ECOLE D’INGÉNIEURS, ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Les grandes écoles veulent peser dans les prochaines présidentielles : entretien avec Anne-Lucie Wack, présidente de la CGE

Présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE) depuis un an, directrice de Montpellier Sup Agro, Anne-Lucie Wack entend aujourd’hui rapprocher les grandes écoles des préoccupations des Français. A l’approche des élections présidentielles, elle lance une consultation qui débouchera sur des propositions concrètes. Le 12 mai elle organise un colloque à Paris pour connaître les attentes du public vis à vis de l’enseignement supérieur.

Olivier Rollot : Il y a un mois vous publiiez un sondage sur les Français et les grandes écoles. Le 12 mai vous organisez un colloque à Paris pour connaître les attentes du public vis à vis de l’enseignement supérieur. Le tout servira à émettre des propositions pour la présidentielle de 2017. Quelles nouvelles orientations voulez-vous donner à une Conférence des grandes écoles que vous présidez depuis bientôt un an ?

Anne-Lucie Wack : Nous nous sommes rendus compte que l’enseignement supérieur discute beaucoup entre pairs mais ne sait pas forcément assez ce que pensent et attendent les Français et les entreprises. D’où ce sondage qui nous a notamment appris que les Français apprécient les grandes écoles, mais manquent d’informations sur l’enseignement supérieur, jugent l’orientation stressante, mettent l’insertion professionnelle en tête de leurs priorités et pensent à 72% que les filières sélectives sont mieux reconnues sur le marché du travail.

Notre colloque va nous permettre d’approfondir le sujet et de nous positionner davantage comme un acteur « B to C » et non plus seulement « B to B » pour donner aux jeunes et à leurs familles la bonne information. Nous ferons ensuite des propositions pour la Présidentielle. Si l’on veut que 60% d’une classe d’âge soit titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur, objectif affiché dans la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur (Stranes), alors l’enseignement supérieur doit être un thème incontournable des prochaines élections.

O. R : Quels sont les freins à l’entrée dans les grandes écoles que ce sondage vous a permis d’identifier ?

A-L. W : Dans ce sondage, le premier frein à l’entrée dans les grandes écoles qu’identifient les Français est le coût des études, même s’ils estiment à 75% que les grandes écoles sont un « investissement rentable ». C’est un flagrant manque d’information quand 60% des grandes écoles – et 90% des classes prépas – sont publiques avec des droits d’inscription en école qui vont de 590 à 2700 € par an. L’amalgame avec les écoles – et les prépas – les plus chères est largement répandu. D’où un chantier que nous engageons pour que les frais soient transparents et toutes les aides et exonérations bien mises en avant. Sans oublier les 13% de nos diplômés qui réalisent leurs cursus en apprentissage et ne payent donc aucun droit tout en étant rémunérés.

Le deuxième frein est intellectuel. Si 57% des Français interrogés considèrent que « le niveau scolaire et intellectuel requis pour entrer dans une grande école est accessible », 58% des jeunes ne veulent pas intégrer une prépa quand 70% de leurs parents y sont favorables. La prépa est une voie certes exigeante, mais sûre, qui amène in fine plus de 90% des étudiants à une école, mais il faut savoir que 60% des jeunes intègrent désormais les grandes écoles par d’autres voies. Et nous sommes convaincus que les cursus en grandes écoles, parce qu’ils permettent un accompagnement, peuvent favoriser l’inclusion sociale.

O. R : Mais comment convaincre les enfants et parents issus de catégories socio-professionnelles moins favorisées que les grandes écoles leur sont favorables ?

A-L. W : C’est tout un travail en amont que nous effectuons. Les grandes écoles ont considérablement œuvré en ce sens ces dernières années en s’impliquant dans les Cordées de la réussite, et d’autres actions menées avec des associations, fondations ou entreprises, qui interviennent dès le lycée en informant et  soutenant les élèves ou en offrant des séjours linguistiques.

