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L’internationalisation de l’enseignement supérieur remise en question ?

HEC Montréal

La campus de HEC Montréal au Canada, l’un des pays qui réduit l’arrivé des étudiants internationaux

Alors que l’élection de Donald Trump donne des sueurs froide aux universités américaines quant à leur capacité à continuer à recruter largement des étudiants
internationaux, bien des signes avant-coureurs donnaient déjà le sentiment qu’un mouvement de restriction était engagé dans le monde en ce sens. Dernier en date le Québec a présenté le 31 octobre un moratoire jusqu’au 30 juin 2025 sur le volet « diplômés » de son Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qui permettait
jusqu’ici d’obtenir rapidement le statu d(immigrant permanent après son cursus.

Après des années de développement, à peine interrompu par la crise sanitaire, l’internationalisation de l’enseignement supérieur semble à un tournant. Principaux bénéficiaires de l’apport des étudiants internationaux les grands pays d’accueil anglo-saxons, Royaume-Uni, Canada et Australie, semblent soudainement vouloir restreindre leur arrivée. « Un nouveau mouvement semble s’esquisser début 2024, fondé sur une volonté de « pause » ou de régulation décidée par les pays eux-mêmes. Reste à savoir s’il s’agit là de mesures d’ajustement face aux problématiques de logement étudiant et des failles dans le processus d’admission – arguments fréquemment avancés – ou d’un véritable changement d’ère », s’interroge la directrice de Campus France, Donatienne Hissard dans son rapport annuel sur la Mobilité étudiante dans le monde.. La France reste pour l’instant en dehors de ces mouvements restrictifs mais une nouvelle loi immigration pourrait changer la donne. État des lieux d’un monde international universitaire qui se rétrécit pour la première fois après 30 ans d’essor.

Ces pays qui réduisent leurs visas étudiants

Plusieurs pays ont entrepris cette année de limiter l’arrivée des étudiants internationaux. Et pas les moindres. Accueillant à eux trois plus d’un quart des étudiants internationaux, l’Australie, le Canada et le Royaume-Uni ont successivement limité le nombre de visas étudiants. Le Canada, quatrième pays de destination dans le monde, vient même d’abaisser de 35 %

le plafond des délivrances de visas pour études. Depuis mai 2024, il faut détenir 18 000 euros sur son compte bancaire pour pouvoir postuler à un visa étudiant en Australie et, dès 2025, le gouvernement devrait imposer des quotas d’étudiants étrangers par matière et par lieu d’étude, « Nous pensons que l’éducation internationale est une opportunité énorme pour l’Australie. Nous sommes de fervents défenseurs de ce secteur, mais nous devons nous assurer que nous pouvons en gérer la croissance », estimait ainsi cette année le ministre du budget australien, Jim Chalmers dans son discours de présentation du budget. Un mouvement suivi en Europe par des pays moins engagés dans le recrutement des étudiants internationaux comme le Danemark, l’Espagne ou encore les Pays-Bas. Dans ce dernier pays un projet de loi envisage l’introduction d’un numerus fixus pour les programmes de niveau licence enseignés en anglais. En Espagne un tout nouveau examen d’accès devrait prouver le niveau en espagnol des étudiants internationaux.

Coût du logement et immigration clandestine en ligne de mire

Si ces gouvernements veulent réduire l’arrivée d’étudiants internationaux c’est d’abord pour réduire la pression locative que connaissent leur propres étudiants. Le gouvernement australien a ainsi promis d’autoriser les universités à dépasser leurs futurs quotas si et seulement si elles construisaient de nouveaux logements.

Autre grief : trop d’étudiants internationaux utiliseraient leur séjour comme un processus d’immigration. Au Royaume-Uni la suppression du visa de travail post-études a ainsi été envisagée avant d’être abandonnée, le Comité consultatif sur les migrations (MAC) estimant dans un rapport publié en mai 2024 qu’il fallait au contraire le conserver dans sa forme actuelle. Ce qui n’empêche pas d’autres restrictions. Depuis janvier 2024, les étudiants internationaux étudiant au Royaume-Uni ne peuvent plus emmener de personnes à charge avec eux sur leur visa d’étudiant britannique. L’exception à cette règle concerne les étudiants suivant des cours de troisième cycle qui sont actuellement désignés comme des programmes de recherche. Le ministère de l’intérieur a également décidé que les étudiants internationaux ne pourraient plus échanger leur visa contre un visa de travail avant la fin de leurs études. Le Canada interdit quant à lui aux conjoints des étudiants internationaux de prendre un emploi sur son sol.

Les universités défendent l’apport des étudiants internationaux

Ces profonds revirements de politique universitaire sont contestés par la plupart des universités. « Les mesures désordonnées prises par le gouvernement fédéral au cours de l’année écoulée pour réduire le nombre de permis d’études internationaux menacent cette partie vitale de l’économie canadienne. Les étudiants étrangers enrichissent les salles de classe et contribuent au financement de l’éducation canadienne. Les récents changements de politique nuisent à notre capacité d’attirer les talents dont nous avons besoin pour l’avenir, enfoncent les universités dans le déficit et nuisent à la capacité concurrentielle du Canada », dénonce le président de Universities Canada, Gabriel Miller, dans une tribune. S’il concède que « l’objectif du gouvernement fédéral de mieux gérer le nombre de permis d’étudiants étrangers est compréhensible, étant donné la nécessité d’équilibrer les facteurs économiques et sociaux tels que la disponibilité des logements et la capacité du système d’immigration », cet équilibre ne « doit pas se faire au détriment des talents internationaux dont nous avons besoin ».

