POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

«Nous devons forger des personnalités bienveillantes, engagées et responsables»: Jean-Michel Nicolle, directeur de l’EPF

Il est une figure dans l’univers des écoles d’ingénieurs. Directeur de l’EPF depuis 2008, président de l’Ugei (Union des grandes écoles indépendantes) de 2015 à 2020 et vice-président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur (Cdefi), Jean-Michel Nicolle n’est pourtant pas un scientifique de formation. Agrégé d’économie et de gestion, expert-comptable il est entré un peu par hasard dans le milieu des écoles d’ingénieurs. Alors que l’EPF s’apprête à déménager à Cachan il revient sur les grands enjeux des écoles d’ingénieurs et sur sa passion : l’Afrique.

Olivier Rollot : L’Usine Nouvelle, l’Etudiant et cette année pour la première fois Le Figaro. Quel regard jetez-vous sur les classements des écoles qui se multiplient chaque année ?

Jean-Michel Nicolle : Les classements ont vocation à éclairer les décisions des candidats et de leur famille aux formations de l’enseignement supérieur. Ils portent donc une responsabilité qui nécessite une totale transparence, une rigueur méthodologique et une intégrité des parties-prenantes.

Or, j’ai le sentiment qu’ils ne jouent plus tout à fait ce rôle pour trois raisons principales. La première est l’instabilité de la méthodologie, le manque de robustesse des critères qui ouvre à l’interprétation le plus souvent en toute bonne foi. Cette situation fait obstacle à une comparabilité dans le temps.

La deuxième est l’approche purement marketing que certaines écoles en font jusqu’à produire des aberrations qui demain, contribueront à la perte de crédibilité des classements.

Ces deux premières raisons sont la cause de mouvements parfois brutaux au sein des classements qui contredisent les fortes inerties à court terme de nos organisations, de leurs ressources, leurs investissements, leur capacité de recrutement, leur développement international etc.

La troisième raison est que les classements relèguent au second plan ce qui est de plus en plus un critère de choix des candidats :  la culture de l’école. Celle-ci s’exprime par l’environnement d’étude, les pédagogies, les valeurs portées par l’institution, l’accompagnement des élèves en situation de handicap, la capacité de révélation des talents, la diversité culturelle et de genre, la vitalité et la richesse de la vie associative, le coût du logement, la sécurité de l’environnement, la présence de référents handicap, diversité, racisme et antisémitisme etc.

Ces derniers critères, qui permettent une meilleure lecture de l’environnement d’études et de vie sociale, dépassent les strictes dimensions académiques et de recherche qui d’une part, dépendent en partie de la taille et d’autre part peuvent être parfaitement appréhendées à travers les publications des résultats et des recommandations des institutions d’évaluations indépendantes comme la Commission des titres d’ingénieurs (CTI) ou le HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Les classements internationaux, qui ont peut-être un temps d’avance sur nos médias nationaux, commencent à intégrer ces notions dans leurs critères en rajoutant une dimension développement durable et impact économique, écologique et social des établissements.

Parmi les jeunes que nous recevons, certains sont moins matures, plus fragiles, encore insuffisamment armés pour affronter une réalité qui peut se révéler parfois dure. C’est cette capacité d’accompagnement, de révélation de talents et de libération des énergies, pourtant essentielle, que je ne retrouve pas dans les classements.

O. R : Cela correspond à votre plan stratégique 2018-2023 ?

J-M. N : Que ce soit demain sur notre nouveau campus de Cachan, aujourd’hui à Sceaux, Troyes et Montpellier, notre stratégie est fondée sur l’amélioration des conditions d’épanouissement et de bien-être de nos étudiants. Dans un monde incertain, nous devons forger des personnalités bienveillantes, engagées et responsables.

Les actes de sexisme voire les violences faites aux femmes sont le révélateur d’un déficit de conscience dans nos organisations éducatives.

