Alain Goudey, directeur général adjoint en charge du numérique de Neoma BS
Neoma BS a autorisé l’ensemble de ses étudiants à utiliser les IA dès septembre 2023 et en a déjà formé 6 000 soit, 60% d’entre eux, et 80% de ses professeurs, notamment pour les préparer à ne pas avoir une confiance aveugle dans les outils d’IA. Directeur général adjoint en charge du numérique de Neoma, Alain Goudey nous explique comment l’IA bouleverse toute la faculté.
Olivier Rollot : Pourquoi former les étudiants aux IA ? Cela semble tout naturel pour eux !
Alain Goudey : Ils ont les mêmes soucis que les « digital natives » avec l’informatique. Certes ils utilisent les IA, généralement en mode freemium, mais sans forcément un usage récurrent. Interrogés, les étudiants parlent pour plus de la moitié d’entre eux de seulement une fois par mois et seulement 5 à 6% très régulièrement en utilisant les bons outils et en apprenant à bien prompter. Nous les formons donc à comprendre ce que peuvent ou pas faire les IA, quand c’est efficace ou, au contraire, quand les IA produisent ce qu’on appelle des « hallucinations », des inventions d’information qui propagent des erreurs.
En fait il y a deux types d’utilisateurs. Les « good enough » 44% des utilisateurs selon une enquête nationale parue cette année en mai 2024 qui considèrent qu’en une heure ils ont eu ce qu’il leur fallait et vont rendre une copie copiéecollée de l’IA sans se poser de questions, et les autres qui veulent améliorer la qualité de la réponse. C’est ce que je dis aux étudiants aujourd’hui : « Vous pouvez aller plus loin que les promotions précédentes avec des IA qui sont des facteurs d’amélioration dans la phase de production d’idées ». Un exemple. Nous demandons à nos étudiants de réfléchir à placer des capteurs dans des objets pour produire de l’information. Avec l’IA ce sont des centaines d’objets possibles qui leur sont proposés en quelque secondes : la génération d’idées va plus vite et dans un volume plus grand
O. R : Quels exercices propres aux IA proposezvous à vos étudiants ?
A. G : Je leur propose par exemple de travailler avec une « Celebrity Critical Review » qui simule par IA générative le point de vue d’une personnalité, de Steve Jobs ou Greta Thunberg voire de Julien Assange ou Christine Lagarde, pour l’interroger avec son point de vue et lui demander son avis à chaque étape sur ce qui, selon elle, fonctionne ou pas. Et une fois la célébrité campée on peut demander à l’IA de critiquer sa propre critique pour avoir de nouvelles idées. En dix questions on fait le tour de tout le sujet.
Avec les IA les étudiants qui sont dans une démarche d’excellence vont aller plus vite et plus loin. D’ailleurs ils en sont bien conscients et arborent le badge numérique que nous leur donnons sur leur CV, dès maintenant.
O. R : Vous parliez d’hallucinations. Comme quand une IA a pu établir que les « baleines pondaient des œufs » ?
A. G : Exactement mais pas la peine de réessayer le test aujourd’hui, les IA se nourrissent des erreurs que nous leur remontons avec du « renforcement humain » pour limiter ce type d’erreur. L’hallucination est un phénomène intrinsèque aux LLM (large language model, modèles de langage) qu’on peut diminuer avec différentes techniques mais pas totalement annuler aujourd’hui.
O. R : Les LMM ont de nombreux biais ?
A. G : La problématique des biais et des stéréotypes des LLM a pu être observée récemment quand on a demandé à l’IA Midjourney de dessiner un CEO, un chirurgien et un secrétaire (voir la campagne de l’Association Jamais Sans Elles) – tous termes qui s’écrivent de la même manière en anglais – et que l’IA a produit deux hommes pour les fonctions de CEO et chirurgien et une femme comme secrétaire. Des biais qui existent également dans le texte. Si vous interrogez une IA occidentale sur Taïwan vous aurez forcément une réponse différente de celle d’une IA chinoise.
C’est aussi pour cela que c’est un enjeu politique de créer un modèle d’IA francophone car une LLM traduit aussi une vision du monde. Venues des EtatsUnis elles sont très emphatiques avec une surabondance de participes présents qu’on repère très vite.
C’est ce qu’essayent de faire les équipes françaises de Mistral.ai qui ont fait des prouesses en peu de temps pour produire une bonne IA, quasiment au niveau de ChatGPT4, mais avec quels points d’accès ? Microsoft a su s’allier avec Open AI pour présenter massivement son IA au monde entier. Ils seront aussi distribués par Apple dans iOS18 ! Tout modèle francophone ou européen doit trouver un moyen d’être diffusé massivement.
O. R : Quelles utilisations des IA préconisez-vous pour vos professeurs ?
A. G : Par exemple de préparer de nouveaux cours en créant des structures qui prennent en compte le niveau des étudiants. En Executive Education cela permet d’adapter finement son cours aux managers présents selon qu’ils travaillent chez Google ou chez un grand groupe industriel. Ils peuvent aussi adapter les exercices, créer des variantes à l’infini, produire de nouveaux formats de contenu pédagogique, etc.
O. R : A titre personnel, combien de temps estimezvous gagner aujourd’hui dans votre travail en utilisant les IA ?
A. G : En mars 2023 je l’estimais à 30%. Un an après je parle de 50% car je les utilise mieux avec des outils adaptés à ce que je veux réaliser tout en possédant maintenant une bibliothèque personnelle de prompts efficaces, adaptés à chaque outil et chaque action à réaliser.
O. R : Une dernière question. Quelles sont vos IA préférées ?
A. G : ChatGTP4 bien sûr – ChatGPT Edu n’apporte pas grandchose de plus en l’état des annonces – Gemini Ultra chez Google, ElevenLabs pour le clonage de voix, HeyGen pour les vidéos, Suno pour la musique, et bien d’autres modèles sur Hugging Face que je teste régulièrement.