Mais comment fait-il ? La fusion entre Centrale Paris et Supélec pas encore tout à fait achevée, le directeur de CentraleSupélec Hervé Biausser est également largement investi dans la création de l’université Paris-Saclay tout en pilotant le développement de Centrale à l’international. Rencontre avec un homme 24/7.
Olivier Rollot : En 2015 Centrale Paris et Supélec sont devenus un seul est sous le nom de CentraleSupélec. Aujourd’hui le chantier de la fusion est-il totalement achevé ?
Hervé Biausser : Toutes les instances sont en place et tout fonctionne même s’il reste encore beaucoup à faire. Le principal chantier qu’il nous rester à mettre en œuvre est celui du passage à un seul cursus d’ingénieur pour la rentrée 2017. Une maquette sera finie en octobre prochain pour passer d’un seul établissement avec deux diplômes à un seul cursus dont les premiers diplômés sortiront en 2020
O. R : Les cursus des deux écoles étaient assez complémentaires. Comment allez-vous parvenir à les faire cohabiter dans un seul cursus ?
H. B : Dans un premier temps nous avions imaginé rapprocher tout de suite les options de 3ème année mais c’était trop compliqué et nous allons laisser les deux cursus actuels cohabiter jusqu’à leur extinction. Le nouveau cursus unique n’en conduira pas moins à des profils plutôt Centrale ou Supélec sans qu’ils soient pour autant séparés. Il faut que nos partenaires retrouvent les diplômes auxquels ils sont habitués avec les mêmes qualités qu’auparavant. Nous ne voulons surtout pas gommer les forces des diplômés de chaque école. Toutes deux ont une très forte culture d’ingénieur avec un très fort positionnement « système » – plus « physique » à Supélec, plus « entreprises » à Centrale – avec des approches très semblables pour des fonctions assez différentes au total.
O. R : Votre autre grand chantier, au sens propre celui-là, c’est votre déménagement sur le campus de Paris Saclay en 2017. Tout se présente bien ?
H. B : La construction de nos deux bâtiments à Gif-sur-Yvette avance très bien et le gros œuvre devrait être terminé en juin ou juillet prochain. Les délais seront tenus pour une livraison au printemps 2017. Par ailleurs nous étendons la résidence universitaire de Supélec pour passer à un total de 2200 lits.
O. R : Le point noir de Paris Saclay restera encore longtemps les retards qu’y prennent les transports. Ce ne sera pas trop pénalisant pour vous ?
H. B : Les transports ne seront en effet achevés qu’à l’horizon 2023-2024. Cela signifie peut-être quelques années difficiles mais il ne faut pas se concentrer seulement sur les cinq premières années d’un projet qui va nous emmener pendant cinquante ans.
O. R : Le bilan que vient de faire le jury de l’Idex (initiative d’excellence) de Paris-Saclay, dont CentraleSupélec est membre, est mitigé avec une période probatoire prorogée de 18 mois. Comment analysez-vous ce verdict ?
H. B : Je partage l’analyse de Gilles Bloch, le président de l’université Paris-Saclay : nous montons un projet compliqué et la décision du jury ne nous surprend pas. L’important est qu’il reconnaisse le gigantesque travail que nous avons mené.
O. R : On a écrit que vous étiez les « bons élèves » de Paris-Saclay. Pourquoi ?
H. B : Depuis 2005 nous sommes persuadés que les grandes écoles et les universités ont tout intérêt à travailler ensemble. Depuis 2006 et les premières préfigurations de ce que serait Paris-Saclay nous voulions obtenir des terrains pour nous implanter sur le plateau de Saclay. Tout cela parce que notre première visite à Pékin, en 2004, nous avait fait prendre conscience de la nécessité d’être unis pour exister à l’international. Bien sur ce n’est pas facile de réunir dans un même projet des établissements qui possèdent chacun une forte identité mais il faut avancer et nous avons déjà fait beaucoup.
O. R : A Pékin puis Hyderabad en Inde et enfin Casablanca au Maroc, CentraleSupélec est maintenant implanté sur trois continents. Pourquoi investir autant ?
