Plus que quelques semaines avant que les élèves de seconde choisissent leurs spécialités de première et tous s’interrogent : « en quoi nos choix vont-ils influer les choix des filières dans l’enseignement supérieur ? » Même question du côté des établissements postbac : « qu’attendons-nous de nos futurs étudiants ? ». Les directeurs d’IUT sont ceux qui sont allés le plus loin dans la démarche : pour chacun de leurs DUT ils ont défini en ce début d’année quels étaient les enseignements de spécialité « très adapté », « adapté » et « complémentaire ». Comme eux l’ensemble des filières réfléchit à informer les futurs bacheliers sans pour autant les enfermer dans un seul choix de spécialités. Casse-tête en vue face à des lycéens – et à leurs parents – qui attendent des réponses précises…
Un choix forcément impactant
En ouvrant de larges choix de spécialités en première et terminale, la réforme du lycée va inciter les élèves à construire leur propre parcours. En choisissant parmi trois spécialités en première et deux en terminale parmi douze au choix (« arts », « langues, littératures et cultures étrangères », « mathématiques » ou encore « numérique et sciences informatiques ») ils vont se construire un parcours singulier. Et forcément impactant pour leur avenir. Dans ce cadre la question de la place des mathématiques est centrale. On peut en effet totalement les oublier dans la mesure où elles ne sont que marginalement présentes dans un « enseignement scientifique » du tronc commun plus porté sur l’anecdote que sur les sciences « dures ». « Il s’adresse à un public très large avec des objectifs très divers : entre pratique scientifique, découverte des enjeux scientifiques du monde contemporain et mise en lumière de l’apport de la démarche scientifique dans la construction d’un jugement critique, le programme centré sur les sciences expérimentales est certes séduisant mais vaste. Ces contenus seront-ils adaptés à des publics qui n’ont pas tous la même appétence pour les sciences ? », s’interroge le président de l’Union des classes préparatoires scientifiques (UPS), Mickaël Prost.
Le site de l’Onisep Horizon 2021 donne justement des pistes d’orientation selon les choix des trois spécialités de première (rien encore sur les deux de terminale). Dans le choix ci-dessus nous avons par exemple choisi les spécialités « mathématiques » (ce qu’il semble que la grande majorité des lycéens soient prêts à faire selon nos informations), « sciences économiques et sociales » et « numérique et sciences informatiques ». Le site nous donne logiquement en choix préférentiel la filière « sciences économiques et de gestion » puis, en filières possibles, « sciences humaines et sociales », « sciences, technologie ingénierie et mathématiques » et « sciences informatiques et industries du numérique ».
Mathématiques pour tous ?
Pour éviter de scléroser les filières, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a même fait signer une charte pour les perspectives d’orientation vers l’enseignement supérieur en ce sens aux principaux acteurs (Conférence des présidents d’université, Conférence des grandes écoles, Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur et APLCPGE). « Mon conseil aux lycéens est de réfléchir à ce qu’ils aiment vraiment faire et de ne pas entrer dans une mécanique où telle filière serait la seule à permettre d’intégrer telle formation. Ils peuvent réfléchir de façon très ouverte », définit le président de l’APLCPGE et proviseur du lycée Louis-Le-Grand, Jean Bastianelli, qui n’en établit pas moins : « Pour intégrer une classe préparatoire scientifique il faut étudier les sciences mais au sens large avec aussi bien la spécialité mathématiques que physique-chimie, SVT, sciences de l’ingénieur ou encore numérique et sciences informatiques. Évidemment, si on postule à une classe préparatoire MP-SI très sélective il ne faut pas oublier les mathématiques et la physique… Pour le reste, c’est très ouvert ! » Mickaël Prost n’en considère pas moins que « le nouveau lycée formera mieux aux mathématiques les seuls élèves qui auront choisi de faire des mathématiques. C’est la principale crainte de tous ceux qui auraient souhaité la présence des mathématiques dans le tronc commun. Cela rend le choix de la spécialité mathématiques – voire l’option de terminale « mathématiques expertes » – ou a minima de l’option « mathématiques complémentaires » essentiel ».