Nous avons mis les valeurs au cœur de notre projet, c’est ce que les entreprises qui les recruteront et plus généralement la société, attendent de nous. Nous devons travailler sur nos valeurs et les partager avec les étudiants.

La résilience est une capacité importante mais elle suppose d’être suffisamment fort et confiant en l’avenir. Or, notre monde incertain n’invite pas toujours les plus faibles à espérer. C’est pourquoi nous devons rester vigilants et maintenir une attention particulière envers les populations les plus fragiles, celles qui doivent redoubler d’effort en raison de leur histoire ou de leur identité pour surmonter les obstacles sociaux et intégrer un système auquel ils n’ont peu ou pas été préparés.

 O. R : Le statut associatif de l’EPF transcrit ces valeurs humanistes que vous défendez ?

J-M. N : Des écoles associatives comme l’EPF, l’ESTP, EM Normandie, HEI, plus récemment le CESI et bien d’autres encore ont contribué, depuis la fin du XIXe siècle, à créer de la valeur dans notre enseignement supérieur en le nourrissant de valeurs humanistes et d’innovations. Certaines d’entre elles ont connu un essor remarquable grâce à leur capacité d’accueil des jeunes, d’accompagnement de leur construction personnelle et professionnelle et de leur insertion efficace sur le marché de l’emploi. Leur attractivité a connu un recul à la fin des années 70, certaines ont même disparu. L’avenir de l’Ecole Polytechnique Féminine, à l’identité si particulière, a été un temps compromis avec l’ouverture progressive des écoles d’ingénieurs françaises aux jeunes femmes. La création d’une fondation reconnue d’utilité publique a permis d’apporter une nouvelle base politique et sociale au projet historique d’ouverture des femmes aux sciences. C’est pourquoi la mission de l’EPF est si fortement marquée des valeurs de diversité, d’engagement mais aussi d’innovation. L’école est elle-même le fruit d’une disruption !

Les écoles privées sont partiellement sorties du radar de l’Etat pendant quelques décennies alors qu’elles continuaient à jouer un rôle important dans la formation des ingénieurs. Aujourd’hui, elles retrouvent lentement une meilleure reconnaissance de leur place et peuvent même inspirer, dans certains cas, un modèle d’avenir. L’accès au grade de licence pour certains bachelors montre que quand on sait dialoguer et créer de la confiance entre les parties-prenantes, on parvient à dépasser les préjugés pour le plus grand bénéfice des jeunes que nous accueillons.

C’est aussi une exigence pour cultiver un esprit de coopération entre les différents acteurs de l’enseignement supérieur, c’est aussi l’esprit du contrat qui vise à articuler les stratégies des établissements à la stratégie nationale. Cela n’est pas une incitation à la dissolution des modèles mais au contraire une reconnaissance de ce qu’ils portent de plus vertueux.

C’est la posture que j’ai toujours tenue dans mes engagements au sein des instances et qui est conforme à la vision politique de l’EPF.

O. R : Le soutien de l’Etat aux écoles privées associatives sous statut EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) semble de plus en plus mesuré financièrement…

J-M. N : Tout d’abord une mauvaise nouvelle : notre économie n’est pas sortie des crises successives qui la privent de marges de manœuvre financières. La bonne, c’est qu’enfin on perçoit une prise de conscience réelle que l’enseignement supérieur n’est pas une charge mais bien un investissement. La part du PIB consacrée à l’ESRI est encore insuffisante pour permettre aux opérateurs publics et privés de bénéficier des ressources qui leur manquent pour atteindre les meilleurs standards internationaux. Mais les annonces récentes indiquent une correction de trajectoire. Nous disposons des compétences et des idées mais le principal obstacle à notre croissance et notre attractivité, c’est le financement.