H. B : Avec Supélec et son directeur de l’époque, Alain Bravo, nous avons rapidement partagé la volonté de transposer à l’international ce qui faisait notre succès en France. Nous sommes dans une logique de marque et nous devons en posséder qui fonctionnent à l’international si nous ne voulons pas être seulement enfermés dans nos frontières. D’où l’ouverture de ces trois campus qui sont également une façon de participer au jeu mondial alors que le nombre d’étudiants explose dans le monde.
O. R : Pourriez-vous encore ouvrir de nouveaux campus ?
H. B : Nous n’avons pas de projet mais nous regardons l’Afrique avec beaucoup d’attention. Sa population va passer de 1 à 4 milliards d’ici 2100 et représenter ainsi les trois quarts de l’augmentation totale de la population. Le nombre de francophones dans le monde va ainsi être multiplié par trois. Cela représente de formidables opportunités pour notre enseignement supérieur. Nous sommes aujourd’hui à Casablanca mais il y aura d’autres opportunités en Afrique. Centrale Nantes est d’ailleurs en train de s’installer sur l’île Maurice et nous applaudissons toutes les autres implantations d’écoles françaises.
O. R : Le Maroc c’est l’implantation idéale pour se développer en Afrique ?
H. B : C’est un pays formidable qui possède un enseignement secondaire de grande qualité, est stable politiquement et dont le projet de développement est clair. Aujourd’hui des étudiants viennent à Centrale Casablanca de toute l’Afrique subsaharienne. Le Maroc est un hub de l’Afrique tout autant qu’une porte d’entrée vers l’Europe.
O. R : Votre modèle économique a beaucoup évolué depuis votre première expérience à Pékin. Comment financez-vous aujourd’hui vos implantations à l’étranger ?
H. B : Aujourd’hui nous sommes des fournisseurs d’ingénierie de formation. Nos projets sont équilibrés avec des partenaires pour développer notre marque et attirer de très bons étudiants sur place.
O. R : Les écoles Centrales constituent également un Groupe que vous dirigez. Comment cohabite-t-il avec les Comue et tout particulièrement celle de Paris-Saclay ?
H. B : Toutes les institutions de Paris-Saclay font partie de réseaux nationaux – Télécom ParisTech est partie intégrante de l’Institut Mines Télécom par exemple – et cela n’a rien d’antinomique avec leur appartenance à Saclay. Le Réseau des Ecoles Centrales est essentiellement orienté vers le diplôme d’ingénieur des écoles membres quand Paris-Saclay s’emploie à mutualiser des masters. La logique de Paris-Saclay n’est pas d’homogénéiser les établissements mais de renforcer les projets internationaux. Ce à quoi le Réseau des écoles Centrales peut l’aider.
O. R : C’est un sujet d’actualité : un certain nombre d’écoles d’ingénieurs pensent aujourd’hui à créer des bachelors. Cela pourrait-il être le cas de CentraleSupélec ?
H. B : Non. Il existe aujourd’hui un projet majeur de développement des premiers cycles au sein de Paris-Saclay et nous travaillerons à ce sujet avec nos autres partenaires.
O. R : Les droits de scolarité de CentraleSupélec vont passer à 2200€ à la prochaine rentrée alors qu’ils n’étaient que de 620€ en en 2014. Pensez-vous encore les augmenter dans les années à venir ?
H. B : Ils s’élèveront à 2570 euros à la rentrée universitaire 2017/2018. Ils n’augmenteront plus après. A l’image de ce qu’ont mis en place de nombreuses Grandes Ecoles dernièrement cette harmonisation fait écho aux coûts importants exigés par la mise en place d’une formation d’excellence.
O. R : Vous avez refusé de participer cette année au classement des écoles d’ingénieurs de « l’Usine nouvelle ». Pourquoi et, plus largement, quelle valeur accordez-vous aux classements ?
H. B : Nous avons échangé à ce sujet avec « l’Usine Nouvelle » pour leur expliquer notre point de vue, celui de ne pas voir les données relatives à notre recherche divisée en deux, en fonction des deux cursus ingénieurs proposés actuellement par CentraleSupélec.
Les classements sont importants parce qu’ils constituent un des éléments de choix des élèves pour aller dans telle ou telle école ou université. Répondre à ces classements demande un investissement important, d’autant plus, qu’en tant qu’établissement de rang mondial, il nous faut nous positionner dans les classements internationaux.