Réunion des plus prestigieuses institutions de recherche en économie l’École d’économie de Paris – Paris School of Economics (PSE) s’est imposée comme une référence mondiale depuis sa création en 2006. Pierre-Yves Geoffard, son directeur, revient sur sa mission, ses développements à venir, et sa toute récente obtention d’une dotation « Ecoles Universitaires de Recherche ».
- L’Ecole d’économie de Paris regroupe : CNRS, EHESS, Ecole des Ponts ParisTech, École normale supérieure, INRA, et Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Olivier Rollot : Quel bilan tirez-vous des dix premières années de PSE ?
Pierre-Yves Geoffard : PSE a été un élément fort d’intégration des équipes de recherche de ses membres fondateurs. Cette intégration nous a permis de construire une communauté qui bénéficie d’une grande visibilité internationale : selon le classement RePEc des publications en économie, PSE se classe aujourd’hui au 1er rang en France, au 2e en Europe et au 7e dans le monde !
Pour cela il fallait parvenir à faire travailler ensemble une université et des grandes écoles : c’est le cœur de la complexité de PSE qui fait aussi sa force. A mon sens, l’obtention fin octobre d’une dotation « Investissements d’avenir – Ecole Universitaire de Recherche (EUR) » de 23,8 millions d’euros alloués sur les 10 prochaines années en est une parfaite illustration.
O. R : PSE vient de s’installer dans des locaux flambant neufs boulevard Jourdan à Paris. Comment financez-vous votre développement ?
P-Y. G : Nous sommes parvenus à atteindre l’équilibre financier depuis quatre ans. Aujourd’hui, effectivement, en sus de notre budget habituel, nous devons couvrir les frais d’entretien de nos nouveaux locaux dont la construction a été financée à hauteur de 49 millions d’euros, par l’Etat et les collectivités locales. Notre budget annuel est de 10 millions d’euros dont 1 million issu du placement de notre dotation, tout le reste provenant de bourses nationales ou internationales, de partenariats et de contrats de recherche. Nous développons également des chaires de recherche avec des entreprises ou des administrations. Et comme évoqué précédemment, une autre source essentielle provient des « investissements d’avenir » : ces appels à projets fortement concurrentiels sont gérés par l’ANR pour le compte du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. En mars 2011, notre programme « OSE – Ouvrir la Science Economique » avait été lauréat du volet Labex ; fin octobre, OSE a été renouvelé et notre programme « PGSE – Paris Graduate School of Economics » a été sélectionné, comme 28 autres projets EUR parmi les 191 soumis.
O. R : PSE obtient de bon taux de réussite dans les appels à projet de recherche ?
P-Y. G : L’une des grandes forces de PSE est d’avoir constitué des équipes de support à la recherche, peu nombreuses mais très compétentes et motivées. Elles accompagnent les chercheurs dans la veille, le montage et le suivi de projet. Nous pouvons ainsi indiquer à un chercheur tel ou tel appel à projet tout en lui permettant de se concentrer uniquement sur le projet scientifique ; l’administration s’occupe de l’administration, et elle le fait bien mieux que le chercheur. Ainsi PSE a un taux de succès aux appels à projets auxquels elle répond supérieur à 45%. C’est beaucoup plus motivant de postuler que quand ce taux ne dépasse pas les 5% !
Nous poussons aussi la création de projets interdisciplinaires dans un esprit que nous voulons un peu « start up ». Par exemple en faisant travailler ensemble des économistes et des psychologues pour mieux comprendre la manière dont les individus prennent des décisions en analysant leur activité cérébrale. Ce n’est pas facile car il y a des formes de « rappel » à la discipline qui s’expriment souvent.
O. R : PSE compte combien de chercheurs et de doctorants ?
P-Y. G : PSE réunit aujourd’hui 145 enseignants-chercheurs et près de 200 doctorants qui soutiennent chaque année 40 thèses en moyenne. A la rentrée 2017, près de la moitié (46% exactement) de nos étudiants – doctorat et masters – sont d’origine étrangère.