Ce financement doit s’attacher à préserver une approche globale de l’enseignement supérieur, ne pas laisser penser qu’une famille prive une autre de ses ressources. Tous les acteurs sont des partenaires qui construisent ensemble un projet original, avec leurs identités particulières mais une même exigence de réussite. Il faut que ce le mouvement timidement entamé ces deux dernières années s’amplifie, que les établissements qui acceptent de s’engager dans une relation contractuelle et adhèrent au projet national, soient soutenus. Les premiers EESPIG comme les plus récents doivent être accompagnés financièrement à la mesure de leurs engagements. Par ailleurs, et pour permettre le développement de leur recherche, nourrir leurs expérimentations et leurs innovations, les écoles associatives doivent pouvoir accéder à l’ensemble des dispositifs nationaux et européens dont elles sont aujourd’hui en partie exclues de droit ou de fait. Il faut une véritable logique d’accompagnement des établissements dont on a reconnu, par ailleurs, la contribution à l’intérêt général.

Le soutien public doit se fonder sur un principe de réalité et prendre en compte l’avantage que la collectivité retirera des actions que nos écoles mènent. Cet impact parfaitement pris en compte au niveau local l’est insuffisamment au niveau national.

J’ai bien conscience que les arbitrages y sont plus délicats, les sensibilités et les préjugés plus exacerbés, les facteurs d’influences plus puissants.

Des politiques de sites respectueuses des identités peuvent constituer de bons espaces de coopération et produire des synergies vertueuses entre le public et le privé. Ça fonctionne d’ailleurs dans certains endroits, à Troyes entre l’UTT et l’EPF et les écoles associatives du territoire, à Cergy, demain à Bordeaux.

Mais aujourd’hui encore, nos écoles ne se sentent pas accueillies alors que je suis convaincu qu’elles ont un rôle utile à jouer dans les expérimentations.

O. R : La question d’un supposé manque de diversité sociale dans les Grandes écoles a été posée avec acuité par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Qu’en est-il à l’EPF ?

J-M. N : En première année après le bac nous recevons 11% de boursiers à Paris et 16% à Troyes. En AST (admissions sur titre) on monte à 25% et les boursiers représentent in fine 18% de nos diplômés. Mais si on souhaite mener une analyse plus fine, il faudrait faire entrer dans ses statistiques les élèves en formations par l’apprentissage. Le taux final serait sensiblement supérieur.

C’est insuffisant même si cela reste supérieur à certaines classes préparatoires ou grandes écoles. La raison de cette faiblesse pour nos écoles privées est évidemment liée au coût des scolarités supportées principalement par les familles et non pas la collectivité.

Pourtant, nous ne manquons pas de multiplier les mesures directes et indirectes pour permettre un accès facilité aux études au sein de notre école, indépendamment des ressources financières. Nous avons agi sur le coût de la vie étudiante en localisant nos campus en province, nous avons accentué les admissions parallèles pour réduire le coût d’accès au diplôme de l’EPF, nous favorisons l’alternance en dernière année pour trouver un modèle économique à nos élèves, de deux formations en apprentissage nous allons passer à trois, nous avons un budget de bourses en partie alimenté par le mécénat de près de 200 000 €.

Avec les écoles du Concours Avenir, nous appliquons scrupuleusement la règle du taux minimum de lycéens boursiers pour chaque formation. Nous notons un effet mais celui-ci ne peut être amplifié en raison de l’obstacle, pour certaines familles, du coût des études supérieures.

Au-delà de cette difficulté, il faut reconnaitre que si le principe de remontée dans le classement a une vertu sociale, il peut conduire à l’intégration d’étudiants moins bien classés dont la scolarité peut s’avérer alors plus difficile. Les études, c’est souvent une aventure collective qui nécessite en environnement bienveillant et un soutien familial ou amical fort.

C’est pourquoi, pour lutter contre l’échec scolaire, nous avons décidé de mettre en place un accompagnement spécifique des élèves boursiers qui en manifesteraient le besoin.

