De de gauche à droite l’animateur, Régis Roussel, Pauline Le Fiblec, Marianne de Brunhoff, Laurent Escure, Pierre Courbebaisse et Etienne Martin lors de la table ronde « Compétence et année européenne en France »
« Partout dans le monde, les marchés du travail sont impactés par trois transitions majeures : la transition démographique, la transition numérique, et la transition écologique. Ces grandes transitions impactent fortement les questions de compétences », émet Anousheh Karvar, déléguée du gouvernement français auprès de l’Organisation internationale du travail, en amont du colloque Printemps des compétences et métiers d’avenir. Organisé par Centre Inffo en clôture de l’Année européenne des compétences en France, l’événement s’est déroulé les 23 et 24 avril derniers à Paris au sein de la Cité des Métiers et de l’Industrie. `
Trois transitions : démographique, écologique et numérique
La transition démographique pose également des questions cruciales. L’Europe et la Chine font face à un vieillissement de la population qui entraine une pénurie de main d’œuvre, notamment dans les secteurs en tension dont les principaux, tout en requérant qu’on offre de meilleures perspectives d’emploi aux seniors. Le reste du monde, quant à lui, possède une population jeune parfois qualifiée, comme en Asie, mais qui ne trouve pas toujours de débouchés sur le marché du travail. Anoush Karvar pointe donc une problématique clé : « L’éléphant dans la pièce c’est la migration de compétences, un sujet fort controversé car, d’une part, il faut éviter la fuite des cerveaux des pays en développement et, d’autre part, les pays développés veulent protéger les emplois locaux ».
La transition numérique, quant à elle, crée des disparités régionales significatives. Les pays développés risquent des pertes d’emplois dues à l’intelligence artificielle, surtout dans les services et l’industrie, tandis que les pays émergents voient menacer les « emplois du clic » — ces tâches répétitives qui alimentent l’apprentissage des systèmes d’IA — à mesure que ces technologies gagnent en autonomie. Une question que Stefano Scarpetta, le directeur de la Direction de l’Emploi, du Travail et des Affaires sociales de l’OCDE tempère en affirmant que l’IA ne « remplace pas les capacités humaines d’adaptation, d’innovation et de création ». Il se projette vers un rééquilibrage des compétences, où la « diminution des emplois dans les services traditionnels s’accompagne d’une valorisation accrue des compétences humaines ». Il souligne également que les nations en développement peinent à se doter des infrastructures essentielles et des compétences numériques nécessaires, souvent « entravées par des défis tels que l’accès à une alimentation électrique fiable ou fournir du matériel numérique sur l’ensemble des territoires ».
Enfin la transition écologique, entravée par des coûts initiaux élevés, requiert d’importants investissements en infrastructure et en formation. Stefano Scarpetta insiste sur la nécessité de former des professionnels à la base de cette transformation, tels que les ingénieurs ou les mathématiciens, et « d’accompagner les travailleurs des secteurs polluants vers de nouvelles carrières ». Anousheh Karvar note quant à elle que le « G20 envisage une taxation mondiale pour financer cette transition à l’échelle ».
Le « Pacte sur les compétences » européen
Au-delà de ces transitions, la perception du travail par la population a évolué. Depuis le confinement, les attentes des employés quant à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle se sont accentuées. Le télétravail se démocratise, tandis que ceux ne pouvant pas travailler à distance aspirent à réduire leur temps de travail, quitte à accepter une baisse de salaire.
Pour relever ces défis, Ann Branch, chef de l’unité de la Commission européenne en charge de l’Année européenne des compétences, appelle à « désiloter les acteurs et à défragmenter les gouvernances en renforçant la coopération entre les États membres ». Pour cela, la Commission a présenté son Pacte sur les compétences permettant de développer les formations nécessaires aux besoins des acteurs économiques. Elle insiste sur la nécessité d’anticiper les pénuries et, de ce fait, les futures compétences, mais aussi de « gérer les flux d’un pays à l’autre des personnes compétentes […] au sein de l’union, ainsi que de pays tiers », avant de rappeler que « la commission a proposé un règlement sur la création d’un réservoir européen de talents issu de pays tiers ». Parallèlement, Stefano Scarpetta appelle à renforcer l’apprentissage en Europe et à « développer des formations plus flexibles, plus à la carte, qui s’adaptent aux besoins des employés et des entreprises notamment avec l’aide des outils numériques existants ».
Lui comme Ann Branch ont également rappelé les points forts de la France vis-à-vis des autres pays européens notamment par son investissement dans la formation professionnelle mais aussi par le CPF (compte personnel de formation) qui permet la formation des professionnels tout au long de leur carrière.
Un avenir plus que jamais incertain
De nombreuses questions restent sans réponse. Étonnamment, l’avenir est un terme sans échéance car aucune date n’a été avancée par les intervenants. Cette absence de perspective fut particulièrement palpable quand les intervenants des pouvoirs publics français ont présenté leur capacité à répondre aux urgences actuelles sans esquisser de solutions pour répondre aux transitions initialement présentées. Ou par la perspective d’une perte de sa main d’œuvre qualifié, issu de la formation professionnelle, vers d’autres pays européens.
Ainsi, Etienne Martin, directeur général adjoint du pôle formation de la Région Ile de France a rappelé que dans le cas des Jeux Olympiques, « il y avait d’abord eu une demande dans le BTP mais aujourd’hui c’est le secteur de la sécurité qui doit être renforcé ». Sur les tendances de fond, on note une volonté de répondre aux secteurs en tension comme l’hôtellerie-restauration ou encore les services à la personne. David Margueritte, vice-président de la commission éducation aux régions de France, a insisté sur la nécessité de former d’abord les personnes à l’écart de l’emploi pour lesquelles il est souvent nécessaire de former aux compétences de base (lire, écrire, compter, etc.). Selon lui, le deuxième défi est de « simplifier la gouvernance des formations pour améliorer l’action publique entreprise par les différentes administrations, de l’échelle locale à l’échelle européenne ».
Enfin, pour favoriser la reconnaissance des compétences, la mobilité et la montée en compétences des employés, les différents intervenants ont mis en avant l’avantage des open badges et du passeport de compétences. Ces solutions permettant de se créer un ensemble de compétences lors de sa formation avant de les compléter et de « collectionner » les compétences au cours de sa vie professionnelle. David Margueritte, l’un des seuls intervenants à évoquer les répercussions de ces solutions, va même jusqu’à dire que cela « peut mettre un terme à la culture du diplôme qui provoque des inégalités ». En d’autres termes, cela pourrait être la fin des classements pour les écoles, ou, à l’inverse, l’apparition de classements pour chacune des compétences existantes sur le marché.