Elle a conduit son université à la fusion et s’apprête à passer la main au premier président de la nouvelle université de Lille. Présidente de l’Université Lille 3, vice-présidente de la Conférence des présidents d’université, Fabienne Blaise n’en reste pas moins très impliquée dans la vie universitaire à quelques semaines de l’entrée en vigueur d’un « Parcoursup » dont les attendus restent encore assez flous.
Olivier Rollot : Présidente encore pour quelques semaines de l’université Lille 3 vous êtes également vice-présidente de la Conférence des présidents d’université (CPU). Deux bonnes raisons pour vous demander quel regard vous portez sur la réforme en cours de l’accès en licence ?
Fabienne Blaise : Jusqu’à présent nous vivions dans un système où la sélection était cachée, mais bien présente, par le tirage au sort mais surtout par l’échec. Nous entrons maintenant dans un système où, la ministre a bien insisté là-dessus, tous les étudiants auront leur place. Cela va dans le bon sens et rejoint ce que la CPU préconisait depuis longtemps. Maintenant il va falloir un peu de temps, pas seulement six mois mais quelques années, pour tout mettre en œuvre. Mais il fallait le courage d’avancer vite sinon repartait pour cinquante ans de dysfonctionnements au détriment de nos étudiants.
O. R : Cela risque d’être un travail colossal pour les universités d’examiner tous les dossiers.
F. B : La plupart des dossiers seront relativement faciles à traiter. Là où nous allons passer du temps c’est par exemple pour juger les dossiers de candidats qui veulent intégrer des filières dans lesquelles ils sont faibles. Si un futur bachelier veut absolument s’inscrire en licence d’anglais alors qu’il est nul dans cette langue il va bien falloir qu’il passe par un temps de remédiation ; il faut aussi au préalable qu’il puisse avoir une idée des secteurs qui sont plus en adéquation avec son parcours et vers lesquels il pourrait aussi d’opter de s’orienter. Quant à cet autre qui est bon en français et souhaite s’inscrire en maths il faudra lui expliquer soit qu’il serait mieux dans une filière littéraire, soit que lui aussi devra passer par une remédiation.
Dans notre université les deux filières en tension sont les sciences de l’éducation et la psychologie. Il y a encore trop d’étudiants qui croient qu’avoir de l’empathie ou un projet pour travailler dans le domaine social suffit pour réussir en psychologie alors que la première année demande avant tout un bon niveau en sciences et en statistiques.
O. R : Les professeurs de lycée, qui vont être amenés à se prononcer au premier chef sur les souhaits de leurs élèves, connaissent-ils suffisamment les filières du supérieur pour être pertinents ?
F. B : Tous les élèves ne sont pas égaux devant l’orientation parce que, justement, les professeurs du secondaire ne connaissent pas toutes les filières. Il y a longtemps qu’on parle de continuum bac-3 / bac+3 et il serait temps qu’on s’y intéresse vraiment. Il faudrait pour cela que l’université soit plus présente dans le secondaire et qu’un vrai travail en commun entre les équipes pédagogiques du secondaire et du supérieur puisse s’organiser.
O. R : Mais comment va-t-on définir les fameux « attendus » nécessaires pour intégrer une licence. Dans quelle mesure peuvent-ils être adaptés à chaque université ?
F. B : J’entends qu’on souhaite des attendus nationaux par crainte de voir des licences à deux vitesses ou complètement dérégulées. Mais dans la réalité pas une licence ne ressemble déjà complètement à une autre dans son parcours. Elles sont très diverses et il ne peut pas y avoir des attendus exclusivement nationaux. Il faudra un organe de régulation national mais nécessairement aussi des attendus locaux.
O. R : Comment allez-vous organiser le processus de remédiation qui va permettre aux étudiants qui ne les ont pas d’acquérir les attendus nécessaires à l’entrée dans la licence de leur choix ?
F. B : Il existe déjà dans les universités un certain nombre de dispositifs. Je pense en particulier au DAEU qui permet d’intégrer une université pour des personnes qui n’ont pas obtenu le bac et ont dépassé l’âge d’aller au lycée. Nous avons des MOOCs, des cours de remise à niveau, on ne part pas de rien.
O. R : C’est le grand retour de la pédagogie à l’université ?
F. B : Dans beaucoup d’universités de sciences humaines, il y a eu un réel basculement vers la recherche au début des années 2000. Auparavant la recherche était un peu considérée comme une « danseuse » et une fois que l’on a pris conscience que l’université avait besoin de ses deux jambes : formation et recherche, on a beaucoup investi dans la recherche, notamment parce que l’évaluation des enseignants-chercheurs est fondée sur la recherche. Un mouvement qui était nécessaire mais, depuis 2012, c’est la formation qui redevient petit à petit la priorité. Il faut que le balancier reparte dans l’autre sens si nous voulons rééquilibrer nos priorités vers les pédagogies. Mais il faudra aussi que les efforts que vont faire les enseignants pour améliorer nos formations soient reconnus. C’est certes plus difficile à évaluer que la recherche mais cela doit absolument être valorisé.