Mais les actions menées par nos écoles dépassent la seule question du taux de boursiers. L’accueil et l’accompagnement de jeunes en situation de handicap est l’un de nos engagements forts. Le taux de ces élèves est supérieur à l’EPF que la moyenne de l’enseignement supérieur. Et bien sûr, l’accueil de jeunes femmes dans les formations d’ingénieures reste un axe fort de notre politique et un axe de différentiation. Elles sont 36% à l’‘EPF et contribuent à nourrir une société étudiante riche de diversité, de sensibilité et d’intelligence. On touche là l’un des secrets de fabrication de l’ingénieur EPF…

O. R : Les formations en apprentissage sont devenues une dimension importante à l’EPF ?

J-M. N : Depuis que nous avons initié les premières formations en apprentissage, nos pratiques pédagogiques ont profondément évolué. L’apprentissage a inspiré une nouvelle conception de la formation, plus focalisée sur l’acquisition de blocs de compétences, mieux articulée sur les besoins de l’entreprise, plus sensible aux « soft skills ». Après 10 ans d’histoire, les résultats sont éloquents : des réussites professionnelles remarquables, une mobilité internationale forte, des entrepreneurs et un esprit de solidarité que nos autres formations peuvent envier, des entreprises satisfaites et fidèles.

Jusqu’à présent les cours étaient spécifiques et les enseignants dédiés. Nous amorçons une nouvelle étape dans laquelle nous proposons à l’ensemble des enseignants de s’impliquer pour accélérer l’échange de culture de l’apprentissage.

L’apprentissage enrichit l’école mais affecte sensiblement son originalité : nous avons jusqu’ici peu de jeunes filles en apprentissage, à peine 15%, même si une amélioration est notable, avec 30% cette année. C’est l’effet de la faible mixité de genre dans les filières technologiques amont.

O. R : Parlez-nous de votre futur déménagement. L’EPF doit rejoindre l’ancien campus de l’ENS à Cachan. C’est pour quand ?

J-M. N : Nous sommes arrivés à la limite de notre capacité d’accueil, non pas du fait de l’accroissement des effectifs, surtout remarquable sur les campus de Troyes et de Montpellier, mais parce que nous avons entamé une profonde transformation de notre modèle pédagogique.

Or, celle-ci nécessite beaucoup d’espaces spécialisés : techlab, salles de créativité, salles de projets, laboratoires de recherche, lieux de repos, d’accueil des partenaires, des étudiants. La philosophie générale du projet est fondée sur le bien-être comme source de performance car nous sommes convaincus qu’il favoriser l’accueil et le plaisir de travailler pour créer de la valeur.

Fin 2021, nous devrions tripler la surface de nos bâtiments pour occuper 16 500 m². Un investissement de 40 M€ entre les travaux et l’achat du bâtiment. Ce projet, c’est d’abord celui d’une communauté, personnels, élèves, partenaires, une écriture collective pour imaginer l’école d’ingénieur-e-s du futur, une école poreuse et en interaction avec son environnement.

O. R : Le développement de l’enseignement supérieur en Afrique est au cœur de votre activité. Vous présidez notamment le groupe de travail Afrique de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur (Cdefi) et la commission Afrique de Campus France. Quels sont vos projets ?

J-M. N : Depuis deux ans, dans le cadre de la commission Afrique de Campus France, en association avec les principales parties-prenantes, universités, organismes, écoles, entreprises, opérateurs, toutes engagées dans une dynamique de coopération avec le continent africain, nous avons réussi à faire émerger une vision collective et des propositions d’axes de développement pour les établissements d’enseignement supérieur français en Afrique. Notre objectif était de comprendre la dynamique de nos établissements, identifier les facteurs clés de succès et produire des éléments de différentiation stratégique face à la concurrence d’autres modèles internationaux : canadien, turc, coréen, saoudien, marocain, nord-américain etc.

Un autre aspect important, qui a fait l’objet des travaux, est celui du modèle économique. Les Etats africains consacrent une part importante de leur budget à l’éducation, très souvent supérieure à 25%. Mais malgré cela, les infrastructures restent insuffisantes et n’anticipent pas une démographie forte. De plus, la capacité de financement des études pour l’étudiant est évaluée à 2500 ou 3000€ par an.

