« Les jeunes que nous formons sont souvent militants des causes environnementales et sociétales. Nous devons confronter ces jeunes adultes à une réalité qui est qu’on ne peut pas arrêter de produire de l’acier ou du béton. Nous leur disons donc qu’ils peuvent changer le monde, qu’ils doivent conserver leurs convictions, mais qu’ils doivent également les conjuguer avec la réalité économique. » La citation est de Laurent Champaney, le directeur général des Arts et Métiers, qui s’exprimait dans le cadre du livre blanc Se former aux métiers de demain qu’il a co-publié avec Neoma, mais elle pourrait l’être de tout président d’université ou directeur de Grande école. Aujourd’hui la préservation de l’environnement est devenue un thème capital dans l’enseignement supérieur. La Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises) vient justement de lancer un Observatoire de la Transition Environnementale et une première étude. « C’est dans le rôle de la Fnege de fournir aux écoles des références et un guide des bonnes pratiques pour s’améliorer. Nous envisageons d’ailleurs de lancer des formations dans les disciplines les plus engagées », commente Jérôme Caby, le président de la Fnege.
Les enseignements se développent dans tous les cursus. L’étude Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat, menée par les équipes du think tank spécialisé dans la transition énergétique The Shift Project, avait montré en 2019 que peu établissements d’enseignement supérieur étaient alors dans une démarche d’enseignement de la transition énergétique (seulement 11 % des 34 établissements auscultés abordaient les enjeux climat-énergie de manière obligatoire). A l’époque un projet de loi, porté notamment par Cédric Villani, entendait rendre obligatoire l’enseignement du changement climatique. Il a été abandonné mais aujourd’hui le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) travaille à la définition d’un seuil minimum de compétences sur le modèle de qui existe dans le primaire et le secondaire.
Ecole pionnière les Ponts ParisTech dispense par exemple à sous les étudiants de première année un module de sensibilisation Développement durable : ingénieurs pour un monde complexe et incertain de 15 heures suivi d’un projet. Comme l’expliquent les professeurs, « ce cours a pour vocation d’amener les élèves à définir l’ingénieur qu’ils veulent devenir et à y associer les outils et compétences, et donc la formation dont ils ont besoin pour y arriver. Pour accompagner les élèves dans cette démarche, le cours propose de décliner la notion d’ingénieur acteur d’un développement durable en termes de compétences ». On dépasse ainsi la sensibilisation – largement abordée dans le secondaire – pour entrer dans l’opérationnel.
Même réflexion encore du côté de l’École du management et de l’innovation de Sciences Po comme l’expliquait son ancienne directrice, Marie-Laure Salles Djelic en ce début d’année : « Après une formation aux 17 Objectifs de développement durable de l’ONU (ODD) nos 530 étudiants de première année passent dès leurs dix premiers jours de formation le Sulitest pour évaluer leurs connaissances en la matière. Pendant un semestre ils vont suivre ce que nous appelons l’expérience « Great Transition » pour explorer plus avant les enjeux associés aux ODD. Cette exploration est théorique. Mais nos étudiants ont aussi l’opportunité d’interagir avec des acteurs investis concrètement sur les ODD – entreprises, ONGs, associations… » Ensuite les étudiants peuvent se saisir eux-mêmes, en pratique, de ces questions en travaillant pendant un semestre sur un projet concret. Réunis par groupes de cinq mêlant les différents masters, ils déploient des solutions concrètes, à vocation entrepreneuriale, à un problème qu’ils ont identifié comme particulièrement important ou préoccupant. « Il s’agit pour eux de s’approprier en profondeur ces questions pour arriver à inventer des solutions en travaillant collectivement pendant tout un semestre », conclut la directrice.
