A 42 ans, François Germinet (@UCP_Germinet) est l’un des plus jeunes présidents d’université français. Créée en 1991, son université est l’une des plus dynamiques, notamment dans l’accueil des bacheliers. Passionné par les nouvelles technologies, ce mathématicien est également président du comité numérique de la Conférence des présidents d’université (CPU).
Olivier Rollot : On parle constamment aujourd’hui du développement des massively open online courses (MOOC), ces cours gratuits que mettent en ligne les grandes universités américaines. Les universités françaises doivent-elles suivre le mouvement?
François Germinet : Nous devons gérer deux temporalités : celle du développement de l’enseignement à distance, qui demande une révolution en profondeur et donc du temps, et celle d’une réponse immédiate aux initiatives anglo-saxonnes. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est également sur ce double schéma et la CPU s’en félicite. Au-delà des MOOC, il faut faire un important travail de transformation de nos méthodes pédagogiques : c’est très bien d’avoir un ou deux professeurs investis dans la création des MOOC ou le numérique, comme c’est le cas aujourd’hui, mais ce n’est pas suffisant pour changer la manière dont on enseigne.
O.R : En quoi l’enseignement va-t-il profondément changer dans les années à venir ?
F.G : Dans un monde où le savoir est disponible partout, il faut accompagner une révolution dans laquelle l’enseignant passe de son piédestal, où il est le « sachant », à une fonction de pédagogue. Or c’est plus facile d’être le sachant que d’être à chaque instant en phase avec le processus d’assimilation de l’étudiant, de le laisser parfois se tromper pour mieux lui permettre de comprendre.
Cette révolution pédagogique fait peur à beaucoup d’enseignants qui sont déjà confrontés à des étudiants qui remettent parfois en cause leur enseignement. Pendant un cours, de droit par exemple, il n’est pas aujourd’hui rare d’entendre un étudiant, connecté à Internet, répliquer à un professeur qu’un arrêt remet en cause sa théorie. Et cela peut être vrai dans toutes les disciplines. Il faut arrêter de dire que Wikipedia n’est pas sérieux alors que les enseignants vont eux-mêmes y chercher beaucoup d’informations. Les étudiants ont aujourd’hui accès à une fantastique base de savoirs que l’apparition des MOOC va encore enrichir.
O.R : Mais alors quel rôle ont les enseignants ?
F.G : Ils doivent accompagner l’apprentissage : pour prendre un exemple tiré de la discipline que j’enseigne, les mathématiques, il ne suffit pas de lire la définition des «Algèbres de Lie» sur Wikipedia pour les comprendre. Derrière les concepts il y a une intuition à développer. La théorie ne suffit pas et personne ne confierait la construction de sa maison à un ingénieur de génie civil qui aurait tout appris sur un MOOC ! Il faut que les étudiants arrivent en cours en ayant déjà très bien travaillé le sujet traité pour profiter d’échanges avec leurs professeurs. Le cours est la partie émergée d’un enseignement qui continue avec ces échanges, des exercices, du tutorat. Mais tout cela signifie autant et même plus de travail pour les professeurs comme pour les étudiants.
O.R : Mais vous dites justement que les enseignants ne sont pas forcément prêts à accomplir cette révolution pédagogique ?
F.G : Il ne faut pas leur jeter la pierre : ils ont d’abord été recrutés sur leurs capacités à faire de la recherche, pas sur leurs envies de pédagogie. Et cette recherche est aussi importante que la formation. Un enseignant dans l’enseignement supérieur a deux missions : former aux métiers d’aujourd’hui et préparer aux métiers de demain grâce à la recherche. Sinon il n’y aura plus d’emplois qualifiés en France dans 20 ans. On doit donc préserver la recherche. Maintenant, certains enseignants, en deuxième partie de carrière, ne prendront peut-être jamais le tournant des transformations pédagogiques quand les plus jeunes doivent absolument s’y former : transformer une heure de cours en dix minutes de vidéo propre à être diffusée à distance, c’est très difficile !
O.R : Pour en revenir aux MOOC, qu’apportent-ils aux universités qui les lancent ? Elles ne le font pas par pur bonté d’âme ?