Pour répondre aux besoins de formation, en préservant un niveau de qualité exigeant, sous une forte contrainte économique, nos établissements doivent mettre en œuvre des dispositifs de coopération et de mutualisation intelligents, mais aussi déployer des innovations et des technologies numériques et à distance à coût marginal très faible. L’organisation des campus franco-X ou le concept de hub viennent apporter un environnement favorable à cette dynamique.

On attend un doublement de la population étudiante en Afrique subsaharienne d’ici 2030. C’est sans doute avec l’appui au développement d’universités virtuelles que nous saurons faire face aux besoins importants de formations supérieures et principalement techniques.

Il faut aussi impliquer plus largement les entreprises autour des projets de développement pour adapter l’offre de formation aux besoins locaux, le plus souvent de niveau bachelor et réinventer des dispositifs d’alternance qui contribueront au financement tout en servant les besoins importants et à court terme de l’économie.

L’EPF compte prendre sa part en s’investissant dans la création d’un Institut franco-africain d’ingénierie pour la ville durable, espace de conjonction des opérateurs économique, académique et des bailleurs de fonds. L’objectif est de produire, sur un temps court, les compétences dont les entreprises ont besoin. Les entreprises sont impliquées dans l’élaboration des référentiels métiers, participent à la définition des compétences attendues afin que nous puissions développer des référentiels de formation. Trois éléments complètent ce processus : un bilan de compétences des candidats afin de reconnaitre leurs acquis antérieurs et focaliser la formation sur les autres besoins, des pédagogies inversées et par projet pour accélérer l’opérabilité des étudiants et un système d’alternance pour faciliter l’adhésion aux cultures d’entreprises et à l’environnement des métiers.

Un diplôme de bachelor, au terme de la formation, permettra d’envisager, le cas échéant, une reprise d’études dans l’avenir. Bien sûr, la qualité du projet et des processus fondera une reconnaissance institutionnelle et surtout une confiance des parties-prenantes dans cet institut.

O. R : Les États africains sont-ils vraiment ouverts aux établissements étrangers ?

J-M. N : Comme je l’indiquais plus tôt, les Etats africains ont des capacités de financement de leur enseignement supérieur limitées. Les universités publiques ne peuvent accueillir tous les postulants. C’est pourquoi de nombreux établissements privés fleurissent, certains de très bonne qualité, d’autres, malheureusement, tout à fait médiocres.

Ces établissements sont souvent accompagnés financièrement par l’Etat, soit directement soit par l’octroi de bourses aux étudiants.

Les sciences humaines et sociales et les formations tertiaires sont fortement développées et, de mon point de vue, trop de diplômes délivrés sont éloignés des besoins de l’économie réelle. Ce décalage important explique la pénurie de main d’œuvre spécialisée dans les domaines émergents de la logistique, du numérique, des énergies nouvelles, de l’agriculture, de la santé etc.

C’est pourquoi nos établissements ont un rôle majeur à jouer dans cet espace immense en forte transformation et qu’ils pourront y trouver des opportunités pour nourrir leur croissance. Mais c’est maintenant que nous devons nous investir.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cdefi a mis en place un groupe de travail Afrique, qui connait un fort intérêt dans la communauté, dont l’un des objectifs est le partage d’expériences mais aussi le partage de projets et de synergies. Le focus des dernières réunions en cours porte sur les opportunités en Afrique anglophone et lusophone.

 

NOUS VOUS POPOSONS EGALEMENT CI-DESSOUS DE RELIRE UN PRECEDENT ENTRETIEN AVEC JEAN-MICHEL NICOLLE PARU EN MAI 2017

L’Union des grandes écoles indépendantes (UGEI) regroupe 33 grandes écoles de commerce et d’ingénieurs associatives ou privées membres de la Conférence des Grandes écoles (CGE) telles l’EM Normandie ou l’ECE. Jean-Michel Nicolle, président de l’UGEI et directeur de l’école d’ingénieurs EPF, rappelle les grands enjeux qu’elles rencontrent aujourd’hui et notamment celui de leur contractualisation avec l’Etat dans le cadre de la création du label EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général).

