Spécialisée dans la chimie et le numérique, implantée au milieu du grand campus universitaire scientifique lyonnais, l’école d’ingénieurs CPE Lyon compte aujourd’hui 1700 étudiants. Son directeur, Gérard Pignault, nous décrit une école spécialisée dans deux grandes filières, la chimie et les procédés d’une part, et les sciences du numérique d’autre part, qu’on peut intégrer aussi bien dès le bac qu’après une classe prépa.
Olivier Rollot : Comment définiriez-vous aujourd’hui votre école ?
Gérard Pignault : Nous sommes une start-up centenaire issue de la fusion, en 1994, de deux écoles d’ingénieurs lyonnaises dont l’une, l’ESCIL, avait cent ans et avait été la deuxième école d’ingénieurs chimiste créée en France, et l’autre l’ICPI,avait été créée en 1919. Aujourd’hui nous sommes une école associative, sans doute un futur EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général), associée à l’université Claude-Bernard Lyon 1 qui est l’une des grandes universités scientifiques françaises. Nous sommes en résumé une école privée dont les liens sont très forts avec l’université publique comme avec le CNRS. Nos trois tutelles sont la chambre de commerce et d’industrie de Lyon, l’Université catholique de Lyon et la Fondation pour l’Uuniversité de Lyon présidée par Alain Mérieux. Une sorte d’être hybride qui a beaucoup d’avenir dans l’enseignement comme dans l’automobile !
O.R : C’est très frappant quand on visite l’école, la recherche est au cœur de votre démarche.
G. P : Avec trois prix Nobel et deux académiciens parmi nos anciens, la recherche fait véritablement partie de notre ADN. Un quart de nos diplômés en chimie poursuivent en thèse après l’école, ce qui est dans la moyenne dans cette spécialité, mais aussi 5 à 10% de nos diplômés de la filière numérique alors qu’ils pourraient tout de suite obtenir d’excellentes rémunérations.
Dans notre ADN il y a aussi la proximité avec les entreprises, avec par exemple une formation continue très développée dans la chimie, mais aussi l’international – 80% de nos étudiants passent plus d’un an à l’étranger et un stage international de trois mois au moins est obligatoire – et enfin la diversité. Nous recrutons autant nos étudiants après le bac, dans le cadre d’une prépa dédiée, qu’après d’autres prépas, ou des filières universitaires, et un quart d’entre eux sont boursiers.
O.R : Aujourd’hui vous avez beaucoup de projets de développement ?
G. P : Oui dont le premier est foncier puisque, d’une part nos formations numériques vont partager le nouveau bâtiment de l’Institut des nanotechnologies de Lyon, d’autre part l’ancien bâtiment de l’ESCIL va être partiellement rasé et entièrement rénové. Dans les programmes nous allons de plus en plus travailler sur les biotechnologies. Les industriels s’orientent en effet vers une diversification des origines de leurs molécules et ont besoin de compétences nouvelles. De façon plus précise, nous nous impliquons dans les bioprocédés avec un mastère spécialisé et une majeure. Du côté du numérique nous travaillons beaucoup sur le développement de la robotique. Nous souhaitions être leaders sur ce sujet dans la région mais on peut dire qu’aujourd’hui cet objectif a été largement dépassé. Nous avons ainsi créé une majeure « robotique de serviceet systèmes embarqués », intégrant la « cobotique » (des robots collaborant avec des humains dans un même environnement).
O.R : Vous mettez également l’accent sur l’entrepreneuriat.
G. P : En première année du cycle ingénieur (3ème année des cinq ans d’études) 100% de nos élèves effectuent un « PCE » (projet de création d’entreprise). Suivi par un tuteur, lui-même généralement issu d’une entreprise, ils passent toute l’année à préparer un projet qu’ils présentent en juin devant un jury. Nous allons aller plus loin cette année en leur proposant, de façon optionnelle, de poursuivre leur projet en 4ème année pour les volontaires en lien avec des fablabs de notre écosystème. En 5ème année enfin, nous les aiderons à choisir un dispositif parmi tous ceux présents dans la région lyonnaise. Nous faisons également intervenir nos anciens dont certains ont créé de belles entreprises comme par exemple Bruno Bonnel, fondateur d’Infogrames et de Robopolis. Ensuite c’est beaucoup plus facile de créer une entreprise dans le numérique que dans la chimie : 15% des ingénieurs numériques de notre dernière promotion d’apprentis ont créé une entreprise !
