La vive polémique qui a éclaté après les propos qu’a tenus Laurent Wauquiez lors d’une intervention qu’il donnait à EM Lyon – et qu’un étudiant aurait enregistré pour le diffuser sur TMC – n’en finit pas de faire parler d’elle. Refusant de s’exprimer sur le fond de ces propos le directeur général de l’EM Lyon, Bernard Belletante, explique comment ces intervenants extérieurs participent à la pédagogie des écoles de commerce.
Olivier Rollot : Le moins qu’on puisse dire c’est que les propos qu’a tenu Laurent Wauquiez la semaine dernière devant vos étudiants ont eu un vif retentissement. EM Lyon reçoit souvent des intervenants comme lui ?
Bernard Belletante : Chaque année 500 à 600 personnes viennent donner des cours à EM Lyon. Dont une cinquantaine de grands dirigeants d’entreprise, de dirigeants syndicaux ou de représentants de partis politiques. Nous avons aussi bien reçu Cécile Duflot que Najat Vallaud-Belkacem ou Jean-François Copé. Parfois c’est pour une seule intervention, parfois pour 30 heures de cours. En l’occurrence il s’agissait de la troisième intervention de Laurent Wauquiez dans le cadre d’un cours en quatre fois consacré aux « Grands enjeux de société ».
O.R : Pourquoi organiser ces rencontres avec des intervenants extérieurs ? Notamment s’ils sont marqués politiquement ?
B.B : Une école de management comme la nôtre doit préparer ses étudiants à rencontrer des personnalités de haut niveau. A être en face d’eux pour les voir autrement. A pouvoir leur adresser la parole et à les contester. Les faire intervenir au sein même de l’école leur apporte une autre vision du monde.
Quand nous faisons intervenir le directeur d’une ONG comme le Philippin Antonio Meloto il s’exprime contre un système économique et permet à nos étudiants d’entendre une vision différente. Les futurs responsables que nous formons doivent être confrontés à la diversité des jugements. Et pour cela nous devons les mettre en face de personnalités qu’ils n’ont pas la possibilité de rencontrer habituellement. La prise de parole face à une personnalité est un acte de construction de soi.
O.R : Mais est-ce bien le rôle d’une école de management de s’ouvrir ainsi à toutes les opinions ?
B.B : Le management fait partie de la vie sociale. Nos étudiants ne doivent pas être que des techniciens. Nous devons leur apporter également une intelligence émotionnelle, la capacité à rencontrer des personnalités extrêmement différentes. Bien sûr il y en a toujours qui nous reprochent d’avoir invité telle ou telle personnalité mais présenter cette pluralité d’opinions fait aussi partie de notre mission.
O.R : Ce sont des cours que les intervenants vous proposent de donner ou que vous sollicitez ?
B.B : Nous avons la chance que ces personnalités se proposent très souvent – c’était le cas de Laurent Wauquiez – avec des cours déjà prêts qu’ils peuvent d’ailleurs délivrer dans d’autres écoles. Ensuite toute une procédure est prévue qui passe par le dépôt de leur syllabus pour que nous puissions savoir quel contenu sera dispensé. Il y également une méthode d’évaluation prévue.
Nous partons du principe que nous devons leur laisser l’espace le plus libre possible pour qu’ils puissent s’exprimer et nos étudiants réagir face à des intervenants qui s’expriment librement. Mais il ne faut pas que le cours tourne au prosélytisme. Je défends de la même façon la liberté académique de nos enseignants.
O.R : Quelles limites mettez-vous aux personnalités que vous invitez ?
B.B : Les limites ce sont les valeurs républicaines, de liberté, de respect, d’écoute qu’ont tous nos collaborateurs. Nous ne pourrions jamais inviter quelqu’un qui prônerait le négationnisme ou réfuterait la démocratie ou le dialogue social dans l’entreprise. Nous nous voulons une agora.
O.R : Les étudiants doivent être volontaires pour assister à ces cours ?
B.B : Il faut être volontaire et les étudiants peuvent même demander à ne pas être évalués s’ils le demandent. Ces interventions de personnalités ont lieu face à 35 à 50 étudiants pour qu’une confrontation d’idées soit possible. La prise de parole est une compétence à laquelle nous préparons nos étudiants. Ils y ont d’ailleurs déjà été préparés pendant leurs classes préparatoires face à leurs professeurs et passent ainsi à une autre espèce d’interrogation en étant confrontés à des personnalités.
O.R : Ce sont des débats qui peuvent être âpres ?
B.B : Les personnalités savent qu’elles se mettent quelque peu en danger face à des jeunes passionnés. Pour autant nous n’acceptons pas de leur indiquer à l’avance quelles questions ils vont poser, ce qu’on ne nous demande d’ailleurs pas depuis longtemps.
O.R : Dans l’e-mail que vous avez envoyé à vos étudiants après que l’un deux ait enregistré les propos de Laurent Wauquiez vous leur avez reproché de ne pas avoir respecté le principe de confidentialité. Cela vous paraît vraiment possible de l’imposer à une génération aussi connectée et adepte des réseaux sociaux ?
B.B : Ce dialogue avec des personnalités doit aussi permettre à nos étudiants de se former à ce qu’est un délit d’initiés ou d’entrave. Ils doivent comprendre que, dans la vie professionnelle, il y a des périodes où il n’est pas possible de communiquer. Parce qu’on travaille sur un prototype, parce qu’on discute avec les partenaires sociaux. Ce n’est pas simple mais il faut l’apprendre.
O.R : Il n’y aura pas de sanctions contre l’étudiant qui a enregistré le cours ?
B.B : Aujourd’hui, nous ne savons pas si c’est un étudiant. Ensuite, nous sommes toujours dans une démarche de progrès et d’explication.
O.R : Quels enseignements allez-vous tirer de cette polémique ?
B.B : Avec les responsables des programmes nous allons monter, à partir de ce cas concret, une réflexion sur les responsabilités et la confidentialité. Le pire serait maintenant pour nous que des intervenants ne viennent plus ou n’osent plus s’exprimer. Au-delà c’est essentiel d’apprendre à gérer une crise comme celle-là et j’expliquerai également à nos étudiants comment j’ai décidé d’exprimer mon point de vue au travers de cet entretien.
O.R : Justement. Comment réagissent-ils ?
B.B : Je reçois beaucoup de messages de soutien de nos étudiants et notamment de ceux qui ont assisté à ce cours qu’ils pensaient être dans un espace d’expression « libre et privé ».