Olivier Rollot : Un nouveau label, l’EESPIG, a été créé en 2014 par l’Etat pour identifier et valoriser des établissements associatifs qui répondent à des missions d’intérêt général et partagent certaines valeurs. Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui ?

Jean-Michel Nicolle : Le label EESPIG participe de la reconnaissance, par l’Etat, des missions de service public assurées par l’enseignement supérieur associatif non lucratif. Il s’inscrit dans la dynamique de contractualisation de 2010 avec l’Etat. Rappelons que dans le cadre de cette contractualisation, le cahier des charges, exigeant, a été scrupuleusement respecté par les établissements contractants à charge par l’Etat de les accompagner financièrement dans une dynamique pluri-annuelle. Cette dernière promesse n’a été qu’en partie tenue puisque nos écoles ont en réalité perdu 15 millions d’euros de financement depuis 2010 soit une baisse de plus de22% de la dotation d’origine alors que le nombre d’étudiants accueillis augmentait en même temps de près de 15 milliers! Ce double mouvement inversé a conduit à une baisse unitaire du financement public par élève de 1300€ à 750€ par an alors que dans cette période le budget de l’Enseignement supérieur augmentait lui de 6%. Et si on ajoute à cela la baisse de plus de 25% en moyenne des ressources tirées de la taxe d’apprentissage vous pouvez imaginer les effets désastreux sur l’équilibre financier de nos établissements !

La promesse de renforcement des capacités structurelles a été tenue par les écoles mais le soutien de l’Etat a été insuffisant alors que les enjeux financiers – 15 millions d’euros – étaient en réalité dérisoires compte-tenu du niveau de service à la nation apporté par nos écoles. On peut légitimement s’interroger si cette baisse ne relevait pas plus du symbolique que de l’exigence budgétaire…

J’ajoute que, peu à peu, seuls les établissements labellisés EESPIG pourront percevoir un soutien financier de l’Etat dans le cadre de la contractualisation. Ce ne sera probablement pas le cas pour toutes les écoles membres de l’UGEI. Nous craignons que cette situation entraine des distorsions d’attractivité entre elles alors qu’elles servent toutes notre société.

La question des écoles à ce jour non contractualisées et qui, désormais EESPIG, peuvent entrer à leur tour dans une relation contractuelle avec l’Etat se pose également. Il ne faudrait surtout pas que l’élargissement du périmètre de la contractualisation se fasse au détriment du financement de celles qui le sont déjà !

O. R : Quel est le modèle financier des écoles qui ont contractualisé avec l’Etat ?

J-M. N : Pour simplifier, le modèle économique des écoles associatives contractualisées repose pour les trois quarts sur les droits de scolarité, 10% sur l’aide de l’Etat et 15% sur d’autres ressources. Or il existe aujourd’hui une certaine inélasticité économique des droits d’inscription. Le seuil des 8000-8500€ par an est socialement difficile à franchir pour de nombreuses familles qui par ailleurs payent l’impôt – principalement dans des écoles en 5 ans après le bac. C’est d’ailleurs pourquoi nous avions été à l’origine d’amendements permettant une déduction fiscale partielle des droits. Sans succès.

C’est un aspect particulièrement sensible pour nos écoles d’ingénieurs dont la grande majorité relèvent de la sphère publique. Pour ma part je considère que le coût total de la formation ne devrait pas excéder la première année de salaire d’un jeune diplômé. Et c’est un engagement que nous pouvons tenir en recourant à plusieurs dispositifs comme les admissions parallèles ou sur titre, à l’apprentissage ou aux contrats de professionnalisation en dernière année de cycle ingénieur. L’ingénierie pédagogique rejoint la financière pour abaisser, in fine, le coût total de la scolarité. Nous pouvons également développer des campus dans des métropoles où les coûts environnés (logement, transport etc.) sont plus faibles comme nous l’avons fait avec l’EPF à Troyes et Montpellier.

