14 000 étudiants, 300 professeurs, HEC Montréal est l’une des plus grandes école de gestion au monde. Et attire toujours plus de jeunes Français. Son directeur, Federico Pasin, revient avec nous sur son modèle et comment il se conjugue à tous les niveaux.
Olivier Rollot : Les médias français ont souvent parlé cette année de la concurrence que vous faisiez de plus en plus à l’enseignement supérieur français. Beaucoup de jeunes Français viennent à HEC Montréal ?
Federico Pasin : Nous recevons toujours de l’ordre de 10% d’étudiants français, principalement au bachelor. Des jeunes qui ont obtenu de bons résultats au bac, qui sont attirés par le caractère multilingue et international de l’École, qui sont souvent également reçus en bachelor à l’Essec comme à Oxford et que nous ne rejetons certainement pas. Ils amènent une belle diversité à notre communauté étudiante. Le rythme des études est assez différents de celui des jeunes qui ont choisi d’aller en classe préparatoire en France, qui travaillent très fort au début mais qui pourraient ensuite ralentir ensuite une fois admis dans l’école de leur choix nos étudiants déploient des efforts tout au long de leur parcours, pour exceller dans les débats, décrocher les meilleurs séjours internationaux, les meilleurs stages, etc.
Notre système permet d’accueillir les jeunes et de les faire maturer pour avoir, quatre ans de bachelor plus tard, le niveau pour intégrer un très bon emploi ou un master dans les meilleures universités mondiales.
O. R : En France on connait surtout HEC Montréal pour la qualité de ces formations de premier cycle. Pouvez-vous nous parler de vos deuxièmes cycles ?
F. P : Ce volet deuxième cycle est très important pour nous. Nous avons fait évoluer notre MBA en 2022 en donnant une part plus prononcée à la transition durable. Nous allons maintenant retravailler notre offre de DESS, MSc et masters en management, notamment pour faciliter un retour progressif aux études. En effet de plus en plus de personnes optent d’abord pour un cours ou un microprogramme avant d’aller plus loin, par exemple en passant sur un MSc. C’est le principe du Lego : l’imbrication de blocs de compétences.
Pour favoriser le développement de toute cette offre nous allons bientôt prendre possession d’un nouvel édifice dans le centre-ville de Montréal. 3 000 à 4 000 étudiants – sur 14 000 en tout dans l’école – pourront y suivre nos MBA et certains Certificats et DESS. Les autres programmes, notamment le bachelor, resteront eux sur notre campus de Côte-Sainte-Catherine.
O. R : La transformation des pédagogies est un enjeu majeur pour HEC Montréal aujourd’hui ?
F. P : HEC Montréal a toujours donné une grande importance à ces questions avec un pôle de recherche en pédagogie universitaire. Ces dernières années la pandémie nous a déjà beaucoup fait évoluer. Quelle approche devons-nous avoir entre le présentiel et le distanciel ? Les professionnels veulent à la fois pouvoir suivre des cours à distance et se retrouver pour créer des liens d’affaires.
C’est en cela que l’enseignement hybride où on passe de du présentiel à la distance selon les séances est différent du comodal où on les fait cohabiter à chaque séance. En effet, à l’usage, on a découvert que certaines matières sont très bien adaptées à un enseignement en ligne alors que d’autres le sont beaucoup moins. On a aussi réalisé qu’il est très difficile de satisfaire à la fois les gens sur place et ceux à distance. La pédagogie optimale à appliquer n’est pas toujours la même Il faut développer les cours en conséquence et laisser aux professeurs beaucoup de latitude.
Il faut aussi parfois s’adapter aux besoins des étudiants tout en s’assurant d’atteindre les objectifs d’apprentissage. Ainsi, au MBA à temps partiel où plusieurs étudiants ont des horaires exigeants et des déplacements durant les jours de la semaine, on a opté pour des cours à distance durant les jours de semaine et en classe durant les week-ends. On avait la perception qu’un programme seulement à distance ne nous aurait pas permis d’atteindre tous les objectifs. D’autant que la création d’un réseau et le travail en équipe est très important au MBA.
O. R : Pas d’entretien dans l’enseignement supérieur aujourd’hui sans la question ChatGPT. Quelle politique avez-vous décidée quant à son utilisation par les étudiants ?
F. P : Nous les laissons l’utiliser si le professeur le décide. C’est comme le passage de la règle à calculer à la calculatrice puis à Excel, cela permet d’aller plus loin. Nous l’avons même autorisé pendant un examen final avec la question « Trouvez une question pour laquelle la réponse de ChatGPT est particulièrement faible et expliquez pourquoi ». Car si on utilise l’intelligence artificielle avec les yeux fermés c’est extrêmement dangereux. L’important c’est de savoir comment on peut lui faire confiance et valider la qualité de ses réponses.
