Toute cette semaine nous vous proposons de nous interroger sur les avenirs possibles des écoles de management. Directeur adjoint du groupe Grenoble École de Management, Jean-François Fiorina est l’un des plus investis dans le développement des nouvelles pédagogies. Récemment il a consacré plusieurs billets de son blog à « l’école du futur ». Retour avec lui sur l’enjeu majeur que constitue aujourd’hui le développement des nouvelles pédagogies dans l’enseignement supérieur.
Olivier Rollot : Récemment la Cour des Comptes a livré une analyse très critique des écoles de commerce françaises. Notamment sur leur coût. Comment l’avez-vous analysée ?
Jean-François Fiorina : On commence à se rendre compte que l’enseignement supérieur génère des coûts gigantesques . Ces coûts doivent être pris en charge mais la question est de savoir par qui ?. Or en France on a toujours un culte de la gratuité qui freine cette prise de conscience alors que de nouveaux acteurs apparaissent dans les pays émergents et se rendent de plus en plus attractifs pour les étudiants. Il faut prendre acte d’une certaine « marchandisation » de l’enseignement supérieur.
O. R : Les écoles de management français ont une excellente image dans le monde. Comment l’expliquez-vous ?
J-F.F : Tout simplement parce que nous avons dû être innovants pour palier notre manque de ressources. Ensuite la montée en puissance des accréditations (Aacsb, Equis) a permis de très bien définir nos missions, ce qui est plus difficile pour une université. Mais il ne faudrait pas aujourd’hui que nous prenions un mur faute de moyens suffisants.
O. R : L’acronyme « massively open online courses » (MOOC), ces cours diffusés gratuitement sur l’Internet par de grandes universités américaines essentiellement, a fait une entrée fracassante dans le vocabulaire de l’enseignement supérieur cette année. Comment analysez-vous leur essor et que devons-nous faire ici en France ?
J-F.F : La question de base pour un établissement d’enseignement supérieur est de savoir s’il enseigne ce qu’il a créé ou s’il reproduit des savoirs créés ailleurs. La création de MOOC est réservée à de grands établissements qui inventent ainsi de nouveaux business models : l’enseignement est gratuit à l’entrée mais payant à la sortie, lorsqu’il faut délivrer un diplôme ou un certificat à ceux qui ont suivi gratuitement les cours en ligne. Les MOOC peuvent également permettre de découvrir de nouveaux potentiels qui ne se seraient jamais manifesté sinon et que nous pouvons ensuite signaler à des recruteurs ou attirer sur nos campus pour y suivre des MBA ou des Msc.
O. R : Les enseignants français paraissent souvent réticents à cette mise en avant gratuite.
J-F.F : Les MOOC sont pourtant un formidable outil de développement de ce qu’on pourrait appeler leur « nobélisation ». Avoir été écouté et lu par des centaines de milliers d’étudiants confère une notoriété qu’il faut ensuite pouvoir exploiter dans le cadre de ses recherches. Si nous recourons aux nouvelles technologies ce n’est certainement pas pour remplacer les enseignants par des machines, ni pour faire des économies. Les années à venir vont voir le grand retour de la pédagogie au premier plan.
O. R : S’il faut innover c’est parce que les étudiants ont changé et challengent constamment leurs enseignants.
J-F.F : L’enseignant a aujourd’hui en face de lui des étudiants qui pensent en savoir autant que lui. Alors qu’on reste largement dans un modèle « ex cathedra », un savoir dispensé du haut de l’amphi, l’enseignant doit penser à la scénarisation de de son cours pour travailler avec des étudiants qui en savent déjà beaucoup mais qu’il faut challenger pour vérifier s’ils ont vraiment bien compris. On est passé dans un processus d’analyse critique et il faut accepter cette autre vision de l’enseignement. Un enseignant doit aussi pouvoir réagir vite à des événements – la faillite de Virgin pour prendre un exemple récent – et proposer des contenus de qualité s’y rapportant.
O. R : Avec ces nouvelles pédagogies que voulez-vous apprendre à vos étudiants ?
J-F.F : Nous devons leur apprendre à apprendre pour qu’ils deviennent autonomes. Leur apprendre à développer leur sens critique, les perturber intellectuellement. Tout cela parce que nous allons les lancer pour 30 ou 50 ans sur un marché du travail où il est difficile de savoir où ils iront. Songez à un automobiliste qui sombrerait dans le coma à la veille de la chute du mur de Berlin et en sortirait aujourd’hui : il découvrirait un monde qui a totalement changé. Nous sommes dans un monde qui accélère et il faut donner à nos étudiants les moyens d’évoluer.
O. R : L’école du futur que vous décrivez sur votre blog c’est l’école de l’évolution permanente ?
J-F.F : On va assister à un grand retour de la culture générale, oh il ne s’agira pas de lire Platon dans le texte mais d’avoir un esprit critique. Il faudra aussi beaucoup mieux exploiter tout ce que l’étudiant apprend en dehors des salles de classe, qu’il s’agisse de stages, de séjours à l’étranger, etc. Enfin, dans le cadre de l’école, il faut plus travailler sur les stratégies de management et le développement personnel de l’élève, comme nous le faisons ici dans le cadre d’ateliers de théâtre ou d’écriture par exemple.
O. R : La forme même des salles de cours et des amphis n’empêche-t-elle pas aux enseignements d’être plus interactifs ?
J-F.F : Il ne faut pas généraliser, certaines disciplines se prêtent plus aux innovations que d’autres. Le principe auquel nous devrons arriver est que tous les étudiants puissent assister et intervenir dans les cours, qu’ils soient sur notre campus, ailleurs en France ou à l’étranger. Et ceux qui ne peuvent pas y accéder en direct devront pouvoir le voir quand ils le souhaiteront. Il faudra arriver à une captation automatique de tous nos cours et à leur mise en ligne quasi immédiate. Nous entrons dans un univers où la salle de classe est mondiale avec des étudiants de plus en plus hétérogènes, qu’il s’agisse de leur origine ou de leur nationalité.