F.G : Ce n’est effectivement pas dans un esprit de service public que de grandes universités américaines – privées – ont lancé le mouvement. Il faut comprendre qu’aujourd’hui, au milieu de dizaines de milliers d’étudiants connectés, cela leur permet de repérer les meilleurs et de leur proposer des bourses pour les faire venir. Comme un immense filet lancé dans la mer. Mais les MOOC sont aussi une formidable base d’échanges entre les étudiants : voir qui pose les bonnes questions, qui y répond est aussi important que l’examen final. C’est l’esprit de forums et d’échanges qui caractérise tout le web 2.0.
O.R : Votre université est souvent citée en exemple de ce qu’il faut faire pour faciliter la réussite de tous les étudiants et beaucoup d’universités ont copié vos méthodes, notamment la semaine d’accueil. Pouvez-vous expliquer comment vous procédez ?
F.G : C’est tout un processus qui commence par une prise en charge des nouveaux arrivants par les étudiants, des rencontres avec les secrétaires pédagogiques, puis des contacts réguliers avec les professeurs, un regard sur l’évolution professionnelle et même une réflexion sur ce qu’est la recherche à l’université. En juillet, puis surtout en septembre lors des deux semaines d’intégration, toutes les associations, les services culturels ou sportifs, les mutuelles et les banques, bien sûr la scolarité, sont présents pour recevoir et informer chaque nouvel étudiant.
O.R : Comment se déroulent au juste ces deux semaines d’intégration ?
F.G : Le 2 septembre commence une semaine de contacts avec les professeurs, de tests (français, anglais et maths), de découverte de l’environnement numérique de travail et de présentation des cours. La deuxième débutent les cours en amphi avant une grande fête commune à tous les départements le 12 septembre. Tout cela crée un sentiment d’appartenance à un groupe qu’on ne retrouve pas vraiment ailleurs. C’est d’autant plus possible pour nous que nous sommes une université de taille humaine – 15 000 étudiants, 3 000 nouveaux chaque année – avec des départements qui sont des sortes de mini-écoles dans lesquelles on forme et on accompagne les étudiants.
O.R : Cela n’empêche pas tous les décrochages quand même ?
F.G : Nous sommes effectivement toujours confrontés à des problèmes de décrochage à la Toussaint. A partir de cette date, et jusqu’en janvier, nous proposons donc aux étudiants dont nous sentons qu’ils vont décrocher des entretiens pour les mettre en garde et comprendre leurs motivations, pourquoi ils se sont inscrits à l’université, pourquoi ils ont choisi telle ou telle filière, etc. Nous en avons reçus ainsi pas moins de 1000 en 2012. À certains nous proposons ce que nous appelons le «semestre nouveau départ» : une remise à niveau avec des stages d’expression écrite orale avant de reprendre un nouveau cursus. Une fois passée la barrière de la première année, tout se passe plutôt bien.
O.R : Vous pouvez également proposer aux étudiants de quitter l’université pour mieux réussir ailleurs.
F.G : Nos réponses peuvent effectivement aller jusqu’à une réorientation dans des BTS avec lesquels nous sommes en contact. Pour nous la réussite d’un étudiant ce n’est pas uniquement lui remettre tous ces crédits ECTS à la fin de l’année mais aussi le mettre sur un parcours de réussite. L’indicateur de réussite du ministère sur la licence nous classe mal à cause de cela alors que nous sommes dans les huit meilleurs pour la réussite en master. Or cette réorientation en BTS peut se révéler particulièrement profitable : nous les constatons qu’en nous voyons revenir en licence professionnelle des étudiants qui ne se sentaient pas bien en licence générale et ont très bien réussi en BTS.
O.R : Ne serait-ce pas plus simple de sélectionner les étudiants à l’entrée de l’université ?
F.G : Il est tout à fait possible d’avoir un système non sélectif avec une orientation intelligente qui mène à la réussite.
Mais il faut arrêter de prendre 1000 étudiants dans une filière dont on sait très bien qu’il n’y a pas de débouchés. Si nous voulions juste recevoir encore plus d’étudiants il nous suffirait d’ouvrir une fac de psychologie et nous ferions le plein. C’est parfois terrible de penser à tous les efforts que nous faisons, en termes d’apprentissage, de stages, de liens avec les entreprises, pour faciliter l’insertion professionnelle de nos étudiants et que nous rencontrons des parents et des étudiants qui ne se soucient absolument pas des débouchés d’une filière avant de la choisir.
