Les « edtech » françaises, les start up de l’éducation, ont besoin d’être financées. C’est la mission que s’est donnée le fonds Educapital qu’a créé en 2017 Marie-Christine Levet.
Olivier Rollot : En novembre 2017 vous avez fondé le premier fond d’investissement européen dédié à l’éducation et la formation, Educapital. Qu’est-ce qu’apporte déjà le digital à l’éducation aujourd’hui ?
Marie-Christine Levet : La dimension digitale va aujourd’hui de 3 à 99 ans, du jouet connecté à la formation tout au long de la vie (FTLV) et formation professionnelle. C’est d’ailleurs dans ce dernier segment que la digitalisation avance le plus vite dans des entreprises « apprenantes » qui veulent fidéliser et attirer pour garder les meilleurs. Elle va beaucoup moins vite dans l’enseignement primaire ou secondaire où l’accès au marché est plus compliqué , à la différence de l’enseignement supérieur , pour lequel rentrer dans l’ère de la digitalisation est une question de survie . Ce n’est pas par hasard si notre premier investissement s’est fait dans l’enseignement supérieur avec l’application Appscho qui relie les étudiants à leur école sur leur mobile. Le digital apporte la mobilité, le collaboratif. L’intelligence Artificielle avec l’ « adaptative lerning « permet une personnalisation des parcours d’apprentissage .
Avant on enseignait des métiers. Or avec la robotisation , nombreux vont être les métiers supprimés ou profondément supprimés : il va falloir former à des compétences comme l’esprit critique ou collaboratif. Et justement le digital permet d’expérimenter de nouvelles formes d’apprentissage qui mêlent présentiel et digital. C’est ce qu’on appelle le « blended learning » avec un apprentissage en vidéo chez soi, où on apprend ce qui est le plus facile, puis des cours qui permettent d’échanger et d’approfondir en groupe et avec son professeur. Le modèle de l’université américaine Minerva est passionnant à ce titre : on y suit les cours en ligne mais ensemble pour garder le lien social encore renforcé par huit voyages à l’étranger.
O.R : On parle aussi beaucoup de « personnalisation » de l’enseignement. Où en est-on ?
M-C. L. : Avec l’intelligence des data, on peut vraiment individualiser les parcours et apporter à chacun un parcours personnalisé selon ses besoins et son rythme d’apprentissage. Mais ça n’a rien de très nouveau : cette personnalisation existait bien avant, quand l’enseignement se faisait dans de petites classes de sept personnes où les élèves avaient des niveaux différents. Aujourd’hui on peut le faire sur une grande échelle avec un raisonnement par blocs de compétences. Du primaire à la formation professionnelle.
O.R : Quels sont les montants d’investissement dans les « EdTech » dans le monde ?
M-C. L. : 90% des investissements dans le monde viennent aujourd’hui des États-Unis et de Chine. On estime qu’on y a investi 3,5 milliards d’euros par an ces trois dernières années sur un marché de l’édtech de 180 milliards d’euros. C’est à la fois peu et beaucoup en progression avec des besoins considérables en Chine – 250 millions de personnes à former – et aux États-Unis le besoin de produire un enseignement moins couteux.
O.R : En France combien votre fond va-t-il investir ?
M-C. L. : Nous disposons de 47 millions d’euros que nous allons investir dans 15 à 20 sociétés avec des « tickets » qui vont de 300 000 à 2 millions d’euros et la possibilité de monter en tout à 4 millions. Nous finançons des sociétés qui sont déjà dans le post amorçage, ont déjà un produit et des clients. Appscho avait déjà signé des contrat avec beaucoup de Grandes Ecoles quand nous l’avons financée.
En tout l’Observatoire des start up de la EdTech liste aujourd’hui plus de 300 start up en France. Beaucoup sont sous financées et vivent d’appels à projets ministériels pour lesquels elles tordent leur modèle initial. Nous voulons leur assurer de la pérennité et sélectionner une quinzaine de champions européens pour ne pas laisser les GAFA s’emparer de tout le marché.
O.R : Selon quels critères choisissez-vous tel ou tel projet ?
M-C. L. : Le premier critère c’est la qualité de l’équipe. Si elle est composée de personnalités complémentaires – profils techniques et commerciaux – avec idéalement un profil pédagogique. Ensuite nous estimons la taille du marché, les besoin à laquelle la société répond, son caractère innovant et enfin la pérennité du business model. L’ergonomie et le timing sont également très importants : Airbnb n’avait rien inventé si ce n’est une ergonomie qui lui a permis de l’emporter sur de nombreux sites similaires. Nous commençons à mettre en place une communauté d’experts qui peuvent tester les produits.