O. R : Donnez-nous quelques exemples de recherche menées à PSE.
P-Y. G : Cela peut aller de l’analyse du fonctionnement de la zone euro à l’examen des politiques de prix dans les transports en passant par la tarification hospitalière, les processus de développement économique, les migrations, les déterminants des inégalités sociales de santé etc. Nous avons constitué un grand pôle d’évaluation des politiques publiques, et une attention forte aux inégalités continue à être un de nos marqueurs scientifiques.
Récemment l’histoire économique et financière s’est développée dans le cadre d’un partenariat étroit avec l’EHESS. Nous nous inscrivons là dans une dynamique d’étude des sociétés sur un temps long, qui irrigue beaucoup de recherches actuelles.
Nous diffusons également des données avec par exemple la World Wealth and Income Database (WID.world) que coordonne Thomas Piketty et qui analyse les données de distribution des revenus et des patrimoines dans le monde grâce à un gigantesque effort de collecte d’informations. Le tout est financé par des fonds de recherche français et européens, par les universités et institutions auxquelles sont affiliés les chercheurs WID ainsi que par la Fondation Ford et désormais la Fondation Sloan.
O. R : PSE délivre également ses propres masters. Pourquoi puisqu’il ne s’agit pas d’un cycle de recherche ?
P-Y. G : En partenariat avec nos établissements fondateurs, nous sommes fortement impliqués à ce jour dans deux masters, l’un généraliste, l’autre en politiques publiques et développement. L’essentiel de nos doctorants est issu de ces deux masters dans lequel nous insufflons à nos étudiants les méthodes, les connaissances et une approche « généraliste » de la recherche en économie et sciences sociales que nous jugeons indispensables pour poursuivre ensuite en doctorat à PSE. PSE soutient également le master « Economics & Psychology » Paris 1 / Paris Descartes. Enfin, à partir de septembre 2018, nous inaugurons en collaboration avec l’Ecole des Ponts Paristech un tout nouveau master intitulé EDCBA pour « Economic Decision and Cost Benefit Analysis », destiné à des carrières professionnelles où le calcul économique joue un rôle de plus en plus important.
Par ailleurs, depuis l’année dernière nous organisons également une Summer School qui a accueilli en 2017 près de 150 participants venus du monde entier – 43 nationalités étaient représentées – autour de 9 programmes à la frontière de la recherche. Les profils sont très divers : analystes, économistes et consultants dans le privé ou le public, doctorants, enseignants, cadres…
O. R : Vous organisez également de nombreuses conférences, workshops, etc. toute l’année.
P-Y. G : En 10 ans, PSE a organisé ou co-organisé à Paris plus de 150 workshops et conférences internationales. Ces événements, gratuits et ouverts à toutes et à tous, visent à nourrir les échanges et présenter des travaux innovants, à accueillir des personnalités de premier plan et à favoriser le dialogue entre la société et les scientifiques. Je pense, récemment, à des rencontres au croisement de la géographie et de l’économie, sur l’approche théorique des réseaux, sur le commerce international et ses liens avec la croissance, ou encore sur les modèles d’équilibre général dans le domaine financier.
Un autre aspect de la vie scientifique foisonnante à PSE concerne les séminaires : chaque année, les 10 séminaires internationaux et la vingtaine de séminaires internes, organisent près de 450 séances, accueillant environ 550 intervenants (dont 80% d’externes).
O. R : Vous pourriez vous engager dans la formation continue de cadres un jour ?
P-Y. G : Nous venons de dévoiler la création de nouveaux programmes en Executive education. Notre conviction est que la formation par la recherche est un atout dans de nombreuses carrières non académiques. Dans un monde où il faut savoir « apprendre à apprendre », des méthodes de recherche rigoureuses permettent de comprendre les phénomènes et de leur donner du sens. Nos anciens étudiants engagés dans des entreprises ou administrations nous répètent souvent à quel point cela est structurant.
