Président du Chapitre des écoles de management au sein de la Conférence des Grandes écoles, directeur général du groupe Euromed Management, à Marseille, et co-fondateur de Kedge Business school, Bernard Belletante (@belletante) est un ardent défenseur des grandes écoles de management. Ces dernières semaines, la divulgation d’éléments « à charge » d’un pré rapport de la Cour des Comptes – finalement assez mesuré, a été pour ses détracteurs, et notamment les universités, l’occasion de critiquer un système sur lequel il a voulu ’hui rétablir quelques vérités dans un entretien publié d’abord sur le blog Il y a une vie après le bac et que nous vous proposons de retrouver également aujourd’hui sur le blog d’HEADway.
Olivier Rollot : Les écoles de commerce et de management font l’objet de beaucoup de critiques, notamment sur leurs frais de scolarité, de la part des universités. Comment analysez-vous ces reproches ?
Bernard Belletante: Je trouve dommage que les universités croient toujours devoir se définir en creux par rapport aux grandes écoles. Certes elles reçoivent beaucoup plus d’étudiants que nous mais nous représentons un nombre presque équivalent de diplômés au niveau masters : 40%. Quant à nos coûts de scolarité, savez-vous que le coût estimé d’un étudiant universitaire en apprentissage est plus élevé que le nôtre ? Divisez le budget d’une université par son nombre d’étudiants et vous verrez que le coût est plus élevé que dans l’une de nos écoles. La grande différence c’est que nous allons chercher nos ressources quand les universités les demandent à l’État.
Le budget de l’enseignement supérieur a augmenté de plus d’un milliard d’euros depuis 2009. Très bien, je ne dis pas qu’il ne fallait pas le faire, chacun doit pouvoir répondre à la croissance des coûts de l’es. Mais pourquoi critiquer une hausse des frais de scolarité volontaires d’un côté et applaudir de l’autre une hausse contrainte des ressources ? On fait là un mauvais procès aux grandes écoles. Il n’y a rien de scandaleux à augmenter les frais de scolarité. D’ailleurs, si on les augmentait trop les étudiants ne viendraient tout simplement plus dans nos écoles.
O. R : Vous ne pouvez pourtant pas nier que vos frais de scolarité peuvent dissuader les étudiants issus des familles les plus modestes de postuler vos écoles. C’est même là la principale critique du rapport de la Cour des Comptes.
B. B : Dites-moi quel pourcentage de boursiers il y a dans les masters universitaires. Je pense qu’il est inférieur au nôtre. Et sur 100 élèves que nous recrutons en première année, combien amenons-nous au diplôme et à l’emploi ? Pratiquement tous. Et l’université ? Je veux bien entendre un discours sur l’égalité mais en sortie de cursus, pas seulement en entrée.
O. R : Mais aidez-vous suffisamment les étudiants à financer leur scolarité ?
B. B : Là encore il faut venir voir dans nos écoles comment nous faisons pour aider les étudiants qui ne peuvent pas payer leurs frais de scolarité, souvent parce qu’ils sont juste au-dessus du seuil des bourses. Pour eux nous avons développé l’apprentissage ou des jobs étudiants qualifiés : certains travaillent par exemple dans des cabinets d’expert-comptable. Nous adaptons même parfois la durée de leur cursus pour leur permettre de financer leurs études tout en acquérant une expérience significative, qui favorisera leur employabilité. Nous proposons également des bourses : Kedge en financera par exemple à hauteur de 1 million d’euros. Au total, nous avons aujourd’hui 28% de boursiers à Euromed Management. Notre travail c’est largement d’éviter l’autocensure de ceux qui n’osent pas venir chez nous alors que ce n’est pas un problème d’argent.
O. R : Les écoles de commerce et de management françaises sont encensées dans tous les classements internationaux. Que répondez-vous à ceux qui vous disent que c’est juste parce que vous avez plus de moyens que l’université ?