On ne peut plus enseigner aujourd’hui comme quand j’ai été nommée maître de conférences. Il faut se tourner par exemple vers les classes inversées, mais cela implique la responsabilisation de nos étudiants, qui sont de moins en moins autonomes. Même s’ils croient le contraire parce qu’ils savent utiliser tout seuls Wikipedia… Quand ils entrent à l’université il faut qu’ils commencent par apprendre à se servir de leur savoir.
O. R : Comment expliquez-vous cette perte d’autonomie, forcément pénalisante dans leur réussite universitaire ?
F. B : Les bacheliers sortent d’un lycée où l’enseignement est très cadré et où le bac s’obtient en recrachant dans beaucoup de domaines des connaissances sans vraiment les avoir réfléchies. Une situation dont nos collègues du secondaire sont d’ailleurs bien conscients et j’attends beaucoup de la réforme du bac qui s’esquisse.
O. R : Mais on oppose souvent autonomie et nombre d’heures de cours…
F. B : C’est aussi le cas à l’université. En maîtrise, à l’époque de mes études, il y avait très peu d’heures de cours par rapport à ce que nous délivrons aujourd’hui en master. On nous donnait des méthodes de travail et de recherche, et nous avions du temps pour rédiger notre mémoire alors qu’aujourd’hui les étudiants de master croulent sous les heures de cours. Il faudrait réfléchir au temps qu’on pourrait passer à les tutorer plutôt qu’à leur infliger des heures de cours pas toujours nécessaires à leur travail de recherche.
O. R : Avant les attendus en licence c’est l’entrée en master qui a été réformée cet été. Les résultats sont-ils à la hauteur de vos attentes ? La ministre semble avoir quelques doutes.
F. B : La réforme de l’entrée en master est la première grande réforme de ces dernières années en matière de formation. Sans elle nous ne serions pas en train de parler de la réforme de l’entrée en licence. Elle a donné lieu à un travail de concertation exemplaire de la CPU et tout s’est fait très rapidement. Le souci que nous avons rencontré cette année c’est que les rectorats, pour des raisons de confidentialité qui ne dépendent pas d’eux, ne nous fournissaient pas les dossiers des candidats mais seulement un avis. On ne peut pas faire grand-chose sans dossier ! Pour autant cela s’est plutôt bien passé dans notre université grâce au dialogue de qualité que nous avons avec notre recteur.
O. R : Le 1er janvier 2018 les trois universités lilloises n’en feront plus qu’une. On sait combien les processus de fusion peuvent parfois être douloureux. Dans votre cas tout s’est déroulé de manière satisfaisante ?
F. B : Nous avons beaucoup travaillé sur la manière de gérer nos personnels en veillant à les impliquer. Ce que nous voulons maintenant ce n’est pas une simple addition des trois universités mais une grande université qui nous permettra de gagner en visibilité et en efficacité.
J’ai été élue en 2012 en défendant ce projet de fusion qui a commencé à vraiment se concrétiser en 2014 quand l’université Lille 2 a rejoint les universités de Lille 1 et Lille 3. Trois ans pour y parvenir cela semble un délai tout à fait raisonnable. L’université de Lille avait été démantelée en 1968 en créant des situations parfois absurdes comme des formations de sociologie qu’on retrouvait aussi bien à Lille 1 qu’à Lille 3.
Ensemble nous allons pouvoir aussi bien travailler sur l’interdisciplinarité que les passerelles entre les disciplines, monter des laboratoires communs, des formations transverses, etc. Prenez l’exemple d’étudiants mal orientés qui veulent changer pour une filière qui n’était pas jusqu’ici dans la même université. Ils n’auront plus besoin de se réinscrire et cela évitera bien des échecs.
O. R : Cette fusion n’est pas d’abord liée à la volonté d’obtenir un Idex et, finalement, de l’Isite que le site lillois a décroché ?
F. B : La recherche d’un Idex a certainement encouragé certains mais, pour ma part, je ne l’avais pas en tête à l’époque où nous avons commencé à défendre l’idée d’une fusion.
O. R : Lille 3 est une université de lettres et de sciences humaines et sociales. On a pu constater à plusieurs reprises que c’étaient ces facultés qui étaient les plus opposées aux fusions. Cela n’a pas été le cas chez vous
F. B : Pas du tout. Bien sûr il y a toujours la crainte chez certains d’être « mangés » par de plus grosses universités, « mangés » par les médecins… et il y a toujours la possibilité de faire face à un président obtus. Mais dans les faits les SHS occupent aujourd’hui de plus en plus de place dans les universités avec des domaines d’excellence très bien reconnus. Dans son évaluation, le jury de l’Idex a même enjoint le site à développer la part des SHS dans notre projet