au même diplôme et qui connaissent un succès croissant dans le cadre du concours Atout+3, mais aussi des MSc. Pourquoi vouloir fusionner ? HEC est bien la première avec moins de 4000 étudiants ? Nous préférons renforcer notre réseau européen.
O. R : Pas d’entretien aujourd’hui dans le monde de l’enseignement supérieur sans une question sur les fameux massively open online courses (MOOC), ces cours en ligne gratuits qui sont en train de révolutionner l’enseignement supérieur américain. Les MOOC américains vont-ils nous envahir ?
S. B : La grande majorité des business schools reprennent aujourd’hui des courants de pensée nord-américains. La crainte qu’ont certains est de voir les meilleurs cours donnés par les meilleurs professeurs américains. Mais c’est oublier que la transmission du savoir n’est qu’une des étapes de la chaine de valeur des écoles de management. Les MOOC, même avec des chats, des forums, ne sont qu’un modèle de transmission du savoir sans adaptations aux réalités françaises et européennes. Ils ne peuvent combler les autres éléments de notre chaîne de valeur : la création de connaissance (intimement liée à la recherche), la connaissance de soi afin de permettre aux élèves de se construire dans la réalisation de leur professionnel, les expériences hors des salles de classe (stages, parcours internationaux) et, bien sûr, la délivrance d’un diplôme. Les MOOC ne peuvent pas plus remplacer une école mais peuvent constituer un apport à la pédagogie. Dans une certaines mesure, ils peuvent constituer un substitut aux manuels.
O. R : Mais vous, allez-vous mettre un MOOC en ligne ?
S. B : Nous réfléchissons à mettre en ligne un cours sur le vin pour affirmer notre position de leader dans une optique internationale.
O. R : Pourquoi en faire tant dans le vin ?
S. B : Même si nous restons une école généraliste, il est indispensable d’avoir à l’international une différenciation qui rende l’école attractive. Le vin est le deuxième poste d’exportation français et que nous sommes au cœur d’une région viticole de notoriété mondiale. Aujourd’hui la moitié des étudiants de nos cinq programmes de management du vin sont étrangers et la principale place de négoce du vin Hong Kong. Pour aller plus loin nous allons créer, avec dix enseignants spécialisés, la première Wine and Business School. Nous ouvrons également, à Beaune, une Villa Dionysos qui recevra chaque année dix managers et cinq artistes pour travailler sur le vin dans l’esprit de la Villa Médicis de Rome. Le vin n’est pas un produit comme un autre : il est proche de l’art, du luxe et nous voulons lui donner toutes ces dimensions dans un projet qui réunira peintres, historiens et managers.
O. R : Vous produisez également des travaux de recherche sur le vin. Quel regard portez-vous sur la dimension recherche dans les écoles de commerce et de management aujourd’hui ?
S. B : Il y a quinze ans il y avait peu de recherche en management dans les Grandes Ecoles. Depuis elle s’est beaucoup développée, en particulier pour se conformer aux exigences des accréditations nationales et internationales. C’est important mais met de côté la dimension économique. Or on a besoin de recherche en management, de décrypter la réalité économique dans un monde change à toute vitesse. Mais pour cela, la recherche ne doit pas seulement être diffusée auprès de la communauté académique. Il faut alimenter l’entreprise par la formation continue et le conseil, publier des tribunes dans la presse pour faire passer ses messages au plus grand nombre. Le problème étant qu’aujourd’hui tout cela n’est pas valorisé dans la carrière des enseignants. Mais les standards évoluent : l’organisme d’accréditation américain AACSB entend ainsi mettre en avant ce qu’il appelle les « contributions to community », une recherche directement appliquée.