B. B : Mais que justement ce n’est certainement pas parce que nous avons de l’argent que nous sommes bons. La grande différence avec l’université qui explique notre réussite c’est notre gouvernance. Nous avons une gestion très rigoureuse grâce à l’apport de personnes extérieures à l’enseignement qui nous amènent des niveaux de compétences exceptionnels. Il faut pouvoir attirer des professionnels de l’entreprise pour diriger les écoles alors que les universités achètent la paix sociale en faisant la part belle aux personnels et aux élus. Qu’est-ce que ce type de gouvernance peut donner d’autre qu’un système fondé sur la préservation des acquis plutôt que sur la performance sociale et l’innovation ? Encore une fois ce n’est pas un problème de moyens mais d’allocations. Les coopératives sont un fantastique système mais qui conduit à la stagnation de l’entreprise et à la mise en avant des intérêts à court terme.
O. R : Vous rejetez donc, dans l’état, les projets de communautés scientifiques et d’universités tels qu’ils sont présentés dans les avant projets de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche ?
B. B : Je ne crois en tout cas pas à la neutralité de la gouvernance sur la performance de l’organisation. Aucune entreprise n’est une démocratie. Pour innover il faut prendre des risques, convaincre, agir en leader. Pour rester dans l’actualité récente, regardez l’Église catholique : sa gouvernance est manifestement obsolète. Pour répondre à tous nos défis, nous réfléchissons à mettre en place de nouvelles structures : par exemple une société anonyme à objet éducatif qui serait une structure privée répondant également à des besoins de service public.
O. R : Euromed et Bordeaux EM sont des grandes écoles qui bénéficient d’un tissu local très important et d’une notoriété internationale. Or on a parfois le sentiment que toutes les écoles de management, même dans des villes beaucoup moins importantes, tentent de se construire sur un système qui ne convient qu’aux métropoles. Quel est l’avenir des « petites » ESC ?
B. B : À Bastia, Avignon et Toulon, pour parler des villes où nous sommes implantées, nous privilégions des modèles d’école à dimension locale : pas de programme grande école mais des bachelors. C’est d’ailleurs ce qu’est en train de faire l’EM Lyon à Saint-Etienne. Il faut que les écoles répondent aux besoins de leurs territoires. Le nôtre, celui de Bordeaux, sont mondiaux avec l’industrie maritime, l’aéronautique, le vin, etc.
O. R : Bordeaux EM et Euromed sont en train de fusionner dans Kedge. Comme pour France Business School cela ne se passe pas sans certaines réticences du côté des salariés des chambres de commerce auxquels vous demandez de passer au statut associatif.
B. B : Pour un salarié la question est : si j’ai envie de travailler dans une école quelle est la meilleure structure pour assurer son avenir ? L’encadrement réglementaire propre aux chambres de commerce et d’industrie (CCI) n’est pas cohérent avec nos développements : comment recruter des professeurs internationaux dans les grilles de salaire d’une CCI ? peut-on s’installer et avoir des collaborateurs à l’étranger ? comment développer une politique d’incitation à la performance académique ? Pour autant, à Euromed où nous avons déjà changé de structure juridique – c’est encore en cours à Bordeaux EM – personne n’a été obligé de changer de statut. Nous savons en gérer plusieurs différents.
O. R : Dans ces temps où fleure bon le « fabriqué en France » n’avez-vous pas peur qu’on vous reproche un jour de privilégier le recrutement d’enseignants étrangers au détriment des Français ?
B. B : Sur deux profils équivalents d’enseignants, l’un français, l’autre étranger, je choisirai l’étranger. Pourquoi ? Mais parce que j’ai la responsabilité morale de préparer mes étudiants à la mondialisation. Et qui peut le mieux le faire : un professeur français, italien ou chinois ? J’ajoute que les enseignants français sont eux très demandés à l’étranger pour peu qu’ils puissent enseigner en anglais. Mais de toute façon il est aujourd’hui impossible d’enseigner où que ce soit si on ne maîtrise pas l’anglais. Nous aurons réussi notre mission quand un étudiant pourra être diplômé de Kedge sans avoir jamais étudié en France. Nos étudiants travaillent sur la planète. Quand 5% des Indiens arrivent au niveau bac+5 cela fait 60 millions de diplômés. Si nous ne préparons pas nos étudiants à maîtriser les techniques nécessaires à leur développement international nous sommes des assassins !
