L’Isep c’est aujourd’hui l’école qui monte au point d’avoir dépassé des poids lourds, comme Supélec, dans le dernier classement de L’Usine nouvelle et de projeter de faire passer ses promotions ingénieur de 200 étudiants à 280 en 2018. A quelques mois de l’ouverture de ses nouveaux bâtiments à Issy-les-Moulineaux, Michel Ciazynski, son directeur général, nous parle d’une école qui mise sur le numérique et l’international.
Olivier Rollot : Vous avez spectaculairement progressé dans le dernier classement des écoles d’ingénieurs de l’Usine Nouvelle en vous classant 14ème alors que vous étiez 82ème en 2013. Comment expliquez-vous cette progression?
Michel Ciazynski: L’école n’a pas changé tant que ça d’une année sur l’autre mais les critères nous sont plus favorables, notamment parce que le budget rapporté au nombre d’étudiants n’est plus pris en compte. Même si nous faisons de la recherche, nos budgets sont sans commune mesure avec beaucoup d’autres écoles et nous étions clairement défavorisés. De plus nous sommes cette année classés au sein des écoles post prépas et non plus dans les écoles postbac. C’est plus logique dans la mesure où, même si nous bénéficions de classes préparatoires dédiées au sein du lycée Stanislas, nos deux premières années ne sont pas intégrées à notre cursus. Enfin des critères comme l’insertion professionnelle de nos étudiants – excellente dans le numérique – et la place donnée à l’international nous avantagent.
O. R : Vous avez même créé en 2012 un cycle intégré international qui connaît un vrai succès.
M. C : Ce cycle a doublé ses effectifs (67 élèves contre 30 en 2012) et devrait bientôt atteindre et dépasser les 80. Il correspond à des élèves qui n’ont pas forcément le profil pour entrer en CPGE. Les prépas ne conviennent pas à toutes les intelligences : elles donnent de grandes qualités scientifiques mais préparent moins bien au travail en équipe. Nous avons voulu différencier nos recrutements avec ce cycle dont les enseignements sont répartis à égalité entre les sciences, les technologies et la technique et enfin les humanités. Parce qu’il a une finalité internationale, ce cycle comprend deux langues obligatoires (l’anglais et l’espagnol, l’allemand ou le chinois) et un une université d’été dans un établissement partenaire entre la première et la deuxième année. De plus la pédagogie est fondée, comme partout à l’Isep, sur la réalisation de projets qui permettent de démontrer l’utilité des connaissances acquises aux élèves.
O. R : L’Isep est l’une des rares écoles d’ingénieurs où les séjours à l’étranger sont obligatoires. Pourquoi ?
M. C : Mais parce que c’est ce que recherchent aujourd’hui les recruteurs : des ingénieurs préparés à travailler dans un environnement international. Pas forcément à l’étranger mais dans un environnement international. Les étudiants qui entrent dans notre cycle ingénieur commencent donc par effectuer un premier semestre à l’étranger et auront en tout deux ou trois expériences à l’international. Tous les cours de dernière année et beaucoup de deuxième année cycle ingénieur sont dispensés en anglais avec, à la sortie, un niveau moyen de 865 au TOEIC pour nos diplômés. Aujourd’hui nous sommes une école du numérique internationale.
O. R : Vous attirez également beaucoup d’étudiants étrangers ?
M. C : Nous avons signé un accord avec Stanford et 40 de leurs étudiants viennent chaque année ce qui permet beaucoup d’échanges avec nos élèves même si nous devons leurs dispenser des cours strictement comme aux États-Unis. Ce partenariat si prestigieux nous a ouvert d’autres portes comme par exemple en Chine avec la Huazhong University of Science & Technology(HUST), la cinquième meilleure université chinoise, et poussé beaucoup d’étudiants chinois à nous rejoindre. Nous recevons entre 17 et 18% d’étrangers dans le cycle ingénieurs et d’autres dans nos MSc soit, au total, 300 étudiants étrangers pour 500 à 600 Français. Parce que nous préférons les partenariats aux recrutements individuels, nous venons de signer un accord avec une prépa marocaine qui va préparer ses étudiants à intégrer l’Isep.
O. R : Il doit y avoir des pays plus demandés que d’autres. Comment sélectionnez-vous les étudiants qui ont le droit d’y aller ?