O. R : Ce développement de formations executive pourrait également contribuer à assurer votre financement futur ?
P-Y. G : De même que la création de formations payantes. Nous sommes contraints de proposer des modèles économiques plausibles pour tous nos nouveaux programmes, voire d’aller au-delà de l’autofinancement. Nous sommes engagés dans une réflexion sur notre modèle économique : aujourd’hui c’est la recherche qui finance les programmes de formation. Exactement le contraire des grandes universités dans le reste du monde…
O. R : PSE a un peu plus de dix ans. Qu’imaginez-vous que PSE sera dans dix ans ?
P-Y. G : Nous nous engageons aujourd’hui dans un une stratégie qui doit nous permettre de continuer à nous développer au sein d’un environnement international très concurrentiel, où nous devons encore accroître notre visibilité. Nous nous appuyons pour cela sur trois piliers : la recherche, la formation mais aussi les échanges avec la société civile pour alimenter les débats publics. Il y a vingt ans, les économistes qui intervenaient publiquement ne faisaient pas forcément de la recherche. Aujourd’hui ce sont des chercheurs qui alimentent le débat. Dans dix ans nous aurons formé de nombreux étudiants, aux carrières et profils plus divers qu’aujourd’hui. La formation par la recherche en économie qu’ils auront reçue à PSE irriguera les entreprises et les administrations, qui bénéficieront de leurs talents.
O. R : En tant qu’économiste comment jugez-vous l’investissement français dans son enseignement supérieur ?
P-Y. G : Nous souffrons d’un sous-investissement chronique insensé. Quand le nombre d’étudiants progresse constamment alors que le budget est « sanctuarisé » on baisse forcément les moyens pour chacun. Comment peut-on imaginer que nous allons nous préparer à l’économie de la connaissance sans moyens ? Comment basculer vers ce monde nouveau si on n’investit pas massivement ? Aujourd’hui la plupart des universités gèrent la disette.
Il faut également donner plus de moyens aux financements de base : on est allés trop loin dans le financement sur projet ; on le sait, les taux moyens de réussite aux appels de projet de l’ANR sont bien trop bas et les coûts en matière de gestion administrative très lourds.
Mais les moyens ne sont pas tout. Il faut également une évolution des modes de gouvernance. La tutelle du Ministère intervient aujourd’hui encore trop directement dans la validation des programmes pédagogiques, dans les processus de recrutement… Et tout un ensemble de règles contraint trop fortement les établissements qui souhaitent innover, développer leurs propres ressources, etc.
O. R : L’enseignement supérieur peut-il trouver des relais de financement dans le mécénat individuel à l’image de ce qui se pratique très largement aux Etats-Unis ?
P-Y. G : En France le peu de mécénat qui existe vient essentiellement des entreprises. Contrairement aux Etats-Unis où les individus ayant réussi leur vie financièrement se sentent une obligation morale d’aider leur alma mater, les Français considèrent qu’ils ont déjà beaucoup participé par le biais de l’impôt. C’est pour cela que nous avons choisi de développer plutôt les partenariats de recherche. Les taux d’intérêt étant historiquement bas nous préférons de plus que cela soit dans le cadre de chaires partenariales plutôt que de dons.
O. R : PSE a-t-il les moyens d’attirer les chercheurs du monde entier ?
P-Y. G : Le fait d’être en Ile-de-France est une chance, non seulement pour attirer des chercheurs mais aussi pour permettre, par exemple, à leur conjoint de trouver plus facilement un emploi. Mais c’est aussi un handicap avec la cherté de la vie, notamment pour se loger quand les loyers explosent. Pour rester attractifs nous devons apporter à nos enseignants-chercheurs, qui n’ont pas tous une vocation à la vie monacale, des revenus complémentaires en valorisant des activités supplémentaires. C’est là aussi l’une des missions de PSE…