O. R : Un logo EESPIG va bientôt voir le jour. A quoi va-t-il ressembler ?

J-M. N : Nous l’attendons avec impatience. Nous avions proposé, avec les autres fédérations, qu’il fasse référence à la Marianne pour souligner notre place originale dans l’enseignement supérieur national mais les derniers arbitrages ministériels ont écarté cette option. C’était pourtant, une fois de plus, l’occasion d’un signe de confiance vis-à-vis de nos écoles qui font pourtant l’objet d’évaluations et d’habilitations au même titre que les établissements publics.

O. R : Quelles autres marques de défiance dénoncez-vous de la part de l’Etat ?

J-M. N : Je pense sincèrement qu’au cours de ces dernières années nous avons progressé dans la relation avec notre tutelle. Nous aurions certainement pu mieux faire et éviter des erreurs comme l’incapacité pour nos établissements associatifs de délivrer un diplôme national de master (master Duby). Alors que nos établissements disposent d’une agilité organisationnelle remarquable, ils ont ainsi perdu le potentiel d’une ressource économique qui favorisait leur attractivité internationale. Je pense que nous avons perdu une opportunité de promouvoir notre modèle national d’enseignement supérieur au profit de nos concurrents mondiaux. De plus, affaiblir aujourd’hui l’équilibre financier de nos associations alors que nous savons que notre enseignement supérieur public ne dispose pas de la capacité d’accueillir les 400.000 étudiants qu’il nous faudra collectivement accueillir dans les 10 prochaines années est, de mon point de vue, une faute.

La contribution de l’Etat au soutien de l’enseignement supérieur privé ne doit pas être considérée comme un coût mais comme une opportunité dans un contexte budgétaire national fortement contraint : le financement public d’un étudiant dans une école d’ingénieur ou de management privée contractualisée est aujourd’hui 10 fois plus faible que dans une école publique.

Le gouvernement a accordé en 2017 une rallonge financière de 100 millions d’euros aux universités et aux grandes écoles pour tenir compte de la hausse des effectifs. Les établissements privés sont entrés dans ce périmètre à hauteur de 1.000.000€ alors que les effectifs accueillis dans l’ensemble de nos établissements sont passés en 1 an de 77.000 à 86.000, soit une croissance de 11%.

La dotation supplémentaire par élève sera d’un peu moins de 12€ sans que nous ayons reçu, contrairement aux établissements publics, la notification de ce complément de ressource. Ce montant peut paraitre dérisoire, mais dans le contexte économique actuel de nos établissements nous y sommes attachés. Il nous permettrait de financer, par exemple, deux bourses d’études ou le quart de la rémunération d’un enseignant-chercheur !

L’ensemble des fédérations s’accorde sur la nécessité non d’une égalité de traitement avec les établissements publics bien évidemment mais d’une équité qui marquerait de la considération vis-à-vis de nos écoles.

O. R : Quel est l’état de vos relations avec l’enseignement supérieur public ?

J-M. N : Il faut pacifier et cultiver les relations entre enseignements public et privé. Il y a eu de véritables avancées au cours de dernier quinquennat, même si les relations ont pu être difficiles avec certains acteurs. Les guerres de chapelles n’ont plus leurs places et je suis persuadé que nous sommes entrés dans une dynamique de confiance entre le public et le privé qu’il va nous falloir conforter dans l’avenir. Nous sommes collectivement confrontés à la mondialisation de l’enseignement supérieur et nous devons associer nos forces pour valoriser ensemble notre potentiel. L’Etat doit s’engager en affectant une part du PIB à l’enseignement supérieur équivalente à celle que lui réserve les grandes puissances économiques et nous espérons un ministre de plein exercice pour piloter ce qui doit être considéré comme un investissement pour l’avenir et non une dépense !

