Les chiffres clés du logement étudiant (Source : Fédération nationale des agences d’urbanisme Logement étudiant : observer pour décider)
On le sait, le manque de logement étudiant, son coût, posent des difficultés croissantes. Mais le logement étudiant c’est aussi un univers en mutation. Pour la quatrième fois le Cnous et l’école des Arts Décoratifs organisaient le 21 mars une journée de réflexion intitulée « Vers de nouvelles formes de résidences universitaires ». Une journée de discussion « plaçant la santé mentale des étudiants et des agents au cœur des processus de conception ». Pendant deux ans, trois chercheuses de la chaire Mutation des vies étudiantes de l’école des Arts Décoratifs sont allées à la rencontre des résidences Crous pour comprendre ces enjeux. Des réflexions qu’on retrouve du côté de l’Arpej (Association des résidences pour étudiants et jeunes), qui possède ou gère 89 résidences qui reçoivent 13 500 jeunes, ou de la Fondation Dauphine propriétaire aujourd’hui de plus de 200 logements.
État des lieux
Chaque année le site LocService.fr effectue une étude sur le marché de la location étudiante dans le parc locatif privé français. Sur l’ensemble des demandes de locataires étudiants analysées en 2023 une majorité (59 %) recherche en priorité un studio ou un appartement T1 (une pièce). L’appartement avec une chambre (T2) est le choix de 18 % d’étudiants alors que la colocation en attire 17%. On observe un regain d’intérêt pour les studio/T1 (55 % l’année dernière) au détriment de la colocation (20 % l’année dernière). « Beaucoup d’étudiants commencent par vivre en résidence en entrant dans l’enseignement supérieur puis se mettent d’accord pour une colocation, voire du co-living avec des espaces communs et d’autres partagés », note Laurent Batsch, dont la fondation possède essentiellement des studios mais aussi de T3 ou T4 en co-living où la cuisine est en commun mais pas forcément les sanitaires.
La norme dans les résidences étudiantes construites aujourd’hui est le studio de 18 m2 équipé d’une kitchenette, d’une salle d’eau et d’un WC avec un lit 190 x 90 et des parties communes (laverie, salle de travail, de détente, garage à vélo, parfois une plaque de cuisson, des casiers) très importantes pour la socialisation des étudiants.
Toujours d’après l’étude de LocService.fr, le budget logement des étudiants est de 648 € par mois. En régions, un étudiant doit disposer d’un budget de 589 € contre 860 € en région parisienne (dans Paris-même, le budget moyen mensuel, charges comprises, s’élève à 953 €).
Le rôle moteur des Crous
Le logement étudiant est d’abord l’apanage des Crous dont le parc global comprend environ 170 000 logements. Mais leur modèle parait à beaucoup dépassé. Dans son rapport La structuration du réseau CNOUS-CROUS : forces, faiblesses et évolutions possibles du modèle actuel l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) écrit que « son organisation doit nécessairement se transformer pour mieux correspondre à l’émergence de la notion d’expérience étudiante et aux attentes nouvelles des étudiants ».
Critique, l’inspection établit également que « le modèle actuel n’est pas tenable, qui consiste à équilibrer par l’activité de logement une activité de restauration par nature déficitaire et insuffisamment financée : et donc de compenser, par les bénéfices engrangés sur une activité visant prioritairement les étudiants les plus défavorisés, le déficit d’une activité visant tous les étudiants, y compris les plus favorisés ».
71,7% des étudiants interrogés par les Crous en décembre 2023 se disent satisfaits de l’état de leur logement selon l’enquête menée deux fois par an. Autres données sur leurs logements :
- 63,1 % trouvent les loyers abordables ;
- 68,5 % apprécient la proximité avec leur lieu d’étude ;
- 79,7 % sont satisfaits de l’accueil en résidence ;
- 84,2 % apprécient l’amabilité des personnels et 84 % leur professionnalisme.
Les principaux points à améliorer concernent les équipements à disposition dans les résidences : laveries (50,3 % des étudiants peu ou pas satisfaits) salles de travail (41,3% de peu ou pas satisfaits) ou encore salles de sport (42,9% de peu ou pas satisfaits).L’insonorisation de certaines résidences (plus anciennes) reste aussi un axe de progression pour 58,2% d’entre eux.
Comment financer le logement étudiant ?
En parallèle des résidences Crous se sont développé toute une myriade d’acteurs. Peu d’entre eux, comme la Fondation Dauphine, sont directement liés aux établissements d’enseignement supérieur si on excepte un certain nombre d’Insa ou Mines Paris. La norme est plutôt des résidences partagées – dans lesquelles les établissements peuvent réserver un certain nombre de studios -, gérées ou possédés par des associations, comme Arpej ou ALJT, et des acteurs privés tels Studea (Nexity) ou Neoresid (Kaufman & Broad). « Sur un marché déprimé pour les autres constructions, de plus en plus de promoteurs construisent des résidences qu’ils peuvent ensuite revendre ou exploiter eux-mêmes sur un marché hyper tendu », note Laurent Batsch.