O.R : Mais vous pensez que tout le monde peut réussir dans les filières générales de l’université ?
F.G : C’est tout le paradoxe qu’entrer dans les filières générales de l’université, qui sont les plus conceptuelles et permettent d’aller le plus haut, ne nécessitent pas de sélection quand tout le reste de l’enseignement supérieur est sélectif. Les chiffres sont parlants : en 2011-2012 sur les 500 bacheliers professionnels qui sont entrés en licence chez nous seulement dix sont passés en deuxième année. Quant aux bacheliers technologiques, ils ont été soixante sur 250.
O.R : Laisser entrer des bacheliers professionnels à l’université c’est vraiment les envoyer à l’échec.
F.G : Les bacs professionnels n’ont pas été inventés pour permettre à leurs titulaires de poursuivre leurs études, mais d’entrer sur le marché du travail. Soit c’est toujours l’objectif numéro 1 de ces bacs, et il ne faut pas leur laisser le droit de poursuivre automatiquement, soit on accepte la poursuite d’études et il faut revoir les contenus en lycée et l’accompagnement dans le supérieur. Dans la mesure où on souhaite amener 50% d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur, on se place clairement dans cette deuxième hypothèse et je demande qu’on nous laisse leur dispenser un autre enseignement, fondé sur l’apprentissage dès la deuxième année de licence. Si on nous laissait procéder ainsi je prends le pari qu’on sauverait une bonne partie de ces bacheliers.
O.R : On parle beaucoup des rapprochements entre l’université et les grandes écoles depuis quelques années. Pensez-vous qu’on aille aujourd’hui dans la bonne direction ?
F.G : Le nouveau modèle des «communautés», qui vont remplacer les pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) avec la loi qui va être votée sur l’enseignement supérieur et la recherche, est plus proche du modèle universitaire, plus démocratique et il faut s’en féliciter. Le système dual français, universités et grandes écoles, va dans le mur. La dualité entre les meilleurs cerveaux d’un côté et les meilleurs étudiants de l’autre n’a pas de sens !
Créer des emplois qualifiés en France et inventer ceux de demain, cela passe par un modèle universitaire international fondé sur la recherche, les transferts de technologie et la reconnaissance du doctorat. Le doctorat est le grade le plus élevé partout dans le monde sauf en France et je ne suis pas sûr que des dirigeants qui n’ont jamais eu de contact avec la recherche soient les mieux à même de prendre les bonnes décisions en matière de développement stratégique.
O.R : Justement, l’université crée de plus en plus de filières d’excellence pour concurrencer les grandes écoles sur leur terrain.
F.G : L’État nous demande de structurer notre enseignement autour de licences classiques mais nous voulons pouvoir développer autour aussi bien des filières renforcées courtes, pour les étudiants qui veulent être aidés, que d’autres plus longues et difficiles pour ceux qui veulent aller vers des études de haut niveau.
O.R : Parmi ces diplômes «ambitieux», les masters en ingénierie viennent directement concurrencer les écoles d’ingénieurs.
F.G : Nous proposerons à la rentrée deux CMI (cursus master ingénierie) dans le cadre du réseau Figure. Cela nous a paru plus judicieux que de monter une école d’ingénieurs qui aurait dû être totalement déconnectée du reste de l’université. Quant à la concurrence, il y a de la place pour tout le monde alors qu’il manque 10 000 ingénieurs formés par an. Je souhaite maintenant que ce type de diplôme se développe au sein de toutes les disciplines de mon université.
O.R : Vous insistez aussi beaucoup sur la réussite professionnelle de vos étudiants.
F.G : Le plus important c’est bien de former à un emploi ! Nous ne considérons pas que nous en avons fini avec notre mission quand nous avons délivré le diplôme. Si une formation produit 50% de chômeurs, il faut la fermer ou la réorienter. Sinon comment convaincre les parents et les étudiants que le diplôme est le premier rempart contre le chômage ? Cela ne veut pas non plus dire se vendre aux entreprises mais avoir conscience que notre première responsabilité sociale est de bien regarder ce que deviennent nos étudiants.