O. R : Mais cela ne pose-t-il pas des questions sur les modalités d’évaluation même ?
F. P : Si la question que nous posons à l’examen est « Quels sont les quatre P du marketing » ce n’est tout simplement pas une bonne question. Dans le monde d’aujourd’hui, le par cœur est absurde. Soit c’est une question très précise sur un sujet secondaire, soit tout le monde doit connaître le sujet. Nous devons poser des questions sur des compétences que nous voulons développer. Nous allons donc devoir nous améliorer alors que nous laissons déjà les accès Internet ouverts pour certains examens.
Aujourd’hui nous pouvons par exemple demander à nos étudiants de trouver quels sont les meilleurs aménagements d’espaces dans des usines avec un accès à tout. Nous pouvons ainsi évaluer la qualité du rendu dans des conditions de travail.
Qu’est-ce qui fait qu’un étudiant a appris à apprendre ? Ce n’est pas qu’une question de mémoire.
O. R : Dans ce cadre quelle place donnez-vous à l’expérience étudiante ?
F. P : L’expérience étudiante a beaucoup de déclinaisons, dans la classe comme en dehors. À la bibliothèque elle se mobilise en s’appuyant sur des professionnels très compétents qui permettent d’identifier les bonnes sources. Dans la vie sociale avec des services de bien-être aux étudiants que nous avons créés pour garantir la bonne santé mentale de nos étudiants, leur apprendre à bien gérer leur temps, à identifier leurs périodes de stress ; notamment pour les jeunes garçons qui ont souvent du mal à venir chercher de l’aide. C’est pour cela que nous avons créé en amont des groupes de compagnonnage qui ont pour objectif de montrer que c’est au contraire courageux d’appeler à l’aide.
En dehors de la classe nous créditons certaines activités, comme l’organisation du bal annuel qui a l’importance d’un véritable stage en termes de développement de compétences. De même nos étudiants mettent beaucoup d’énergie dans les compétitions universitaires, qu’il s’agisse de cas à résoudre, d’éloquence ou encore d’impact. Dans un classement compilant toutes ces compétitions, nous étions même 3èmes au monde en 2022, derrière la Rotterdam School of Management et la NUS BS de Singapour. Et nous prenons ça très à cœur avec des coachs qui préparent nos équipes.
O. R : Vous l’évoquiez pour le MBA. La dimension développement durable est de plus en plus importante pour HEC Montréal ?
F. P : En effet, au MBA et au bachelor il y a des cours obligatoires en développement durable. Nous voulons toutefois aller beaucoup plus loin. On vise à ce que tous les cours de base– en finance, comptabilité, marketing, logistique, etc. – possèdent un bloc significatif en transition durable. Nous avons changé de mission : aujourd’hui nous voulons former des leaders responsables.
Pour favoriser cette ambition une directrice du développement durable a été nommée – elle fait partie de notre comité de direction – comme également un responsable de la transition durable qui collabore avec les directions de programmes et les professeurs pour faire évoluer les cours.
Nous voulons également être exemplaires en tant qu’organisation. Nous mesurons notre bilan carbone selon les portés (scope) 1, 2 et 3 et appliquerons bientôt diverses mesures portant à la fois sur la réduction et la compensation pour améliorer notre bilan de façon significative. Nous formerons également notre personnel pour qu’il soit très performant sur ces questions. Nous devons gérer notre impact sociétal avec la même rigueur que celle des normes comptables.
O. R : L’enseignement supérieur a un rôle particulier à jouer dans ces questions ?
F. P : Nous devons bien prendre garde à ne pas laisser la place à des charlatans qui n’ont aucune retenue. Les professeurs doivent répondre présents et ne pas avoir peur de s’engager sur ces questions et ce même s’ils ne sont pas certains à 100% de leur réponse. Au pire, si de futures analyses font évoluer les conclusions, on rectifiera le tir.
O. R : Cette volonté de réduire votre impact carbone se retrouve-t-elle dans votre politique d’investissements ?
F. P : Notre politique d’investissement a des objectifs précis en termes d’empreinte carbone. On vise à obtenir une empreinte carbone plus basse que celle obtenue par un portefeuille TSX canadien (l’équivalent du CAC 40 français) auquel on a retiré tous les titres liés au pétrole. Au lieu de réfléchir en fonction de convictions quasi religieuses nous préférons fixer des cibles très ambitieuses et laisser aux gestionnaires le choix des moyens pour y parvenir. En voulant donner l’exemple on s’aperçoit de toute la complexité qu’il y a à former pour demain.
O. R : Quel montant de fonds gère votre école ?
F. P : Aux alentours de 650 millions de dollars canadiens (350 millions d’euros environ) avec différents sous-ensembles : pensions des salariés, fondation, etc.
O. R : Au-delà de partager un nom commun, HEC Montréal est-elle proche des autres HEC, de Paris ou Lausanne ?
F. P : Avec HEC Lausanne nous sommes partenaires dans l’alliance universitaire QTEM (Quantitative Techniques for Economics and Management), mais nous n’avons pas de relations étroites avec HEC Paris. C’est d’ailleurs avec ESCP et emlyon que nous avons un double diplôme.