L’ouverture sociale dans nos écoles progresse depuis 2010, avec maintenant en moyenne 30% de boursiers sur critères sociaux. Mais les étudiants les plus défavorisés (échelons de bourses 5/6/7), ne représentent qu’un tiers de ces boursiers. Il faut donc maintenant changer d’échelle. Nous sommes par exemple en train de bâtir un programme visant à  multiplier par dix le nombre de jeunes accompagnés par l’association Passeport Avenir en allant les chercher dès la 3ème pour les accompagner jusqu’au diplôme de grande école avec des tuteurs du monde de l’entreprise. Et en travaillant en aval avec l’APEC pour favoriser leur insertion professionnelle.

O. R : Mais pourquoi se préoccuper tant de ces questions de diversité ? Après tout les grandes écoles n’ont guère de mal à recruter…

A-L. W : Les grandes écoles et classes prépas reçoivent en tout 400 000 étudiants, dont 300 000 dans les écoles, sur 2,5 millions d’étudiants chaque année en France. Un effectif en apparence limité, mais un poids lourd quand on sait que les grandes écoles représentent 40% des diplômes de grade master (bac+5) et que nos diplômés occuperont plus tard des postes de responsabilité dans les entreprises. Or la mixité sociale et la diversité dans le leadership des entreprises sont un enjeu pour le développement socio-économique du pays. C’est une question d’équité, mais aussi de bon sens et d’intérêt collectif que de puiser les talents dans l’ensemble de la population, et pas seulement la fraction qui connaît les grandes écoles ou qui s’autorise à y penser.

O. R : Au-delà même des grandes écoles votre sondage fait apparaître tout le stress lié à l’orientation.

A-L. W : Des filières plébiscitées par les élèves les emmènent droit dans le mur faute de débouchés professionnels, quand beaucoup de filières porteuses sont désertées. Il existe aujourd’hui un vrai décalage entre l’image que se font les jeunes de certains métiers et la réalité du marché, notamment dans des filières scientifiques qui pourraient attirer plus de femmes. Il faut responsabiliser les jeunes sur leurs choix d’orientation et beaucoup de bonnes choses vont aujourd’hui dans ce sens, en donnant des informations plus riches, comme sur APB cette année, ou en développant des Moocs ou des « applis » d’aide à l’orientation. D’ailleurs nous avons engagé un travail avec l’Onisep pour aller plus loin. L’orientation est un véritable enjeu. Ce que veut le pays c’est bien que tout le monde trouve sa place avec des processus de « smart orientation » pour réduire le coût humain et économique de l’échec.

Sur ce sujet de l’orientation, comme sur les autres grands sujets qui font aujourd’hui débat pour l’avenir de notre jeunesse, les grandes écoles ont des choses à dire.  C’est pour cela que nous voulons que la Conférence des grandes écoles soit pleinement reconnue comme interlocuteur par les pouvoirs publics au même titre que la Conférence des présidents d’université et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur, qui sont les deux seules conférences inscrites dans la Loi. Sans nous, des pans entiers de l’enseignement supérieur, les grandes écoles de management, d’art, design, architecture, communication, journalisme, etc., qui sont membres de la CGE, ne sont pas représentées auprès du ministère de l’Education nationale, de Enseignement supérieur et de la Recherche qui en exerce la co-tutelle.

O. R : Où en est la plainte que vous avez déposée il y a an devant le Conseil d’Etat pour protester contre des dispositions « empêchant un grand nombre d’établissements d’enseignement supérieur d’être éligible à la délivrance d’un diplôme de master »?

A-L. W : Nous attendons toujours la réponse ! Notre recours est fondé sur l’argument que le ministère ne peut introduire une restriction qui n’est pas prévue par la loi. Et sur la conviction que l’on ne peut pas raisonner la qualité de l’enseignement dispensé en fonction des statuts d’une école. Nos grandes écoles peuvent être des établissements publics, mais aussi par exemple des associations loi 1901 ou autre. C’est le cas de nombreuses écoles privées, reconnues pour leur excellence et dûment évaluées et accréditées par des organismes nationaux ou internationaux. Pourquoi vouloir brider leur activité du fait de leur statut ? Aujourd’hui certaines écoles d’ingénieurs sont obligées de fermer leurs masters internationaux..

O. R : Récemment la Conférence des présidents d’université a ouvert un débat sur un autre diplôme, le bachelor, dont elle semble vouloir arrêter le développement. Comment analysez-vous sa demande ?