Trouver un équilibre dans les enseignements. Le groupe Insa s’est associé au Shift Project dans le projet Former les ingénieurs du XXIème siècle. Il s’agit d’« initier un vaste chantier d’intégration des problématiques climat-énergie sur l’ensemble de ses parcours de formation, et montrer ainsi par l’exemple le nécessaire effort à accomplir par l’enseignement supérieur ». Le projet a débuté à la rentrée 2020 pour permettre une évolution des maquettes pédagogiques en vue de la rentrée scolaire 2021. Dans un premier temps les experts du Shift Project travaillent à cartographier et faire un état des lieux de la prise en compte des enjeux climat-énergie dans les formations du Groupe INSA. Ils élaboreront ensuite un projet pédagogique cohérent sur 5 ans du cursus de formation définissant un socle commun de connaissances et compétences pour tous les étudiants INSA, et les connaissances et compétences supplémentaires par spécialisation. Ce projet sera co-construit avec les responsables et équipes pédagogiques des établissements, ainsi qu’avec des experts et enseignants extérieurs au Groupe INSA.
Avec souvent la difficulté de trouver un juste milieu entre convictions et réalisme comme le confie Delphine Manceau, la directrice générale de Neoma BS : « Sur tous ces sujets climatiques nous nous efforçons de démontrer aux étudiants la complexité de ces enjeux et la difficulté de prendre certaines décisions parce qu’elles impliquent des arbitrages entre différentes causes tout aussi importantes. Au-delà de ses convictions profondes il nait toujours un dilemme entre différentes solutions dont aucune n’est parfaite ».
De plus en plus de formations dédiées. Alors que l’enseignement du développement durable imprègne plus en plus chaque formation, les formations dédiées se développent également. Tête de réseau France du Sustainable Development Solutions Network (SDSN) placé sous l’égide des Nations-Unies, PSL a ainsi lancé en 2020 un diplôme d’établissement postbac en 3 ans entièrement consacré aux enjeux et aux défis du développement durable. Sciences pour un monde durable allie sciences de la nature, de la matière et de la vie, sciences économiques et sociales, et sciences humaines.
De son côté Sciences Po a lancé à la rentrée universitaire 2020 une nouvelle licence interdisciplinaire. Le Bachelor of Arts and Sciences (BASc) l’institut associe les sciences et les sciences humaines et sociales et se consacre notamment à l’étude de la transition écologique. « Nous souhaitons répondre au projet de Sciences Po depuis sa création : comprendre l’environnement dans lequel on vit et former des étudiants qui seront des acteurs de l’évolution du monde », confie Stéphanie Balme, la doyenne du collège universitaire, qui explique : « Aujourd’hui ce qui transforme nos sociétés ce sont essentiellement des objets liés aux sciences. D’où la nécessité d’aller chercher des enseignants-chercheurs en dehors de notre faculté pour donner une double réponse ».
Des rentrées sous le signe du climat. Très souvent dans le cadre d’une « Fresque du climat », les rentrées se font de plus en plus sous le signe de la transition environnementale. Lors de la rentrée 2020 de la première année de son Master in Management Grande Ecole, ESCP a ainsi organisé un séminaire dédié aux enjeux climatiques. L’objectif pour la deuxième année de ce format : former l’ensemble de ses étudiants aux défis climatiques, énergétiques et sociaux pour leur « faire comprendre comment les managers peuvent agir pour transformer les systèmes économiques et managériaux vers des modèles plus soutenables ». Au programme : des ateliers mais aussi l’intervention de « grands témoins » comme Laurence Tubiana, ex-ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, ou Alain Grandjean, président de la Fondation Nicolas Hulot.
En plus des initiatives individuelles de chaque école, l’Institut Mines Télécom (IMT) a également organisé cette année pour la totalité des nouvelles promotions les ateliers de la « Fresque du Climat ». Plus de 200 enseignants-chercheurs, étudiants et Alumni de l’IMT se sont ainsi mobilisés pour animer ensemble des sessions d’intelligence collective auprès des 2700 nouveaux élèves. Pour « créer un espace de réflexion personnelle, encourageant les étudiants d’une part à se situer dans cette crise planétaire, et d’autre part à adopter une posture d’acteur, chaque école a ajouté à cette fresque des éclairages différents sur les possibilités d’œuvrer, ici et maintenant, pour la transformation du modèle.
Pour aller plus loin l’ambition de l’association La Fresque du Climat est aujourd’hui de former le maximum de jeunes chaque année aux enjeux climatiques. « En 2019 nous avons déjà rencontrée 20 000 jeunes. Nous voulons monter à 100 000 par an avec tous nos bénévoles », explique son fondateur, Cédric Ringenbach.
