Elle a pris la direction de Grenoble EM l’été dernier et doit aujourd’hui affronter des vents contraires dans les classements. Pas de quoi atteindre Fouziya Bouzerda, fermement engagée dans le renouveau d’une école dont elle veut réaffirmer les fondamentaux. Entretien.
Olivier Rollot : Il y a maintenant sept mois que vous avez pris la direction de Grenoble EM. Quel bilan pouvez-vous en tirer ? Quels sont les grands atouts de GEM ?
Fouziya Bouzerda : A Grenoble j’ai découvert une pépite. Notamment en matière d’innovation. Dans mes précédentes fonctions, par exemple à la présidence du Syndicat des transports de l’agglomération lyonnaise, le Sytral jusqu’en 2020, j’ai pu innover sur des projets. Grenoble EM repose sur l’innovation permanente.
J’y ai également découvert l’importance cruciale de la recherche dans une école partenaire et fondatrice du Campus scientifique Giant avec le CEA, l’université Grenoble Alpes (UGA)… Une recherche formidable dans laquelle nous investissons beaucoup et que vient d’ailleurs de venir évaluer le Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). C’est pour nous un moteur qui pourrait être encore plus audible.
Vous parlez de nos atouts. GEM profite également de la présence tout autour d’elle de pépites industrielles. Quand on embrasse l’école, on embrasse tout son territoire. Mais être à Grenoble c’est également être au cœur d’un territoire proche de la nature et au cœur des transitions. GEM a au cœur de son ADN une exigence de durabilité mais est également ouverte, agile et possède les outils adaptés pour anticiper.
En résumé, je connaissais déjà l’école et aujourd’hui je suis emballée par tout ce que j’ai découvert. Nous recevrons les clés de notre nouveau campus de Paris dans quelques semaines, pour une ouverture en septembre 2023. Un double immeuble bas carbone et arboré qui est dans l’essence de GEM alors que notre bateau amiral grenoblois ne vieillit absolument pas.
O. R : Comment considérez-vous votre poste au sein d’une école en miroir avec vos fonctions précédentes, et notamment à la tête du Sytral à Lyon ?
F. B : Ma prise de direction de l’école est un parcours avec la création d’une chaire de transition avec l’Université Lyon 1 et des responsabilités antérieures sur l’accompagnement de l’enseignement supérieur lorsque j’étais vice-présidente de la métropole de Lyon. Le Sytral, que j’ai dirigé, a également été une expérience extraordinaire pour gérer le développement du territoire et de son attractivité avec un milliard d’euros de budget de fonctionnement annuel et une capacité d’innovation reconnu (1er métro automatique dans le monde et 1ère navette autonome dans un réseau de transport). Après plusieurs décennies, il arrivait à la fin d’un cycle. Avec le soutien d’Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, nous en avons fait un établissement public local dans la loi mobilité. Nous avons également renouvelé notre flotte de 1 000 bus (électrique, bio GNV, hydrogène vert). Nous avons élaboré un nouveau plan de développement des transports à 2040 tous modes (métro tram câble fluvial) en prenant en compte le développement des territoires.
Forte d’une culture du privé et du public, de mon expérience de responsable politique, j’ai le même état d’esprit pour GEM. GEM doit reprendre son élan et être plus audible alors que l’enseignement supérieur vit des bouleversements dont on ne voit encore que les prémices. Pendant ces premiers six mois, j’ai pu effectuer une prise de connaissance et renouveler le Comex avec l’arrivée de personnalités très fortes. Nous avons aujourd’hui les moyens de nos investissements et d’un développement serein.
O. R : GEM a perdu des places dans les classements des médias, notamment dans celui du Point où elle a perdu cinq places en un an, et il lui manque 1 000 candidats à la BCE. Comment analysez-vous ces chiffres ?
F. B : Je l’ai dit : nous devons reprendre notre élan. L’école n’était pas assez audible. Nous devons mieux mettre en avant la force de notre corps professoral, du budget alloué à la recherche, de nos 6 chaires comme la chaire Paix économique labellisée Unesco depuis février. Nous devons montrer que nous sommes resté une école pionnière qui a été la première à donner des ordinateurs à tous ses étudiants, qui a été la première école à devenir une société à mission, qui a su développer les cours distanciels en Hyflex et les donner à toute la communauté des écoles. Nous avons d’inauguré la 5ème édition d’« éco campus » avec l’Université Grenoble Alpes, France Université et la Conférence des Grandes écoles (CGE) et le même jour nous recevions à l’initiative de nos étudiants des personnalités engagées, membres de la CEC et du GIEC. Nous devons redonner à voir tout ce qui se fait à GEM. Montrer comment GEM porte l’innovation.
O. R : Comment les étudiants réagissent-il à ces baisses dans les classements ?
F. B : Nous avons eu un temps d’échange stratégique avec nos étudiants sur les classements et nos atouts. Nous sommes la première école en termes de transition et de durabilité mais ce n’est pas suffisamment pris en compte aujourd’hui dans les classements. De même notre investissement dans la recherche n’est pas forcément pris en compte dans les classements. La richesse de l’école c’est de permettre à ses diplômés de trouver un emploi épanouissant et impactant. Il ne faut pas construire son projet uniquement pour répondre aux classements.
O. R : Au-delà de la notoriété de GEM quels sujets sont fondamentaux pour vous ?
F. B : Avec l’ensemble des écoles de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) nous soutenons les classes préparatoires.