 

O. R : Que pensez-vous des grands rapprochements d’établissements dans le cadre des Comue ou des fusions entre écoles d’ingénieurs qui se multiplient aujourd’hui ?

J-M. N : Les écoles d’ingénieurs possèdent une identité forte liée à leur histoire mais surtout à leur positionnement et à leur reconnaissance dans de multiples secteurs professionnels et industriels de pointe. Si structuration de l’enseignement supérieur veut dire dissolution dans des ensembles plus larges, on prend le risque d’affaiblir une identité que le monde entier reconnait à nos écoles au profit d’une pseudo visibilité internationale. On risque en même temps de perdre les réseaux d’anciens et d’entreprises qui font la force de nos établissements. Une université ou une école peut être emblématique sans pour autant être un monstre de 100 000 étudiants. Les exemples en ce sens sont nombreux aux Etats-Unis. La course à la taille critique à tout prix a des effets pervers.

Pour être reconnu, mieux vaut l’excellence sur certains sujets cibles plutôt que la dispersion. Les écoles d’ingénieurs françaises proposent un modèle collaboratif très efficace pour former des cadres et des chercheurs dont notre économie a besoin. Elle les prépare efficacement à l’industrie du futur. Elles sont de véritables incubateurs pour la création d’entreprise. Ne peut-on pas simplement affirmer que notre modèle est bon puisqu’il est copié au lieu de de le faire disparaitre et donc de perdre deux siècles de capital culturel national ?

 

 

O. R : Parlez-nous de l’UGEI et de ses 33 écoles. Quel est le rôle de l’UGEI ?

J-M. N : Nos écoles ont globalement des taux de croissance importants et nous souhaitons mettre en valeur une identité commune qui s’appuie sur trois piliers : l’indépendance, la science et la conscience. Aujourd’hui écoles d’ingénieurs et de management travaillent ensemble sur des projets communs comme par exemple les parcours hybrides dont nos entreprises ont de plus en plus besoin. EESPIG ou pas EESPIG il nous faut progresser collectivement avec des écoles qui éclairent des voies de progrès comme le Cesi pour l’alternance. Nous mutualisons des pratiques et des réflexions comme la mise en commun d’achats ou la définition du statut d’enseignant-chercheur, nous réfléchissons à de nouvelles formes d’alliances ou de statuts qui nous permettraient de développer des synergies ou inventer de nouvelles formes organisationnelles pourquoi pas sur le modèle du mouvement mutualiste. La survie et a fortiori la croissance de nos écoles nécessite la mobilisation de ressources. A l’instar du public, l’intensité capitalistique des établissements est une condition nécessaire pour répondre aux besoins d’un enseignement supérieur et d’une recherche d’excellence.

Plus largement nous demandons à l’Etat de nous faire vraiment confiance, une confiance pérenne sur au moins 5 ans, dans le cadre de ce qui pourrait être une véritable délégation de service public.

 

 

à EESPIG mode d’emploi. Le Comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé (CCESP) qui comporte quatorze membres, présidents d’associations et de fédérations de l’enseignement supérieur privés et personnalités nommées pour une durée de trois ans, a pour mission d’examiner les demandes des établissements et de formuler un avis consultatif au gouvernement qui décide d’accorder ou non le label EESPIG. Plusieurs critères ont été retenus pour segmenter les écoles privées entre celles pouvant y prétendre et les autres. Ce sont principalement les missions assurées, l’indépendance vis à vis d’intérêts privés capitalistiques, la non-lucrativité et l’intérêt général. Pour évaluer le sens de l’intérêt général et la mission sociale de telle ou telle école, il s’appuie, entre autres, sur les évaluations du Hceres (Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), de la Commission des titres d’ingénieurs (CTI), ou la CEFDG.

Sont aujourd’hui labellisées EESPIG une cinquantaine d’écoles associatives qui sont aussi bien des écoles d’ingénieurs, comme l’EPF ou CPE Lyon, que de management comme l’Essec BS ou l’Essca.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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