A-L. W : Les branches professionnelles demandent qu’on forme des cadres intermédiaires. Le bachelor est aujourd’hui la norme à l’international pour former en 3 ou 4 ans après le bac des profils professionnalisés et adaptables. Or en France la  pyramide des diplômes professionnalisants est  inversée, avec plus de diplômes permettant une insertion professionnelle à Bac +5 qu’à Bac +3. Pour autant toutes les écoles d’ingénieurs ne vont pas forcément se mettre à délivrer des  formations de type bachelor alors que c’est déjà le cas de la plupart des écoles de management. Tout dépend des besoins des secteurs économiques. Nous avons proposé  à la CPU de travailler ensemble sur ce dossier dans le cadre des communautés d’universités et d’établissements (Comue) pour répondre au mieux aux besoins du pays.

O. R : Plus largement où en sont les relations des grandes écoles avec les universités ?

A-L. W : Les Grandes écoles et les universités sont les deux grandes composantes de notre enseignement supérieur. Elles travaillent déjà ensemble sur des questions de recherche, entrepreneuriat, relations internationales, vie étudiante… Il faut favoriser ces collaborations et ces échanges d’expérience. Les grandes écoles peuvent être des facteurs de changement, grâce à leur gouvernance resserrée et leur agilité,  leur pratique du lien à l’entreprise et leur culture de l’insertion professionnelle. Il faut utiliser leur agilité au service de la diversité.

Nous travaillons à un bilan que nous publierons en juin sur la place des écoles dans les politiques de site et des Comue. Il nous semble dépassé d’évoquer de quelconques clivages ou de véhiculer des discours dans lesquels les grandes écoles devraient se dissoudre au sein de grandes universités, sans qu’il soit envisagé que les universités doivent évoluer également de leur côté. Il faut que les lignes bougent pour plus d’efficience et d’impact de notre écosystème d’enseignement supérieur.

O. R : En 2015 on avait beaucoup parlé des ponctions opérées par le gouvernement dans les fonds de roulement des universités comme des grandes écoles. Pas cette année. Mais où en est la situation financière des grandes écoles ?

A-L. W : Le système reste sous tension et les grandes écoles doivent ajuster leur modèle entre l’augmentation des charges, la croissance du nombre d’étudiants et la baisse de certaines ressources comme la taxe d’apprentissage. La diversité des modèles économiques est grande, entre les écoles publiques qui reçoivent des subventions et ont des frais d’inscription modérés, et les écoles privées, pour lesquelles les frais d’inscription représentent une ressource essentielle. Dans tous les cas il faut reconstruire des modèles pérennes, dans lequel les droits d’inscription, sont certes un des paramètres essentiels du modèle, mais ne sont pas la variable d’ajustement.

Les grandes écoles doivent en outre trouver des marges de manœuvre pour investir, se projeter  à l’international – notamment par l’ouverture de campus un peu partout  dans le monde – ou pour investir dans la pédagogie à l’heure digitale.

O. R : Jusqu’où peut-on aller dans l’augmentation de ces droits ?

A-L. W : La question des droits d’inscription doit aussi se raisonner en termes de retour sur investissement : quiconque sort diplômé d’une grande école en tire des bénéfices tout au long de sa vie. Compte-tenu de ce bénéfice personnel, les étudiants ne devraient-ils pas contribuer au coût de leur formation ? La situation actuelle est anti-distributive puisque, avec des droits très bas dans la majorité des écoles, ce sont finalement les catégories socio professionnelles les plus favorisées qui tirent le meilleur parti du système.

Mais c’est une question complexe car elle est lié à notre dispositif fiscal. Il existe de nombreuses réflexions sur de nouveaux dispositifs, par exemple le « prêt à remboursement contingent au revenu » dans lequel les étudiants remboursent leur scolarité une fois diplômés et en fonction de leurs revenus. Il faut raisonner sans tabou. Tout en mettant en œuvre des dispositifs d’exonération  et d’aide pour qu’en aucun cas ces droits ne soient un frein à l’entrée des jeunes des milieux modestes dans les grandes écoles.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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