Du côté des classes préparatoires économiques et commerciales (EC) le président de l’APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales), Alain Joyeux fait la part des choses : « Nous pourrions recevoir tous les candidats pour peu qu’ils aient suivi au moins une année une spécialité maths en première et terminale. Il n’est pas envisageable d’abandonner les mathématiques dès la fin de la seconde et d’intégrer ensuite une classe préparatoire EC. Pas plus que de s’inscrire en médecine sans avoir fait des maths et des SVT ». Il conseille donc aux lycéens et parents qui s’interrogent en seconde cette année de « choisir une spécialité mathématiques et d’y associer celle qu’ils préfèrent, que ce soit « histoire géographie, géopolitique et sciences politiques », « sciences économiques et sociales » ou même « arts » ». Aujourd’hui on sélectionne bien en EC des bacheliers S qui ont suivi des cours de mathématiques à haute dose mais peu d’histoire-géographie et cela ne pose aucun problème. Sans parler de l’intégration des élèves issus de classe préparatoires littéraire. « Nous recrutons des élèves issus de classe préparatoires littéraires qui n’ont pas fait de mathématiques depuis la seconde et ils réussissent même si ce n’est pas toujours facile. Nous ne recrutons pas que des étudiants qui ont fait énormément de maths », insiste également Eloic Peyrache, le directeur général adjoint d’HEC Paris.
Quelle spécialité dans quel lycée ?
Reste aussi à savoir quelles spécialités sont enseignées dans son lycée (voir le site du ministère de l’Education). Le lycée Louis-Le-Grand a par exemple ouvert les spécialités de ses deux pôles, littéraire et scientifique. Mais pas « sciences économiques ». « A partir du la fin du deuxième trimestre, nous allons regarder les combinaisons de spécialités que vont choisir nos élèves. Il pourrait y avoir des difficultés pour proposer certaines spécialités dans lesquelles il y aurait très peu de candidatures et qui reviendraient donc très cher à mettre en œuvre : nous allons suivre cela de près ! », confie son proviseur, Jean Bastianelli. Car si sept spécialités sont implantées dans la très grande majorité des lycées (mathématiques, physique-chimie, sciences et vie de la Terre, sciences économiques et sociales, histoire-géographie–géopolitique et sciences politiques, humanités-littérature-philosophie, langues-littérature-cultures étrangères), cinq font seulement « l’objet d’implantations académiques par bassin de formation » : langues et cultures de l’Antiquité, arts, sciences de l’ingénieur, biologie–écologie et numérique et sciences informatiques.
Cette dernière spécialité semble avoir le vent en poupe. « Plus de la moitié des lycées pourraient l’ouvrir en première alors qu’elle devait initialement faire partie des spécialités dites rares. Reste à savoir si le vivier d’enseignants pourra suivre malgré la création de diplômes d’université dans l’ensemble des académies pour conduire des formations accélérées en fin d’année scolaire », note Mickaël Prost. La place des SVT pose particulièrement problème dans la mesure où seules deux spécialités sont autorisées en terminale et qu’elle pourrait n’en faire que peu partie. « Nous craignons que ce soit la discipline qui souffre le plus », s’inquiète le proviseur du lycée du Parc à Lyon, Pascal Charpentier. Un sujet qui préoccupe bien sur tout particulièrement le directeur général de Agro ParisTech, Serge Trystram : « Cela paraît difficile de recruter des élèves n’ayant jamais fait de biologie en BCPST mais nous recrutons déjà beaucoup plus largement aujourd’hui. Je ne vois pas pour autant de problème majeur de recruter des élèves ayant opté pour des combinaisons scientifiques autres. Les écoles devront s’adapter plus ou moins fortement en fonction des prépas ». Faire Agro ParisTech sans avoir suivi d’enseignement de SVT en terminale pourrait donc devenir très banal.
La conclusion au directeur de cabinet de Frédérique Vidal, Philippe Baptiste : « Pourquoi n’y aurait-il qu’une seule voie d’excellence ? Choisir informatique en plus des mathématiques pourquoi ce ne serait pas aussi bien que mathématiques et physique ? Il faut ouvrir le champ des possibilités ! ».
- Lire le document officiel En route vers le bac 2021 et les Nouveaux programmes des voies générale et technologique en seconde et première