Avec une hausse de 16 % des entrées en 2019 – 353 000 nouveaux contrats en 2019 contre 302 000 en 2018 – le contrat d’apprentissage connaît un succès croissant. Au 31 décembre 2019, il y avait ainsi 485 800 apprentis en France. Un succès qu’il va falloir gérer : ce 31 janvier les 11 opérateurs de compétences, les OPCO, ont pris le relais des régions dans le financement de l’apprentissage. Non sans douleur puisque de nombreux contrats sont encore « orphelins » – on ne sait pas à quel OPCO ils se rattachent – ou difficiles à traiter, notamment quand l’apprenti a abandonné son entreprise en cours de route. L’édition 2020 de l’Université d’hiver de la formation professionnelle, organisée par Centre Inffo du 29 au 31 janvier à Biarritz sur la thématique « La compétence à portée de tous ! », a donné un large écho à ces questions.
De nouveaux opérateurs. Depuis début 2019 nous passons d’un système administré à un système très ouvert avec un changement essentiel : le système de « subvention d’équilibre » des centres de formation d’apprentis (CFA) par les régions est remplacé par un financement lié au nombre de contrats signés en fonction de la demande des entreprises et des jeunes. Au travers des 11 OPCO (lire le détail sur le site de Centre Inffo) ce sont les branches professionnelles qui prennent la main. Elles ont notamment fixé, au niveau national, les niveaux de prise en charge du contrat d’apprentissage en fonction du domaine d’activité du titre ou diplôme visé.
Aux côtés des branches professionnelles deux grands acteurs émergent dans ce nouveau système : l’Urssaf, qui collectera les fonds de la formation professionnelle à partir de 2022 – on parlait initialement de 2021 -, et un tout nouvel organisme chargé de réguler le financement de l’ensemble des activités de formation continue et d’apprentissage, France Compétences, qui en assure la répartition.
L’urgence : financer les contrats d’apprentissage. Au-delà de leur constitution le sujet le plus urgent à gérer par les OPCO a été celui du financement des contrats. Pour l’OPCO EP, l’opérateur de compétences des entreprises de proximité qui sont le principal employeur des apprentis, ce n’est pas moins de 110 000 contrats qu’il a fallu transférer. « Nous sommes allées à la rencontre de 960 CFA et aujourd’hui 911 sont inscrits sur notre portail où ils déposent leurs factures dont nous vérifions la cohérence avec le contrat signé. Les premiers virements ont été effectués le 28 janvier sur les 110 000 contrats stockés », explique le directeur général de l’OPCO EP, Arnaud Muret, qui gère un budget de plus de deux milliards d’euros au service de 467 000 entreprises (dont 464 000 de moins de 50 salariés) et 4,5 millions de salariés.
Le passage de ces 110 000 contrats – plus d’un quart du total ! – aura provoqué bien des sueurs froides au sein de l’OPCO EP. En tout aujourd’hui de l’ordre de 2500 contrats sont toujours « orphelins » en raison d’un numéro SIRET erroné et souvent d’une doute sur la pérennité du contrat) pour un total de 5 000 à 20 000 pour l’ensemble des OPCO. « Nous sommes très en-dessous des 5% d’erreur que nous craignions mais nous sommes bien conscients que c’est inacceptable pour ceux qui se sentiront lésés », confie Arnaud Muret.
Développement de l’apprentissage jusqu’où ? En 2019 la hausse a été particulièrement significative dans l’enseignement supérieur : 23% d’étudiants en plus en BTS et 37% au niveau master. Si elle n’est que de 8% dans le secondaire ce n’en est pas moins une première depuis dix ans alors que ce niveau représente 60 % du total des contrats. Et c’était avant la mise en place d’une réforme qui rend les conditions d’un développement considérable de l’apprentissage encore plus favorables. Mais les OPCO pourront-ils suivre le mouvement ? Déjà les « coûts contrats » s’avèrent généralement plus généreux que les « coûts préfectoraux » pratiqués auparavant. Que se passera-t-il quand nous atteindrons les 700 000 apprentis ?
Mais attention à ne pas se focaliser sur le seul apprentissage sans scruter le nombre de contrats de professionnalisation. Car ce qui est certain c’est que la bascule du contrat de professionnalisation vers d’apprentissage a déjà largement commencé. Avant la réforme les contrats de professionnalisation étaient souvent plus simples à mettre en œuvre puisque ne dépendant pas du bon vouloir des régions. Mais plus cher pour l’employeur. Un apprenti en contrat d’apprentissage préparant un diplôme d’ingénieur en trois ans coûte en tout un peu plus de 35 000€ à son entreprise alors que le même cursus en contrat de professionnalisation monte à un peu plus de 43 300€. Avec la réforme le calcul est simple à faire pour l’employeur…
Des ouvertures de CFA simplifiées. 1 200 CFA étaient ouverts fin 2019 contre 965 avant la loi de 2018, et 350 sont encore en projet. Car il est devenu bien plus facile d’ouvrir son propre CFA. Il suffit de se déclarer comme organisme de formation auprès de sa Directte (directions régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi) et de respecter un référentiel de compétences qui sera validé a posteriori par des organismes habilités par le Cofrac. L’obtention du label Qualiopi attestera de la qualité des processus mis en œuvre par les organismes de formation. Pour les CFA déjà en activité, le délai est reporté au 1er janvier 2022.