A titre personnel j’ai été engagée pendant vingt ans dans le soutien aux talents féminins. C’est un sujet de fond pour lequel nous ne nous donnons pas bonne conscience à GEM et qui passe par un travail important avec les collèges et l’organisation d’un certain nombre d’interventions et de sensibilisation à l’image de l’action des Entretiens de l’excellence.
O. R : Comment envisagez-vous la suite de votre action ? Allez-vous présenter un nouveau plan stratégique ? Où voyez-vous GEM dans cinq ans ? Sur quel positionnement ?
F. B : Nous avons réactualisé notre plan stratégique 2020-2025 en mettant en avant notre capacité à développer de nouveaux programmes, par exemple en data science, à Paris comme à Grenoble. Quand on est dans l’école depuis vingt ans, il est difficile de se rendre compte que le langage de l’école s’est dilué. Il faut le réaffirmer : GEM porte l’innovation comme aucune autre école. Elle est née comme cela et nous allons encore le mettre en avant en lançant bientôt un Institut de l’innovation.
Il faut également montrer à quel point GEM est ancrée territorialement comme à l’international. Nous devons repenser l’international en relation avec notre ADN. Nous avons misé sur la création de parcours transcontinentaux qui permettent de vivre une véritable expérience internationale.
Notre proximité avec les entreprises doit également être renforcée. Nous travaillons avec des entreprises qui sont des géants internationaux, Schneider, STMicroelectronics, pour être une solution de co-innovation. Avec Rossignol, nous venons de développer un outil pédagogique et d’expérience immersive, qui permettra de se former à la sustainability avec de vrais life cases. Un enseignement qui pourra être donné à tous nos étudiants de PGE et apporté à tous nos programmes.
Un autre de nos atouts est la géopolitique que Jean-François Fiorina avait su développer pour comprendre un monde hyper connecté. Cela permet à nos étudiants de lire et comprendre un monde forcément international.
O. R : On entend souvent que Grenoble EM connait des problèmes financiers ? Où en êtes-vous ?
F. B : La nouvelle gouvernance de l’école et de la chambre de commerce et d’industrie soutient parfaitement l’école et a confiance dans notre capacité à la développer. Le président de l’école comme le board sont engagés pour que nous reprenions notre place. Cela suppose notamment que l’école s’ouvre à son écosystème. Avec l’université Grenoble Alpes nous pouvons être plus forts tous ensemble dans le cadre d’une politique d’hybridation dont nous sommes les pionniers.
Et pour répondre plus précisément à votre question nous avons déjà su améliorer significativement les comptes de l’école en 2022. Nous sommes maintenant dans un processus d’investissements de 8,2 millions d’euros en 2023, notamment pour améliorer nos process digitaux, créer notre campus virtuel et lancer notre nouveau campus parisien. Nous sommes dans une année d’investissement grâce à la mobilisation des fonds et des financements bancaires.
O. R : Il n’y a pas de plan de départs des salariés ?
F. B : Il n’y a aucun plan de départ. Il n’y a que des départs volontaires pour régénérer l’école. Nous sommes dans une période clé et nous allons faire des choses extraordinaires.
O. R : Le départ quasiment simultané des deux dirigeants de l’école l’été 2022 – Loïck Roche et Jean-François Fiorina – a été durement ressenti. Est-ce une question dépassée maintenant ?
F. B : J’avais effectué la transition à la tête de l’école avec Jean-François Fiorina qui était un grand professionnel extrêmement lié à l’école. C’est surtout son décès qui a affecté l’école. Nous avons d’ailleurs rebaptisé de son nom notre grand amphithéâtre. Un hommage pour les 20 ans de sa vie qu’il a donné à l’école. Ce qui a traumatisé l’école c’est plus son décès que son départ qui était bien compris.
O. R : Qu’attendez-vous de la nomination de Philippe Monin comme directeur académique de GEM ? Et plus largement des nouvelles nominations ?
F. B : Philippe Monin est un professionnel reconnu, très longtemps en poste à Lyon, respecté académiquement. Il va maintenant apporter un regard transversal sur tous nos programmes – il a déjà commencé à y apporter des briques – et redévelopper notre stratégie internationale. Nous avons également un nouveau directeur des ressources humaines, Laurent Hanot, qui va travailler sur des enjeux de dynamique d’épanouissement, et des recrutements en marketing, communication, etc. Un nouveau DAF qui va aligner notre stratégie budgétaire. Le Comex est aligné avec une vraie équipe dynamique qui comprend également notre doyen, Federico Pigni, un professeur très reconnu dans les systèmes d’information.
Dans les talents sur lesquels compte l’école, je pourrais également citer Julie Perrin-Halot qui travaille à la fois sur les processus d’accréditation et sur la société à mission et Leonel Lopes en charge de notre stratégie digitale.
O. R : Une fusion avec une autre business school n’est donc plus envisageable ?
F. B : C’est un modèle d’il y a dix ans mais ce n’est pas l’avenir de GEM. Aujourd’hui nous sommes plus dans des stratégies d’hybridation avec l’université Grenoble-Alpes ou des rapprochements avec des écoles d’ingénieurs ou internationales. Grenoble EM n’est pas une école généraliste, GEM est une école hyper différenciante : aucune école de commerce ne nous ressemble. Nous sommes plus en phase avec des écoles d’ingénieurs pour former des profils hybrides. Une nouvelle génération digitale qui peut accompagner les entreprises.
O. R : C’est vraiment l’ADN de GEM que vous voulez lui redonner ?
F. B : Tout à fait. Il fallait se poser. Maintenant je suis dans le développement pour redonner une voix à GEM !