Un apport pourtant décisif à leur économie

Ce revirement des gouvernements anglo-saxons est d’autant plus étonnant que l’apport de leur enseignement supérieur à leurs économies est extrêmement important. De nombreuses universités britanniques risquent aujourd’hui la faillite sans l’apport d’étudiants internationaux qui versent des frais de scolarité beaucoup plus importants que ceux des Britanniques. Le rapport du Comité consultatif sur les migrations soulignait ainsi que « si le gouvernement devait restreindre la voie d’accès de manière significative, il ne devrait le faire qu’après s’être attaqué au modèle actuel de financement de l’enseignement supérieur, qui entraîne une dépendance à l’égard des frais d’inscription des étudiants étrangers ». Un sujet entendu par le gouvernement qui vient d’accorder aux universités britanniques la possibilité de faire passer leurs frais de scolarité de 9250 à 9 535 livres en avril 2025.

Selon une étude menée par le Times Higher Education, les étudiants britanniques ne représentent ainsi qu’un peu plus de la moitié des revenus de scolarité des universités britanniques. Plus fort encore, l’enseignement supérieur est le quatrième secteur d’exportation en Australie, représentant entre 15 % (Université d’Australie-Occidentale) et 47 % (Sydney) des revenus totaux des universités. En tout l’enseignement supérieur australien représente un revenu de 48 milliards de dollars australiens (32 milliards d’euros) chaque année et a formé trois millions de personnes du monde entier au cours de la dernière décennie.

Une opportunité pour d’autres pays ?

La tentation de repli de certains pays « a déjà commencé à modifier sensiblement les choix de destination. Les grands pays d’accueil qui maintiennent leur modèle ouvert pourraient en bénéficier », analyse Donatienne Hissard. Pour être plus attractive, l’Allemagne a ainsi annoncé vouloir doubler la part de diplômés internationaux qui choisissent de rester dans le pays après leur formation pour faire face à la pénurie de main d’œuvre qualifiée. A la fois premier pays d’accueil des étudiants internationaux dans le monde et plus faible parmi eux en proportion de son nombre total étudiants, les États-Unis pourraient-ils être les grands bénéficiaires de cette limitation d’accueil des autres pays anglo-saxons ? La baisse commencée avant la pandémie sous la présidence Trump (-14 % en cinq ans) se poursuivait en tout cas jusqu’à 2021.

D’autres pays sont en forte progression. La Turquie, qui était le 13ème pays d’accueil des étudiants internationaux en 2016, arrive à la 8ème place et a dépassé en 2021 le Japon qui arrive 9ème. Avec la plus forte croissance en cinq ans et un nombre d’étudiants accueillis qui a plus que doublé (+155 %), la Turquie pourrait bientôt figurer dans le top 5 des pays d’accueil. Aure pays en forte progression la Corée du Sud est passée de la 18ème à la 11ème place en ayant presque doublé le nombre d’étudiants accueillis (+92 %) depuis 2018.

Où en est la France ?

La France conserve sa 6ème place des pays d’accueil entre le Canada et la Chine. En 2023-24, 430 466 étudiants étrangers étaient inscrits dans l’enseignement supérieur français, ce qui représente une augmentation de 4,5 % par rapport à l’année précédente selon Campus France. On observe un regain des mobilités des étudiants en provenance d’Asie-Océanie, après une stagnation l’année précédente. Si tous les types d’établissements ont vu leurs effectifs internationaux augmenter, ce sont les écoles de commerce qui enregistrent la plus forte progression : +11%.  En tout 14% des étudiants dans l’enseignement supérieur français sont internationaux. « L’effet rattrapage du COVID s’estompe, et la France, comme les autres grands pays d’accueil, poursuit sa croissance des mobilités », analyse Donatienne Hissard.

Comme en 2022-23, le Maroc, l’Algérie, la Chine, l’Italie et le Sénégal demeurent les principaux pays d’origine. Bien que le Maroc reste en tête, le nombre d’étudiants marocains inscrits en France diminue (- 4 %) pour la deuxième année consécutive, confirmant une érosion de l’attractivité de la France dans ce pays, tandis que l’Algérie, en deuxième position, connaît une hausse de 7 %. Le nombre d’étudiants chinois en France, en troisième position, enregistre une croissance de 6%, chiffre en rebond après la période de restrictions et de fermeture par la Chine de ses frontières pendant la crise Covid.

Si les universités continuent d’accueillir la grande majorité des mobilités entrantes (64 %), suivies des écoles de commerce (14% ) et des écoles d’ingénieurs (7%), les écoles de commerce constituent les établissements ayant connu la plus forte croissance d’étudiants internationaux : +80 % en 5 ans. « Les business schools françaises jouissent d’une excellente réputation internationale. Le classement du Financial Times témoigne très bien de cette image d’excellence avec, dans son dernier classement des Masters in Management, 15 écoles de commerce françaises parmi les 50 meilleurs établissements mondiaux ! L’offre de programmes explique aussi notre succès. Les écoles françaises ont une grande capacité à faire évoluer leur offre en fonction des besoins du marché et des défis actuels comme l’intelligence artificielle ou la transition écologique », analyse Delphine Manceau, la directrice générale de Neoma BS, qui met en garde : « Ne nous endormons pas sur nos lauriers et sur cette hausse de 11%. D’autres pays font des efforts considérables pour accueillir des étudiants internationaux et en attirent de plus en plus : l’Allemagne, la Turquie, les Pays-Bas, la Corée du Sud… La France doit travailler pour maintenir sa 6ème place par le nombre d’étudiants internationaux accueillis et attirer de plus en plus d’étudiants d’excellence émanant du monde entier ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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