Les entreprises peuvent ainsi mettre en œuvre leurs propres certifications en créant leurs CFA sans que les régions ou les rectorats, peu enclins à favoriser la concurrence envers leurs CFA et lycées professionnels, puissent s’y opposer. Après avoir ouvert sa Grande école de l’alternance en 2015, après avoir créé le premier CFA interentreprises des groupes Sodexo, Accor, Korian et Adecco en septembre 2019, Adecco s’apprête à lancer le CFA « Recruter » à Paris, Lyon et bientôt Bordeaux. Pour autant son P-DG, Christophe Catoir, ne « veut pas opposer CFA d’entreprises et CFA « classiques » » tout en imaginant que « des consortium de PME se réunissent pour créer des CFA ».
Avec ses 1500 alternants pour 30 000 salariés, Suez songe également à ouvrir un CFA dédié à ses métiers. Mais hésite. « Nous travaillons avec de nombreux CFA dans lesquels nos collaborateurs vont souvent enseigner. Un CFA interne serait-il plus adapté ? Il ne faudrait pas que cela affaiblisse notre démarche territoriale », remarque Laurent-Guillaume Guerra, le DRH France de Suez, qui insiste plutôt sur « l’anticipation des besoins de chaque entité du groupe pour savoir où les placer à la fin de leur contrat ».
Du côté des établissements d’enseignement supérieur la question se pose également. CY Cergy Paris Université ouvre son propre CFA pour septembre 2020. « Allons-nous monter notre propre Centre de formation d’apprentis (CFA) ? Cela semble facile aujourd’hui et permet d’ouvrir des sections dans un grand nombre de filières », s’interroge le directeur général adjoint de Grenoble EM, Jean-François Fiorina, qui reçoit aujourd’hui 700 étudiants en apprentissage et en contrats de professionnalisation
Quand la concurrence inquiète. Passer d’un monde administré à un monde concurrentiel peut se révéler très difficile. Les CFA vont devoir s’habituer à travailler autrement. A être plus commerciaux pour aller recruter des étudiants. « Il y a encore deux ou trois ans il était interdit de parler de commercial dans les CFA. Qui ne devaient pas gagner d’argent et trouvaient pour beaucoup l’équilibre uniquement avec les « subventions d’équilibre » qu’apportaient les régions. Aujourd’hui, même si la plupart resteront comme nous des associations, ils peuvent être gérés comme des entreprises et même faire des bénéfices. Mais beaucoup risquent surtout de souffrir s’ils ne s’adaptent pas », analyse Jean-Philippe Leroy, directeur général adjoint en charge de l’alternance et de l’apprentissage du Groupe IGS.
La différence se fera le prix comme sur la qualité des services offerts par chaque CFA. A Paris le CFA Codis, qui forme du bac pro au bac+5 dans le commerce, expérimente ainsi une nouvelle formule pour la formation de ses bacheliers professionnels. « Nous avons supprimé tous les cours pour les remplacer par du travail en projet co-animé par nos formateurs. Cette année ils travaillent sur la création d’une ville et cela leur permet de résoudre quantité de problèmes », établit la directrice du CFA, Caroline Costa-Savelli. Alors que les ruptures de contrat pouvaient atteindre les 20 à 25% l’absentéisme est tombé à zéro : « Nous recevons parfois des jeunes fracassés auxquels nous redonnons confiance par de nombreuses sorties, conférences et même des « voyages solidaires » au Cap Vert ou au Benin. Les entreprises reconnaissent ce travail ». L’apprentissage c’est aussi un modèle de formation différent.
- Les explications de France Compétences : Inès Jacquot, la référente apprentissage de France Compétences, raconte dans une vidéo comment la détermination des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage a été mise en place et quels sont les objectifs pour 2020.
- Lire le Dossier documentaire « Regards sur la réforme » publié par Centre Inffo.
- « Marché de l’apprentissage – Dessine-moi la réforme » : les experts de Centre Inffo, répondent à toutes les questions le jeudi 12 mars 2020 à l’occasion d’une journée consacrée à l’apprentissage de 9h00-17h00 à la MGEN, à Paris.
- A consulter : Loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ; Décret n° 2019-956 du 13 septembre 2019 fixant les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage ; Référentiel avec l’ensemble des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage