Comme ici au séminaire « vision 2021 » le passage de relais se fait en douceur entre l’actuel et la future directrice de l’IÉSEG (Photo Barbara GROSSMANN)
Le plus ancien directeur d’école de management française va passer la main à l’été 2022. Directeur de l’IÉSEG depuis presque trente ans, Jean-Philippe Ammeux passera alors le relais à celle qui est déjà sa directrice adjointe, Caroline Roussel. Leurs regards croisés sur l’IÉSEG.
Olivier Rollot : Après 28 ans à la tête de l’IÉSEG, vous allez passer le flambeau à Caroline Roussel l’été prochain. Mais pour vous, Jean-Philippe Ammeux, l’IÉSEG c’est bien plus qu’une direction d’école. C’est une vie puisque vous en êtes diplômé.
Jean-Philippe Ammeux : J’ai été nommé directeur de l’IÉSEG le 21 octobre 1994. Vingt ans plus tôt, en 1974, j’y entrais pour suivre un cursus qui durait alors quatre ans. Après mon service national, à Lille, et un DEA en économie internationale à Paris 1, je reviens à l’IÉSEG pour y être assistant et chargé de TD. En 1984, j’obtiens mon doctorat à Paris 1. En 1990 enfin, je suis nommé co-directeur des études. Au départ de Christian Bérard en 1994, le Conseil d’Administration de l’École me nomme directeur. Toute une vie effectivement au service du développement de cette institution.
O. R : Vous aussi, Caroline Roussel, vous connaissez très bien l’école avant d’en prendre la direction. Vous y êtes entrée en 2002.
Caroline Roussel : Je connais en effet très bien l’École puisque j’y ai fait mes débuts de professeur en 2002, tout en finissant mon doctorat à l’IAE Lille après un DESCF.
Je suis restée professeure en contrôle de gestion pendant huit ans. J’ai ensuite pris la direction du département de finance, audit et contrôle en 2010. Quatre ans plus tard, je me suis impliquée dans le processus « Vision » de l’École. C’est alors que Jean-Philippe Ammeux a décidé de créer un poste de direction académique, que j’occupe toujours actuellement, avec la coordination des accréditations. C’est un regard passionnant et à 360° sur l’École, qui permet de la connaitre parfaitement. En 2020 enfin, je suis devenue directrice adjointe.
J-P. A : Pouvoir ainsi anticiper la succession d’un Directeur Général est quelque chose de rare, nous aurons ainsi le temps de préparer ma succession d’ici la fin de l’année académique. En plus, Caroline aura la chance de ne pas avoir à faire ses preuves puisqu’elle les a déjà faites depuis bien longtemps.
O. R : Jean-Philippe Ammeux, parlez-nous de l’école à votre arrivée à sa direction. En 1994, nous en sommes encore aux prémices du développement des écoles de management françaises.
J-P. A : En 1994, l’IÉSEG ne compte que 600 étudiants, quand nous en recevons plus de 7 100 en 2021. En 28 ans, nous avons donc multiplié par douze nos effectifs. Quant à notre budget il est passé de 3 à 85 millions d’euros. 28 fois plus !
Pendant ces années nous avons relevé de nombreux défis. Le premier a été de rejoindre la Conférence des Grandes écoles (CGE) en 1997. Et aujourd’hui, nous faisons partie du cercle très fermé dans le monde des écoles possédant la « triple couronne » : EQUIS (obtenu en 2012), AMBA (2016) et enfin AACSB (2017).
O. R : On dit parfois qu’il y a un modèle de l’école de management à la française. Qu’en dites-vous avec vos trente ans d’expérience ?
J-P. A : Je fais de nombreux audits de business schools dans de nombreux pays et, clairement, le modèle français de la business school n’est pas le modèle standard. Alors que le modèle international est souvent soit académique (orienté recherche) soit dédié à l’enseignement, les business schools françaises savent faire les deux. En outre, la Grande Ecole à la française a une approche globale de la formation des jeunes, incluant non seulement le savoir, mais aussi le savoir-faire et les soft skills, ce qui est rare à l’étranger.
O. R : Cette reconnaissance, l’IÉSEG l’a également obtenue au travers de ses excellents classements dans la presse.
J-P. A : Là aussi, il a fallu convaincre que nous avions notre place au même titre que toutes les écoles délivrant le grade de master, après une prépa mais aussi après le bac. Et alors qu’on nous annonçait un rang médiocre, nous sommes tout de suite entrés à la 12ème place dans le classement général de l’Etudiant. Les articles de recherche publiés par nos professeurs ont fait la différence.
C. R : Nous avons aujourd’hui la capacité d’attirer des professeurs de très haut niveau. Et de les retenir ! Cette année nous avons reçu pas moins de 1 330 candidatures pour les 15 postes que nous avions ouverts. Les bons professeurs attirent de bons professeurs et de bons doctorants, du monde entier puisque nous avons aujourd’hui 48 nationalités différentes parmi nos 175 professeurs permanents. Cette internationalisation est passée par la décision de faire évoluer peu à peu tous nos cours en anglais dès 2002. Aujourd’hui, c’est le cas pour 95 % d’entre eux.
O. R : Vous parvenez à équilibrer l’enseignement et la recherche dans vos recrutements ?
J-P. A : Nous proposons un modèle équilibré de « research and teaching » qui est très difficile à atteindre. Il faut absolument produire une recherche qui soit diffusée dans l’enseignement. Ainsi on n’enseigne pas de vieilles recettes.
C. R : Cette vision d’une synergie enseignement / recherche est partagée par tous les professeurs que nous embauchons. De mi-décembre à mi-mars chaque année, après une pré-sélection rigoureuse, nous en rencontrons de trois à quatre par poste à pourvoir avec le directeur de la recherche. Nous leur présentons l’IÉSEG et ses valeurs en matière de responsabilité sociétale et environnementale (RSE), d’internationalisation, d’éthique, etc. Nous voulons des professeurs qui sont heureux d’aller dans une salle de classe. Ceux qui présentent un super CV mais ne veulent pas enseigner n’ont pas leur place à l’IÉSEG.
O. R : L’IÉSEG est totalement indépendante. C’est un élément important de son succès ?
J-P. A : Nous ne sommes pas pilotés par une chambre de commerce et d’industrie et nous n’avons pas d’actionnaires. Quant à l’État, il nous laisse une grande liberté avec un statut d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG). En résumé, le statut associatif nous permet d’être très libres. Nous travaillons ainsi pour le long terme, à 10 ans, ce qui est très difficile dans une école « for profit ».
Notre processus de décision, notamment quand nous avons décidé de définir notre « Vision », se fait avec l’ensemble de nos parties prenantes : l’ensemble des équipes administratives et des professeurs, les alumni, les étudiants et nos partenaires, notamment entreprises.
Avec tous ces profils, nous avons organisé des « learning expeditions » dans le monde entier pour comprendre ce qu’il faudrait faire. Nous avons également fait travailler l’intelligence collective en organisant plusieurs conventions réunissant plus de 300 personnes et qui ont permis à chacun de contribuer et de remonter ses idées. C’est ainsi, après 18 mois de travail en « Deep Vision », 700 entretiens et de milliers de questionnaires, que nous avons défini notre Vision pour 2025, « Empowering changemakers for a better society ».
C. R : La démarche de Vision a été puissante avec un cap commun qui réunissait tous les profils. Aujourd’hui, notre programme Grande École est transversal et fait travailler ensemble des professeurs habitués à travailler chacun de leur côté.
O. R : L’IÉSEG est aujourd’hui présente à Paris et Lille. D’autres écoles proches de vous sont en plein développement sur de nouveaux campus. Avez-vous des projets de nouveaux campus ?
J-P. A : C’est déjà très compliqué d’équilibrer l’expérience étudiant sur deux campus. Nous préférons donc rester uniquement à Paris La Défense et à Lille, où nous avons un grand chantier en cours de 11 000 m². A Paris, nous avons acheté en 2008 le socle de l’Arche de La Défense, 6 000 m², pour sept millions d’euros, avant de nous installer également dans un bâtiment de 8 000 m². Nous allons encore nous développer pour y atteindre bientôt les 20 000 m². Cette implantation à Paris était et reste nécessaire pour notre développement international et était logique alors que 55% de nos étudiants venaient déjà d’Ile-de-France.
O. R : Votre vie, Jean-Philippe Ammeux, c’est aussi la présidence de la Fesic de 2010 à 2017 et la création des établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG) en 2013. Tous ces labels sont très importants ?
J-P. A : Les positions acquises sont quasiment immuables. Il faut donc chercher des critères de qualité, que ce soit pour rebattre les cartes ou pour garantir aux étudiants un diplôme de qualité. Sinon, on risque d’assister à une explosion des « boites à fric » comme cela a été le cas dans les années 2010 aux États-Unis. S’il y a tant d’étudiants à la fois déçus de leur cursus et surendettés aux États-Unis, c’est, dans 90 % des cas, parce qu’ils sont allés dans des établissements « for profit ». Barack Obama avait commencé à réformer le système. Ensuite, le marché a régulé l’offre, les « for profit » sans valeur ont peu à peu disparu du paysage, mais cela pris du temps. En France, le rôle régulateur du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) est plus important que jamais !
O. R : Et après votre départ de l’Iéseg, Jean-Philippe Ammeux, qu’allez-vous faire ?
J-P. A : Je veux conserver une activité dans le monde de l’Enseignement Supérieur, notamment à travers le suivi des processus d’accréditations.