Qui est le moteur de la transformation ? « Aujourd’hui les établissements sont à des degrés d’implication très divers. Et souvent cela dépend de la présence ou pas d’un enseignant très motivé par la question du climat », note Jacques Igalens, président de l’Observatoire de la Transition Environnementale que lance la Fnege, qui constate encore : « Cela peut également être à l’initiative des étudiants, notamment si le syndicat Refedd (REseau Français Étudiant pour le Développement Durable) est présent, mais ni des directions ni des tutelles ». Et des étudiants motivés il y en a.
Les étudiants des écoles de l’Institut Mines Télécom (IMT), constitués en collectif de la transition écologique, ont ainsi adopté en 2019 une approche participative pour structurer et proposer un socle commun de formation à la transition écologique. Ce collectif a travaillé tout au long de l’année pour présenter en juin 2020 un programme abouti de 100 heures sur la transition écologique. Pour fédérer toutes les initiatives le 12 novembre 2020 a eu lieu le lancement d’Alumni for the Planet, un réseau soutenu par la CPU, la Cdefi et la CGE qui vise à « créer et à développer le réseau des diplômés de l’enseignement supérieur qui s’engagent et agissent en faveur du climat et de l’environnement ».
L’existence d’un comité ad hoc en charge du développement durable est également un élément très porteur. ESCP a ainsi nommé un dean en charge de la sustainability qui participe à l’ensemble des décisions de l’école et incite forcément ainsi à prendre en charge cette dimension. Dans les enseignements mais aussi dans toute la politique de l’école. Dont celle de construction et de reconstruction des locaux qu’entame aujourd’hui ESCP.
Comment estimer l’implication de l’enseignement supérieur ? En 2020 le Times Higher Education a lancé son premier Impact Ranking fondé sur les ODD (objectifs de développement durables) de l’ONU. Transition environnementale, responsabilité sociétale des entreprise, contribution à la paix dans le monde, 17 indicateurs y sont pris en compte et ont célébré l’action des universités australiennes et néo-zélandaises (quatre premières places) quand en France c’est Aix-Marseille Université qui s’est révélée la plus active dans ses dimensions. Les « classeurs » français réfléchissent également à créer ce type de classement ou à inclure plus la dimension environnementale et sociale dans les classements existants. Ce qui se révèle fort difficile tant les indicateurs sont difficiles à définir. Aujourd’hui seule la labellisation DD&RS, accordée à seulement 31 établissements d’enseignement supérieur en France, donne de véritables indications. Elle entend en effet « valoriser nationalement et internationalement au meilleur rapport bénéfices/coûts les démarches de développement durable et de responsabilité sociétale des établissements d’enseignement supérieur et de recherche ».
C’est dire combien la publication par la Fnege de son Observatoire de la Transition Environnementale apporte aujourd’hui une pierre précieuse à l’édifice. « Parce qu’elle reçoit un sixième des étudiants français la gestion a un rôle particulier. Nous avons voulu évaluer si les étudiants étaient bien formés aux défis de demain mais également si les établissements adoptaient les mesures qu’ils préconisaient », définit Jacques Igalens.
En tout 52 des 84 établissements que fédère la Fnege ont répondu à son enquête qui porte autant sur la pédagogie que la recherche, la gestion du campus que l’engagement des étudiants. « Deux tiers des écoles ont fixé un seuil minimal de compétences à acquérir. 30 disposent d’un service dédié au développement durable. Une quarantaine ont fixé des politiques d’achat durables. Mais seulement dix ont produit des plans de déplacement et douze des bilans carbone », établit Jacques Igalens. « Il faut établir un arbitrage entre la nécessaire dimension internationale des écoles et leur bilan carbone. Quand on envoie un étudiant à l’international on sait qu’en plus il se déplace dans toute la région. En avion », commente Jérôme Caby qui insiste sur « la nécessité de d’abord s’intéresser à la façon dont les campus sont desservis ».
Reste maintenant à convaincre l’ensemble de l’enseignement supérieur d’aller plus loin dans sa révolution environnementale. Si les étudiants sont moteurs, les contraintes financières liées à la Covid-19 ne risquent-ils pas de freiner les efforts ?