Amel Hammouda, directrice générale de l’association Article 1
C’est l’association leader dans le soutien à l’égalité des chances. Article 1 va bientôt fêter ses 20 ans. Entretien avec Amel Hammouda, sa directrice générale.
Olivier Rollot : Article 1 va bientôt fêter ses 20 ans. Pouvez-vous revenir avec nous sur son histoire et son action ?
Amel Hammouda : Article 1 est née de la fusion en 2017 des associations Passeport Avenir, créée par Benjamin Blavier, et Frateli par Boris Walbaum afin de développer les mêmes leviers d’action pour aider les jeunes de milieux populaires du lycée au premier emploi. Notre mission est de lutter contre les inégalités et aider les jeunes des quartiers populaires à avoir accès à un large champ des possibles, à surmonter l’autocensure et leur permettre de réussir leurs études et s’insérer dans la vie professionnelle. Et pour y arriver, nous devons également sensibiliser les entreprises comme les établissements d’enseignement supérieur.
Notre action s’articule autour de trois grands axes. D’abord donner aux jeunes accès aux informations pour bien s’orienter dans l’enseignement supérieur en les aidant par exemple à maitriser les stratégies d‘orientation sur Parcoursup. Ensuite les inciter à s’autoriser à aller plus loin, à ne pas se censurer en les aidant à se projeter au-delà de leur environnement proche, qu’il s’agisse des quartiers prioritaires de la ville (QPV), des milieux ruraux ou extra-marins, dans lesquels ils ne trouvent pas toujours de modèle de parcours d’excellence. Enfin, les accompagner tout au long de leurs études pour les aider à résoudre des problèmes, comme l’accès au logement. Toute une action qui débouche sur un accès au monde professionnel pour lequel nous les avons aidés à constituer leur réseau.
O. R. : Vous parlez de censure en amont mais ensuite il faut pour ces étudiants issus de quartiers populaires pouvoir s’intégrer dans des milieux qui ne les attendent pas forcément. Ou même les rejettent…
S. H. : Pour ces jeunes, c’est effectivement un parcours du combattant qui se poursuit une fois dans l’enseignement supérieur pour accepter le regard sur soi puis trouver les bons stages, le bon séjour à l’étranger. Il ne suffit pas que la porte soit ouverte et c’est pour cela qu’Article 1 accompagne les étudiants dans tous les aspects de leur vie, pour les soutenir face à la pression qu’ils vont ressentir ou pallier leurs difficultés.
O. R. : Ces dernières années Article 1 a totalement changé de dimension !
S. H. : La fusion nous a permis d’investir dans le digital pour connecter les jeunes à plus de mentors. Au départ, nous touchions 2 000 jeunes par an. Nous passons à 20 000 en 2021 et 45 000 aujourd’hui dans le cadre de l’opération « 1 jeune 1 mentor ». Dans le même temps, nous avons également triplé nos effectifs avec aujourd’hui 182 salariés et 17 millions d’euros de budget. Il ne s’agit plus pour nous de supporter quelques modèles de réussite mais d’avoir une action beaucoup plus profonde sur l’égalité des chances. Sur la plateforme Demain1.org tout jeune qui le souhaite peut ainsi demander à entrer en contact avec un mentor. De plus, nous avons créé des antennes dans toutes les régions de France, en Guadeloupe et à la Réunion.
O. R. : Qui sont vos mentors ?
S. H. : Ce sont des professionnels en activité, mais également des retraités, qui souhaitent accompagner les jeunes dans le cadre d’un binôme que nous créons, qui se nourrit naturellement et apporte un accompagnement à la carte en fonction des besoins du mentoré. Et c’est une relation qui va dans les deux sens car les mentorés apportent également beaucoup à leurs mentors.
O. R. : Ces mentors viennent essentiellement des entreprises partenaires d’Article 1 ?
S. H. : Il y en a beaucoup, mais ce sont aussi des initiatives individuelles dont celles d’anciens mentorés qui deviennent à leur tour mentors.
O. R. : Quelles sont ces entreprises partenaires ?
S. H. : 130 entreprises nous soutiennent aujourd’hui via du mécénat pour des actions de sensibilisation. Nous travaillons également avec les services des ressources humaines sur des ateliers de recrutement inclusif et les types de discrimination que peuvent rencontrer les jeunes. Nous leur faisons également comprendre quelles soft skills particulières ont pu acquérir les jeunes des quartiers populaires dans leur vie personnelle ou à travers leur engagement.
O. R. : Quelles relations entretenez-vous avec les établissements d’enseignement supérieur ?
S. H. : Nos équipes sont chargées de créer des relations de proximité avec ces établissements afin de présenter à leurs étudiants ce qu’est le mentorat et ce qu’il peut leur apporter en termes de confiance en soi. Nous constatons que c’est la modalité de recrutement la plus efficace qui nous apporte énormément d’inscrits et des jeunes très motivés. Nous nous positionnons comme un acteur complémentaire, un partenaire des établissements du supérieur.
O. R. : Ces dernières années vous n’avez pas le sentiment que les questions d’égalité des chances ont été moins en haut de l’agenda politique qu’elles ont pu l’être auparavant ?
S. H. : C’est effectivement un sujet qui n’est pas en haut des agendas politiques mais nous espérons qu’il le redeviendra. Derrière les questions de diversité, il y a beaucoup de critères à prendre en compte, sociaux, hommes / femmes ou encore ethniques sur lesquels on n’a pas de statistiques en France.
O. R. : Est-ce le signe que l’égalité des chances progresse ?
S. H. : Non, cela ne s’est pas vraiment amélioré même si beaucoup d’actions ont été lancées dans les Grandes écoles. L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire montre ainsi que seulement 20% des jeunes des quartiers populaires intègrent l’enseignement supérieur ; ce chiffre monte à 63% dans les quartiers favorisés. Des chiffres publiés par Les Échos Start ont également démontré combien l’orientation restait un sujet de reproduction sociale.
Nous voyons même des régressions quand des internats ferment dans des classes préparatoires, quand des étudiants sont obligés de travailler pour financer leurs études et manger à leur faim.
O. R. : On entend souvent dire que les dispositifs d’apprentissage permettent à des jeunes défavorisés de poursuivre des études qu’ils ne pourraient sinon pas financer. Est-ce bien le cas selon vous ?
S. H. : Nous n’en sommes pas convaincus. A contrario, la nécessité de trouver une entreprise joue contre les jeunes qui n’ont pas de réseau. En novembre, faute d’avoir trouvé d’entreprises, beaucoup sont ainsi obligés d’arrêter leurs études.
O. R. : In fine, comment aidez-vous vos mentorés à trouver un emploi ?
S. H. : Nous avons développé plusieurs dispositifs en leur proposant de travailler avec un mentor qui a les mêmes types d’expérience professionnelle que celles auxquelles ils aspirent. Quelle entreprise viser ? Comment rédiger CV et lettres de motivation ? Ce sont les premières clés du succès avec des ateliers dédiés. Nous leur proposons également régulièrement de visiter nos entreprises partenaires pour construire leur réseau.