Vendre mais pas trop cher pour que les bailleurs sociaux puissent ensuite louer à un prix abordable. Et si être bailleur social a des avantages en termes de financement pour les bailleurs, la contrepartie est que les loyers sont plafonnés par l’État. Ce qui pose bien des problèmes en période d’inflation galopante. « Aujourd’hui nous prenons sur nos réserves pour ne pas augmenter trop les loyers mais cela ne peut pas durer trop longtemps », s’inquiète Anne Gobin, la directrice générale de l’Arpej.
N’étant pas bailleur social, la Fondation Dauphine pratique quant à elle un tarif intermédiaire soit 700€ par mois hors APL. « Nous avons logé les actifs de la Fondation dans deux résidences dont nous sommes propriétaires, l’une à La Défense avec 55 studios a été ouverte en 2017, l’autre à Saint-Ouen avec 159 autres en 2023. Les deux sont gérées par des associations », détaille Laurent Batsch qui a investi respectivement 1,8 M€ et 5 M€ dans chaque projet tout en empruntant le reste : « A Saint-Ouen nous avons emprunté 10 millions d’euros que nous rembourserons en 20 ans loin des 80 ans pratiqués dans le logement social ».
De la nécessité des espaces communs
A Cachan et Paris Saint-Jacques les Crous gèrent deux résidences qu’on peut appeler « classiques » – la première avec 220 petites chambres de 9 m2, dans l’autre des chambres jusqu’à 18 m2 de superficie – mais sans cuisine dans les deux cas. « D’un côté les étudiants disent souvent être demandeurs de studios tout équipés, donc de cuisines, car les cuisines collectives sont souvent prises d’assaut le soir et pas toujours faciles à nettoyer, de l’autre ils apprécient cet espace qui les amène à mieux se nourrir et est également un moyen de socialisation », note la designer Agathe Chiron, titulaire de la chaire Mutation des vies étudiantes de l’école des Arts Décoratifs.
Une cuisine qui est d’abord un espace commun et donc un puissant levier contre l’isolement social et le sentiment de solitude pour des étudiants loin de chez eux, et souvent très loin quand ils sont étrangers. D’où la nécessité de créer également des espaces communs de travail dans les résidences car « c’est motivant de travailler ensemble », disent les étudiants interrogés. « La polyvalence des chambres est subie. Les étudiants préfèrent avoir une chambre dédiée aux loisirs et au repos, une vraie chambre, avec par ailleurs des espaces communs pour manger, travailler et aussi se rencontrer », souligne la chercheuse, qui parle de « décongestionner la chambre ». Certains étudiants regrettent même d’être logés dans des studios sans espaces communs ! D’autant que, hors APL, le coût annuel d’un studio de 18 m2 est de plus 3 300 € par an plus important qu’une chambre de 9m2 sans sanitaire. « Attention à pas généraliser mais à proposer différentes typologies de logement selon les besoins de chacun et surtout son âge. Quand on sort de chez ses parents on a sans doute plus besoin de sanitaires collectifs que deux trois ans plus tard quand les revenus augmentent et qu’on veut vivre en couple », analyse Marion Serre, architecte au sein de la chaire, qui note également que « le fait de pouvoir travailler pour un Crous permet de ne pas être perturbé par des déplacements trop nombreux et sources d’échecs universitaires ».
Accompagner le vivre ensemble
Les espaces commun peuvent être sources de tensions, notamment quand les cuisines collectives sont mal nettoyées. « Il faut que les cuisines ne soient partagées qu’entre 15 ou 20 étudiants, qui se connaissent et s’autorégulent, pas 50 qui ne se connaissent pas », remarque encore Marion Serre. Car ce n’est pas facile de vivre pour la première fois loin de ses parents. Voire très loin. 59% des étudiants logés par l’Arpej sont ainsi étrangers. Alors qu’ils vivent dans des studios de 18 m2 pour la plupart, tous équipés de cuisine, leur accompagnement est au cœur des missions de l’Arpej. Toutes les équipes sont formées à la gestion de la santé mentale et 11 travailleurs sociaux peuvent être mobilisés à chaque instant.
Et pour créer du lien l’association multiplie les initiatives. « Nous ouvrons par exemple dans ses résidences des espaces d’initiation à la biodiversité, jardins partagés, ruches, etc., dont les productions bénéficient exclusivement aux résidents. Des jardiniers viennent les former. Cela crée du lien tout en leur permettant de mieux manger », spécifie Anne Gobin. L’association mène également des actions de sensibilisation auprès de ses résidents sur le vivre ensemble et les économies d’énergie note la directrice générale : « Ce n’est pas forcément facile de motiver des jeunes qui ne payent pas leur chauffage à ne pas laisser la fenêtre ouvert et le chauffage à fond en plein hiver ».