En prenant la direction d’HEC Paris le 1er septembre dernier, le Canadien Peter Todd s’est attaqué à un sacré challenge : succéder au directeur charismatique qu’était Bernard Ramanantsoa dans une école en plein succès mais dont les ressources financières sont écornées tant par la réforme de la taxe d’apprentissage que par les baisses des ressources financières de la CCI Paris Ile-de-France. Mais il est vrai que l’homme a bien des atouts pour réussir et d’abord celui d’avoir particulièrement bien réussi son passage à la tête de la business school Desautels de l’université McGill de Montréal.
Olivier Rollot : C’est sans doute un peu tôt mais avez-vous effectué un premier « rapport d’étonnement » depuis votre arrivée à la tête d’HEC Paris il y a un mois ?
Peter Todd : On parle effectivement plutôt de 90 jours pour écouter et apprendre avant de faire le point. Pour autant j’ai déjà pu apprécier l’esprit de communauté qui règne entre les étudiants, les professeurs et les alumni. Bernard Ramanantsoa a su développer cet esprit de corps tout autant que l’internationalisation de l’école. Contrairement à McGill, où il fallait transformer et changer le modèle économique, le vrai défi aujourd’hui ce n’est pas de transformer HEC Paris mais plutôt de pousser encore plus vers l’excellence.
Il faut aller plus loin dans l’international et dans la recherche pour faire partie du top 10 mondial et, pour cela, investir pour avoir les meilleurs enseignants-chercheurs au monde. Ils sont aujourd’hui 105 à HEC et il est nécessaire de passer à 120. Nos professeurs affiliés, spécialistes de leurs industries respectives, sont également au cœur de notre dispositif d’enseignement. Parce que qui dit meilleurs professeurs dit meilleurs étudiants et meilleur développement professionnel.
O. R : Mais comment fait-on pour attirer, et conserver, des professeurs de gestion dont on sait qu’ils sont très recherchés partout dans le monde ?
P. T : Au-delà des moyens financiers, il faut leur proposer de travailler ensemble dans un environnement d’excellence où ils sont entourés de leurs équipes. Ces dernières semaines j’ai rencontré nos professeurs, notamment les plus jeunes, pour évoquer leur expérience à HEC et ils ont eu l’occasion d’exprimer leur satisfaction pour leur environnement de travail.
O. R : HEC Paris a aujourd’hui 65% de professeurs étrangers. Est-ce un bon pourcentage ou en faut-il encore plus ?
P. T : Il n’y a pas de quota. L’important c’est de recruter des professeurs capables de publier dans les grandes revues de recherche mais qui ont également une vraie connaissance de l’entreprise. Par rapport à leurs homologues américaines ou canadiennes, l’une des forces des business schools françaises c’est leur proximité avec l’industrie. Celle-ci se traduit par un plus grand développement professionnel des étudiants avec de nombreux stages et, à l’arrivée, la faculté de trouver plus rapidement un emploi. Pour garder cette culture, il faut combiner le travail des enseignants-chercheurs, des professeurs affiliés spécialistes de leur secteur d’industrie et des professionnels qui viennent sur notre campus.
O. R : Quelles autres grandes différences y-a-t-il entre une business school nord américaine et française ?
P. T : Dans l’ensemble des business schools dans le monde il y a plus de similitudes que de différences : elles font toutes des MBA, de la recherche et ont de plus en plus de professeurs internationaux. Ce qui distingue vraiment HEC de ma précédente expérience, c’est que quand je voulais recevoir 600 étudiants à McGill j’en acceptais 1000. Dans le concours post prépa d’HEC, vous avez 380 admis et 379 intégrés ! Nous sommes dans un environnement où tous les meilleurs nous rejoignent !
O. R : Avez-vous vraiment les moyens de vos projets de développement alors que vos ressources tirées de la taxe d’apprentissage et de la CCI Paris Ile-de-France sont en baisse ?
P. T : Notre budget provient à 90% de nos ressources propres et de notre fondation, pour 10% de la CCI Paris Ile-de-France. Nous devons encore développer nos ressources et tout particulièrement via notre Executive Education, qui contribue pour un tiers à nos revenus, avec le lancement de nouveaux programmes innovants. Nous devons également travailler avec les alumni ou avec des entreprises comme Axa avec laquelle nous avons deux chaires.