O.R : Où en êtes-vous dans vos rapports avec la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Université de Lyon ?
G. P : Nous ne sommes pas membre de la Comue mais nous avons signé une large convention partenariale avec elle. L’enseignement supérieur associatif a encore parfois du mal à trouver sa place. Mais cela devrait changer avec le nouveau statut d’EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général), que nous espérons bientôt obtenir. Sa création démontre que l’Etat comprend que l’enseignement supérieur privé non lucratif est un atout pour le pays en accomplissant une mission de service public tout en coûtant beaucoup moins cher à la collectivité. Le statut d’EESPIG va valider que nous accomplissons bien une mission de service public.
O.R : L’une de vos deux spécialités est le numérique. En quoi une école d’ingénieurs comme CPE Lyon est-elle différente d’écoles d’informatique spécialisées sans être d’ingénieur ?
G. P : Aux élèves qui nous rejoignent nous précisons bien qu’ils ne feront pas que de l’informatique et auront une vision de la totalité du secteur du numérique, c’est-à_dire notamment l’électronique (le matériel) et les télécommunications. S’ils intègrent ensuite une entreprise de services du numérique (ESN), les diplômés de CPE vont ainsi pouvoir mieux comprendre les différents métiers de leurs clients. La maîtrise de l’informatique embarquée demande par exemple de bonnes connaissances des réseaux. Nous formons très largement des ingénieurs polyvalents qui comprennent tous les métiers de leur secteur.
O.R : Débat récemment relancé : la place et le rôle des prépas. Qu’en dites-vous alors que vous recrutez la moitié de vos élèves sur concours post prépa ?
G. P : Elles pourraient sans doute faire mieux pour le développement personnel de leurs élèves et la proximité avec le monde industriel. Peut-être faudrait-il réunir dans la même prépa, au moins en première année, tous les élèves de prépas scientifiques, BCPST, MP, PC, etc. Mais pourquoi vouloir s’attaquer à tout ce qui marche ? Pourquoi vouloir détruire la diversité des voies d’accès à nos écoles qui fait l’une de nos forces ? Quant au coût prétendument élevé des prépas par rapport aux autres systèmes c’est une erreur. Aujourd’hui on peut passer par un IUT, une licence, voire un BTS pourintégrer CPE Lyon et personne n’oblige les élèves à passer par une prépa ! Certains ont besoin de ce système un peu scolaire mais qui a su évoluer avec aujourd’hui des professeurs qui sont de plus en plus titulaires d’un doctorat et de remarquables pédagogues. Une fois dans l’école les différents profils, plus théoriques pour les prépas, plus pratiques pour les autres, créent des binômes efficaces.
O.R : On en parle beaucoup aujourd’hui comme d’un marché à développer dans l’enseignement supérieur. Etes-vous présent dans la formation continue ?
G. P : Nous sommes très présents avec une filiale spécialisée dans la chimie qui fait trois millions de chiffre d’affaires annuel et reçoit chaque année 3000 stagiaires dans 300 stages. Le marché des universités et des grandes écoles c’est la formation diplômante, notamment celle des salariés en mobilité. Je ne suis pas certain que nous ayons notre place sur le « marché commercial » de la formation. Bien sûr nous avons des bâtiments bien équipés mais ce sont les professeurs qui forment, pas les bâtiments ! Si aux Etats-Unis beaucoup de professeurs donnent des cours l’été, les « summer schools », c’est parce qu’ils ne sont payés que dix mois et en travaillent douze. Maintenant il faut voir comment la réforme de la formation continue intervenue cette année peut nous permettre d’évoluer, notamment en amenant nos formations à être plus modulaires. J’ajoute que cette proximité avec les entreprises que nous donne la formation continue nous permet également d’évoluer dans notre cycle ingénieurs, par exemple en renforçant récemment notre enseignement dans les biotechnologies.