M. C : Nous avons aujourd’hui une centaine d’universités partenaires dans le cycle ingénieur et il est clair que certains pays, les États-Unis, le Canada ou en Asie, sont plus demandés par nos élèves. Nous avons même deux places dans les laboratoires de Stanford qui sont forcément réservées aux tous meilleurs de chaque promotion. Il faut aussi trouver des profils qui correspondent aux universités : l’enseignement est beaucoup plus théorique en Espagne qu’en France et le niveau à Singapour très élevé. Ailleurs vous pouvez n’avoir que trois heures de cours par semaine et croire que c’est très facile alors qu’en fait on attend de de vous trente heures de travail personnel : cela demande une bonne maturité de le comprendre.
O. R : L’Isep s’est également investie dans le développement de l’entrepreneuriat.
M. C : Nous sélectionnons 40 étudiants pour an pour un module de formation à l’entrepreneuriat. Plus tard, ceux qui ont les meilleurs projets pourront intégrer l’incubateur des Arts et Métiers ParisTech pendant 1 an après la fin de leur diplôme et 4 ou 5 créent chaque année une entreprise.
O. R : Vous le disiez, même si ce n’est pas au niveau de certaines très grandes écoles, vous avez largement développé la recherche depuis 10 ans.
M. C : Nous avons toujours fait de la recherche appliquée mais nous en faisons depuis 10 ans d’une manière plus traditionnelle, afin notamment d‘avoir des publications dans des revues internationales. Pour cela nous employons aujourd’hui 20 enseignants-chercheurs dans notre LISITE (Laboratoire d’Informatique, Signal et Image, Electronique et Télécommunication) dont quatre ont passé l’HDR (habilitation à diriger des recherches) afin de former des doctorants. Ces derniers sont formés dans une école doctorale commune à l’UPMC et Télécom Paris. C’est notamment pour développer cette recherche que nous allons inaugurer cet été 4000m2 de locaux à Issy-les-Moulineaux.
O. R : Tout cela coûte cher alors que vos moyens sont plutôt en baisse avec l’impact de plusieurs réformes…
M. C : D’un côté nous subissons une baisse de nos subventions de 15% cette année alors que nous respectons pourtant tous nos engagements pris dans le cadre de notre contractualisation en 2010. Cela revient à nous amputer de deux postes d’enseignants, que nous allons bien sur garder. De l’autre l’affectation de la taxe d’apprentissage est de moins en moins laissée à l’appréciation des entreprises alors qu’on sait que les régions, qui en prennent une part de plus en plus importante, privilégient souvent des niveaux de formation infra bac. Or les 20% d’apprentis que nous avons à l’Isep participent à l’ascenseur social. Alors que les frais de scolarité ont atteint un palier difficile à dépasser, nous allons devoir faire des économies un peu sur tout.
O. R : Impossible de parler de l’Isep sans évoquer les métiers du numérique auxquels vous préparez. Quelles nouvelles dimensions ont-ils aujourd’hui ?
M. C : S’il manque aujourd’hui 8000 à 10000 ingénieurs chaque année en France c’est essentiellement dans les métiers du numérique. Tout simplement parce que le numérique est aujourd’hui partout, dans l’aéronautique comme dans la robotique, la santé comme dans la finance, deux secteurs dans lesquels nous développons d’ailleurs aujourd’hui des parcours spécifiques. Sur la santé, nous avons travaillé avec l’Hôtel-Dieu et General Electric pour définir un programme adapté : quand un ingénieur regarde une image il voit d’abord une base de données, quand un médecin regarde la même image il pense à une maladie. L’ingénieur doit en avoir conscience et apprendre à se mettre à la place de l’utilisateur.
O. R : Et donc apprendre à travailler en équipe ?
M. C : Nous voulons plus que tout apprendre à nos étudiants à travailler en équipe et nous avons d’ailleurs mis en place un module pour expliquer comment on passe de l’excellence individuelle à l’excellence en équipe. Parmi les compétences que nous analysons la gestion des conflits est aussi très importante
O. R : Vous l’avez évoqué, vous demandez à vos étudiants de travailler en « mode projet ». Cela semble bien correspondre aux attentes de ce qu’on appelle les générations Y et maintenant Z ?
M. C : Depuis 1996 et le développement de l’apprentissage nous avons pu constater qu’une démarche « inductive » était efficace : les jeunes décrochent moins quand ils suivent un cours traditionnel s’ils voient son utilité pratique dans leur travail. La pédagogie par projet c’est ça : donner envie d’apprendre en cours pour résoudre des problèmes pratiques.