O. R : Vous pensez à augmenter les droits de scolarité ?
P. T : Aujourd’hui on peut considérer qu’au vu de ses coûts le passage par la grande Ecole HEC est un bon investissement, mais c’est au marché de déterminer le prix. Si on augmente les frais de scolarité, il y a aura de toute façon en contrepartie une augmentation du volume et des montants des bourses d’études.
O. R : Cette année HEC s’est encore distingué dans le classement des meilleurs masters du Financial Times mais, dans les années à venir, les business schools américaines vont y faire leur entrée et être des concurrentes redoutables. Comment comptez-vous leur résister ?
P. T : Sur le marché des MBA, la concurrence est mondiale depuis longtemps mais aujourd’hui c’est le modèle du master, développé par les grandes écoles françaises, qui s’exporte et devient un nouveau référent. Dans un contexte mondial où la compétition est féroce, on ne peut de toute façon pas rester tranquilles et c’est justement bien dans la culture d’HEC de ne jamais se satisfaire de l’acquis. La compétition, c’est le métier des business schools !
O. R : La compétition que se livrent les business schools se place notamment sur le recrutement des meilleurs étudiants étrangers. Certaines de vos concurrentes ont même implanté des campus en Chine ou aux Etats-Unis. HEC peut-elle se contenter d’une extension à Doha, au Qatar ?
P. T : La moitié de nos étudiants sont étrangers et viennent des plus prestigieuses universités, comme Oxford, Princeton ou Tsinghua, pour y effectuer notamment un master après leur bachelor. A Doha notre implantation est importante au niveau de l’Executive Education. Mais les deux approches sont possibles quand on parle d’internationalisation : s’implanter ou cultiver des accords internationaux et de doubles diplômes avec les meilleures universités, comme nous le faisons activement depuis des décennies. En France, le processus qui conduit à un double diplôme est beaucoup plus développé qu’aux Etats-Unis et c’est justement comme cela qu’on forme les gestionnaires du futur.
O. R : Comment concevez vous votre travail ? Quelle proportion de votre temps comptez-vous accorder aux étudiants, aux professeures à la fondation, aux entreprises, etc. ?
P. T : La base de l’école ce sont les professeurs et les étudiants. Avec Pierre-Antoine Gailly et la CCI, avec Bertrand Léonard, le président de la Fondation, Emmanuel Chain qui préside les alumni, nous sommes une équipe. Je pense consacrer deux jours par semaine à la gestion interne de l’école, deux jours à travailler avec les alumni et les entreprises et une journée à la définition de la stratégie avec nos partenaires et la CCI Paris Ile-de-France.
O. R : HEC va bientôt changer de statut pour devenir un établissement d’enseignement supérieur consulaire le 1er janvier 2016. Quels pourraient en être les actionnaires ?
P. T : Pour commencer la CCI Paris Ile-de-France sera majoritaire et les autres actionnaires seront la Fondation HEC et les alumni.
O. R : Vous avez baptisé la faculté de gestion de McGill du nom de Desautels, un financier qui en était le bienfaiteur. Il n’est pas question d’en faire un jour autant avec HEC pour en faire, je ne sais pas, la Pierre Bellon Business school ?
P. T : Ce n’est absolument pas comparable. HEC Paris est une marque à la renommée mondiale et il manquait au contraire une véritable marque à la faculté de gestion de McGill. Un peu comme Wharton dont on ne connaît pas forcément l’université de rattachement qui est Pennsylvania University.
O. R : Parlons un peu de vous. Qu’est-ce qui vous a attiré à HEC ?
P. T : En 2013 j’avais décidé de quitter mon poste de doyen de Desautels pour passer une année sabbatique et réfléchir à de nouveaux challenges. Avec ma femme nous pensions à plusieurs directions : soit retourner à l’Ouest du Canada, dont je suis originaire, soit aller en Europe. Quand la possibilité de venir à HEC s’est présentée, j’ai tout de suite été tenté.