C’est une transition majeure dans l’univers français des écoles de management. Pour « faire face aux nouveaux enjeux de la croissance d’emlyon business school », la CCI Lyon Métropole, actionnaire de l’école, a changé sa structure juridique. Le 1er septembre 2018, emlyon business school est devenue une SA à conseil de surveillance et directoire afin de pouvoir renforcer ses fonds propres. « Notre chambre de commerce et d’industrie nous donne les moyens de préserver l’école des vicissitudes que vivent des CCI qui ne vont plus avoir les moyens de jouer leur rôle d’actionnaire dans les années à venir. Nous serons ainsi propriétaires et maîtres d’ouvrage du nouvel immeuble du centre de Lyon dans lequel l’école s’installera en 2022 », commente Bernard Belletante.
Nouvelle gouvernance. Aujourd’hui président du directoire, âgé de 65 ans et proche de l’âge limite qui lui permettait de diriger l’école, Bernard Belletante en deviendra vice-président du conseil de surveillance le 1er avril 2019. Tawhid Chtioui, aujourd’hui directeur général emlyon Africa, lui succédera alors comme président du directoire et dean. Quant à l’actuel président du conseil de surveillance, Bruno Bonnel, il le restera « tant que ses activités le permettront ».
Accueillir des actionnaires. Jusqu’à ce changement de structure juridique, emlyon était une association dotée d’une filiale en Executive Education qui était une SA. Aujourd’hui une SA est au-dessus de l’association et la SAS Executive Education détient la SCI (société civile immobilière) qui gère l’immobilier immeuble et les filiales étrangères. Il est donc possible pour un actionnaire d’apporter du capital et d’en sortir s’il le souhaite. « De 2000 à 2014 notre CCI a apporté 100 millions d’euros à l’école mais ne peut plus financer l’avenir. Pour protéger l’école nous avons besoin d’une nouvelle gouvernance », analyse Bernard Belletante.
Un capital qu’il voit s’ouvrir à de nouveaux actionnaires de « référence » (CCI, BPI, etc.), d’« engagement » (alumni et collaborateurs à hauteur de 10% chacun), de « croissance » (les actionnaires privés) et d’« enracinement » (acteurs régionaux). « On me demande pourquoi nous ne devenons pas une fondation à l’allemande. Mais le statut n’existe pas en France. Ou un trust à l’américaine. Mais là non plus ce n’est pas possible. Alors pourquoi pas faire appel à des actionnaires privés intéressés par notre vision », explique Bernard Belletante. « C’est une logique financière que nous vivons déjà avec nos partenaires qui nous aident à nous développer à Shanghai ou Casablanca », certifie Tawhid Chtioui, qui entend faire « subsister l’association pour les programmes sociaux ou le doctorat » et « ne sait pas qu’elle sera la structure idéale pour les investisseurs » tout en reconnaissant tout l’intérêt des avantages financiers qu’apporte le statut associatif.
Garantir la qualité. Réfutant par avance tout risque de perte de qualité d’une école pourtant forcément soumise à la volonté de retour sur investissement de ses nouveaux actionnaires, Bernard Belletante assène : « Nous signerons un pacte d’actionnaire qui garantira que nous restons dans les critères nous permettant de conserver nos trois accréditations internationales. Notre rentabilité s’établit à 7 ou 8% pas à 20%. A « Libération » ou au « Monde » cela s’est fait et plus personne ne s’en plaint ! Je conseillerai juste à la chambre de commerce et d’industrie de conserver une minorité de blocage ».
Sur le modèle privilégié par des fonds d’investissement toujours plus présents dans l’enseignement supérieur privé – mais qui ne seront a priori pas sollicités par emlyon – les futurs actionnaires renonceront au versement de dividendes pour privilégier la plus-value de sortie – à quinze ou vingt ans – d’une école dont le chiffre d’affaires devrait déjà passer de 100 M€ à 170 M€ d’ici 2022.
Faire face à de nouvelles concurrences. L’appel à des actionnaires extérieurs pour les financer répond, selon Bernard Belletante, à la nécessité de faire face à de nouveaux concurrentes « no schools, no universities » qui « nous demandent à quoi nous servons, pourquoi payer pour des cours qu’on peut trouver partout ». Son diagnostic : « Les écoles de management vont disparaître pour devenir des « business mediators » pour les ingénieurs et autres profils ». « Nous devrions avoir 30 à 40% de cours en commun avec les écoles d’ingénieurs mais les accréditations françaises nous l’empêchent quand c’est possible en Allemagne », regrette Tawhid Chtioui qui voudrait « passer de la logique de flotte d’écoles séparées à une logique de porte-avions emportant toutes les expertises ».
100 à 120 M€ d’investissement. D’ici à 2023 ce sont en tout 100 à 120 M€ d’investissement qui sont budgétés par l’école (pour un chiffre d’affaires de 112 M€) avec surtout la construction en 2022 d’un immeuble qui doit « devenir l’équivalent d’un stade pour une équipe de football ». Un investissement financé par un emprunt dont le remboursement ne « sera pas un souci » selon Bernard Belletante qui annonce dégager chaque année des capacités d’autofinancement, un Ebitda, de 7 à 8% du chiffre d’affaires (contre -5% à son arrivée). Depuis 2014, l’école est en effet redevenue rentable tout en versant 4,5 millions d’euros de loyers chaque année pour son campus d’Ecully et son centre Silex de Lyon. « En remboursant la même somme dans le cadre d’un emprunt pour construire notre immeuble, nous nous doterons d’un actif tangible. »
Tawhid Chtioui, 41 ans, aujourd’hui directeur général d’emlyon Africa, succédera le 1er avril 2019 à Bernard Belletante, 65 ans, au poste de président du directoire et Dean de emlyon BS. Bernard Belletante verra alors ses fonctions évoluer en devenant vice-président du conseil de surveillance de l’école. Une transition en douceur (lire ci-contre) entre un directeur qui a vécu une année corsée (polémique après la venue de Laurent Wauquiez puis sur un fichier « sexiste) et un jeune directeur d’origine tunisienne qui vient de faire la preuve de son talent en organisant la montée en puissance du campus d’emlyon à Casablanca. Tawhid Chtioui avait en effet été recruté par l’emlyon en 2016 pour relever le challenge d’une installation que n’avait pas su gérer son prédécesseur. Mission réussie : en octobre 2018 un campus de 5000 m2 parfaitement opérationnel sortait de terre en plein cœur du nouveau quartier des affaires de la capitale économique du royaume. Devant un président du directoire bluffé – « Tawhid Chtioui a la capacité de diriger une grande business school mondiale », nous confiait-il alors -, ce que vient de confirmer le président de la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Roanne, Emmanuel Imberton : « Son expertise mondiale et ses qualités d’entrepreneur permettront de répondre à nos défis ».
Tawhid Chtioui a rejoint emlyon business school en septembre 2016 après avoir présidé aux destinées de l’ICD (septembre 2014 à octobre 2016), été directeur national de l’Iseg BS, directeur exécutif de l’ISG, directeur délégué du programme Grande école et des MSc de l’Edhec et directeur des mastères spécialisés de Reims BS. Titulaire d’un doctorat en sciences de gestion de l’université de Paris-Dauphine et du « Leadership Development Program in Higher Education » de la Harvard Graduate School of Education, il est professeur de management de la performance.