O. R : Justement, certains vous reprochent de former trop d’étudiants qui partent travailler à l’étranger au lieu de contribuer au développement des territoires dans lesquels ils ont étudié.
B. B : Mais nos territoires sont mondiaux, ils ne sont pas limités aux arrondissements de Bordeaux, Marseille ou Lyon. Même nos PME réalisent une part croissante de leur chiffre d’affaires à l’étranger et ont besoin de garçons et de filles capables de s’expatrier. Le territoire d’une entreprise aujourd’hui c’est l’international et, encore une fois, notre travail est de répondre aux besoins des entreprises pour préparer nos jeunes à l’emploi, pas d’en faire des agrégés de lettres classiques. Aucune de nos écoles ne devrait bientôt plus donner de cours en français. La maîtrise de l’anglais est indispensable et sera demain accompagnée de celle du chinois, de l’arabe ou de l’espagnol pour couvrir le monde entier.
O. R : On vous compare souvent aux instituts d’administration des entreprises (IAE), certains disent même qu’il n’y a pas l’épaisseur d’un papier à cigarettes entre la qualité de vos formations. Qu’en dites-vous ?
B. B : C’est une querelle qui ne devrait même pas avoir lieu. À l’origine les IAE se sont développés sur un modèle de recherche académique qui n’était pas celui des business schools. Depuis 1975 les business schools ont évolué pour adopter un modèle mondial quand les IAE sont restés, à l’exception notable de celui d’Aix-en-Provence, très franco-français. Nous sommes également beaucoup plus indépendantes pour rechercher nos ressources alors que les IAE semblent aujourd’hui peu à peu dilués au sein des universités autonomes. Sans parler des accréditations internationales que très peu d’IAE possèdent. Seul l’IAE d’Aix est par exemple accrédité Equis.
O. R : Parce que vous avez adopté le modèle mondial des business schools vous avez nettement accru vos efforts en matière de recherche. Dans quelles directions doit aller la recherche en management aujourd’hui ? N’est-elle pas trop souvent très théorique, sans contact avec le monde de l’entreprise ?
B. B : Notre métier a trois piliers : la connaissance, l’action, le sens. Longtemps nous avons travaillé à 100% dans la connaissance. Avec l’apparition des massively open online courses (MOOC), ces cours gratuits en ligne largement diffusés par les grandes universités américaines, notre valeur ajoutée va être de plus en plus dans l’action et la construction de compétences. Si la recherche porte à 100% sur une connaissance destinée à quelques-uns nous ne faisons pas notre métier. Elle doit être plus adaptée aux besoins des entreprises
O. R : Le développement des pédagogies est donc aujourd’hui au cœur de vos préoccupations pour continuer à rester leaders ?
B. B : Nous ne pouvons plus recruter uniquement des enseignants. Il nous faut aussi des coaches, des tuteurs, des instructeurs pour être des développeurs de talent et donner du sens par le partage d’expérience. Pour cela il faut aussi soutenir nos enseignants qui ne peuvent pas être les meilleurs partout, en recherche et en pédagogie à la fois, et auxquels on demande beaucoup pour nous maintenir au plus haut niveau. Sur cinquante-sept business schools dans le monde qui possèdent ce qu’on appelle la triple couronne, c’est-à-dire les trois grandes accréditations internationales que sont Equis, Amba et AACSB, douze sont françaises ! Il faut arrêter de tirer à boulet rouge sur un système des grandes écoles de management qui fonctionne très bien.
Propos recueillis par Olivier Rollot
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