Les articles de presse publiés sur la thématique de l’apprentissage sont nombreux, et font écho à l’ambition du Président de la République d’atteindre 500 000 apprentis en formation en 2017. Cependant, les données ne progressent pas et l’on ne dénombre que 430 000 apprentis en 2014, chiffre en légère diminution malgré les campagnes d’information vantant les vertus de cette filière de formation.
Arrêtons-nous quelques instants sur ces chiffres et passons de l’autre côté du miroir : le flux majoritaire des apprentis prépare un diplôme de niveau V, c’est-à-dire BEP, CAP ou équivalent. Ils représentent 41% des apprentis en 2014 mais sont en diminution constante depuis plus de 15 ans. Le deuxième flux est celui des Bac pro (niveau IV), qui a largement augmenté ses effectifs sur la période de 2000 à 2014, pour passer de 22 à 26% des apprentis. Les niveaux suivants concernent l’enseignement supérieur et sont divisés en deux catégories : le niveau III (BTS et DUT), qui a doublé ses flux sur la même période examinée (aujourd’hui 17% des apprentis) puis les niveaux I et II, que l’on présente toujours ensemble, qui a multiplié par 4 ses effectifs sur la même période et représente aujourd’hui 15% des apprentis. Un apprenti sur trois en 2014 prépare donc un diplôme de l’enseignement supérieur, c’était à peine 1 sur 7 en l’an 2000. Faut-il se réjouir de ces statistiques, faut-il s’en inquiéter?
Nous sommes convaincus qu’il faut se réjouir de cette proportion d’apprentis dans l’enseignement supérieur, même si cet enthousiasme ne doit pas faire oublier l’importance des formations par apprentissage de niveaux IV et V. Et si l’on se réjouit, c’est à plusieurs titres. En premier lieu, chacun pourra constater à travers ces chiffres la démonstration que l’enseignement supérieur est beaucoup plus agile et ouvert qu’on ne veut parfois le faire croire. Passer de 51 000 à 138 000 étudiants qui ont choisi de préparer un diplôme de l’enseignement supérieur par la voie de l’apprentissage traduit le nombre de nouvelles formations créées ou adaptées aux modalités pédagogiques requises par cette voie de formation. Il faut donc saluer le travail des responsables de ces formations. En second lieu, ces chiffres traduisent aussi la hausse du niveau d’étude d’une classe d’âge et attestent de l’ouverture sociale des diplômes de plus haut niveau.
Pour comprendre les autres raisons de se féliciter de tels chiffres, il faut faire un zoom sur la formation des ingénieurs en apprentissage. Ils sont aujourd’hui 17300 futurs ingénieurs à avoir opté pour l’apprentissage afin d’obtenir un sésame très convoité dans notre pays : le diplôme d’ingénieur. Passons rapidement sur une polémique stérile, qui voudrait ne favoriser que les diplômes IV et V en formation par apprentissage. La France a fait le choix d’ouvrir toute la palette de ses formations à la voie de l’apprentissage et elle a raison ! Cette politique permet non seulement à un profil d’étudiants qui souhaite conjuguer vie en entreprise et vie académique de poursuivre ses études mais aussi d’augmenter le flux d’ingénieurs diplômés nécessaires aux entreprises. Autre aspect positif : la dimension sociale. On constate en effet une répartition des catégories socio-professionnelles différente entre les filières classiques et les filières en apprentissage, comme le montre une récente étude du CEREQ*. Les diplômés bac+5 des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce sortis par la voie de l’apprentissage ont des origines sociales plus diversifiées : 24% ont des parents ouvriers ou employés contre 19% en parcours classique.
Chaque apprenti est donc lié, pendant les trois années de sa formation (et les trois années sont fixées par la Commission du Titre d’ingénieur) à son entreprise. Pendant cette période longue, l’apprenti développera ses compétences dans son école et dans l’entreprise. Dans son milieu académique, il bénéficiera d’une exposition à la recherche (afin de favoriser entre autre l’innovation), d’une projection internationale et multiculturelle, d’une formation à l’entrepreneuriat, aux approches transdisciplinaires en complément d’une formation académique solide basée sur une pédagogie spécifique. En parallèle, l’entreprise lui apportera les compétences métiers et une vision de la complexité des systèmes (et il faut souligner ici le rôle déterminant du maitre d’apprentissage). En retour, l’étudiant apporte à son entreprise d’accueil toute son inventivité et son énergie pour innover et créer de la valeur. De plus, cette situation accroît la perméabilité entre l’école et l’entreprise, qui se traduit ou se traduira par un transfert d’innovation, que celle-ci soit technologique ou managériale. C’est donc toute la chaine de valeur qui en bénéficie et il faut en être satisfait.
Pourquoi insister sur les succès spectaculaires de l’apprentissage dans le supérieur, sinon pour se faire l’interprète de craintes légitimes sur l’avenir de ces formations ? N’oublions pas qu’elles sont longues (3 années) et gagent donc des ressources pluriannuelles importantes sur les fonds versés par les entreprises au titre de la taxe d’apprentissage. La réforme récente de la répartition de la taxe d’apprentissage donne beaucoup de prérogatives aux régions, qui collectent désormais les 2/3 de la part dite « quota », dédiée au financement des formations par apprentissage. Les écoles qui opèrent ces formations d’ingénieur en apprentissage ont besoin de récupérer les fonds versés par les entreprises et craignent que la perte de lien direct avec ces entreprises n’entraîne à terme des économies dans le système de financement. Un cercle vertueux s’est créé, il a permis de multiplier par 4 le nombre d’ingénieurs formés par la voie de l’apprentissage ces dernières années, créant une indiscutable valeur économique et sociale. Il ne faut surtout pas casser une dynamique qui contribue de manière significative à la compétitivité et à l’emploi dans notre pays.
Bernard Bonte
*Etude du CEREQ : Faire des études supérieures et après